Le Japon est-il en train de sauver l'économie mondiale ? En tout cas, ça y ressemble de plus en plus<!-- --> | Atlantico.fr
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Au Japon, le taux de croissance au premier semestre est de... 3,95% ! Celui de la zone euro est de seulement 0,05%.
Au Japon, le taux de croissance au premier semestre est de... 3,95% ! Celui de la zone euro est de seulement  0,05%.
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Le Nettoyeur

Depuis plusieurs mois, la Banque centrale du Japon est passée à une stratégie de contrôle de sa base monétaire au lieu de se focaliser sur une politique de taux d'intérêt nul. Et il semblerait que ça marche : le taux de croissance nippon au premier semestre est de... 3,95% !

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Il y a quelques mois, j'expliquais que la Banque centrale du Japon est en train de se lancer dans une expérience économique inédite qui peut soit sauver le monde du marasme économique (si elle réussit) soit nous forcera à complètement repenser la théorie économique (si elle échoue). Quelques mois plus tard, on peut dire qu'il y a de bonnes chances que le Japon soit en train de sauver le monde.

Explications.

La question centrale est celle du pouvoir des Banques centrales.

Commençons par une définition très simple : une récession est ce qui se produit lorsque les gens n'ont pas assez d'argent. Cette définition est très importante, parce qu'à chaque récession ou crise, les observateurs prennent les arbres pour la forêt. Les récessions sont dues tantôt à l'augmentation du prix du pétrole, ou à l'explosion de la bulle Internet, ou au 11 septembre, ou à la crise des subprimes, ou à la crise de l'euro, ou demain au ralentissement de la Chine... Pas vraiment faux, mais la raison pour laquelle ces événements créent des récessions est qu'ils font que les gens ont moins d'argent que prévu. C'est le coeur, le point commun entre toutes les récessions.

Ça paraît tout simple comme ça - trop simple. Mais si on sort la tête de la conjoncture et des équations économiques pour réfléchir avec un peu de bon sens, on se rend compte que c'est vrai. Si les gens n'ont pas assez d'argent, ils consomment moins, ce qui fait que les entreprises produisent moins, donc elles recrutent moins, etc. C'est aussi simple que ça. Le PIB, c'est la somme des dépenses sur une année. Une récession c'est une baisse du PIB. Si le PIB baisse, c'est que les gens dépensent moins.

On se rend compte que cette manière concrète de regarder l'économie est la bonne si on regarde ce qui se passe si les gens ont plus d'argent. S'ils ont plus d'argent, ils dépensent plus. Que se passe-t-il alors ? Les gens veulent consommer plus de biens et de services. Les producteurs de biens et de services vont donc produire plus de biens et de services pour répondre à la demande. On aura donc plus de croissance. Pas assez d'argent : récession. Assez d'argent : croissance. La définition tient.

Continuons à réfléchir : que se passe-t-il si les gens ont encore plus d'argent ? Ils vont dépenser encore plus. Ils vont vouloir consommer encore plus de biens et de services. Mais que se passe-t-il si leur demande de biens et de services dépasse la capacité des producteurs à leur en fournir ?

Encore une fois, réfléchissons concrètement : si vous êtes Renault et que tout le monde veut vous acheter des voitures, plus que vous ne pouvez en produire, qu'allez-vous faire ? Vous allez augmenter vos prix. Vous allez aussi essayer de produire plus de voitures. Pour ce faire, il va falloir recruter. Mais voilà, la quantité de monnaie dépensée dépasse la capacité de production de l'économie, ce qui veut dire que tout le monde a un emploi (puisque tout le monde est déjà occupé à produire pour répondre à la demande). Donc vous allez augmenter vos salaires pour que des ouvriers quittent Peugeot pour aller travailler chez vous. Vous allez aussi devoir investir. Vous allez demander à Bouygues de vous construire une nouvelle usine. Mais voilà, l'économie est déjà à capacité maximum, Bouygues travaille déjà trop. Puisque tout le monde veut vous acheter des voitures, vous dites à Bouygues : “Fais-moi mon usine, et je te paye plus cher.” Donc Bouygues va devoir recruter, et va augmenter les salaires... De son côté, Peugeot, qui lui aussi voit sa demande exploser, augmente les salaires de ses ouvriers pour qu'ils ne partent pas chez Renault, mais Renault a besoin d'ouvriers donc augmente les salaires... Bref, multipliez ça par tous les acteurs de l'économie, et vous vous rendez compte que si la dépense totale dépasse la capacité totale de production de l'économie, on se retrouvera avec une augmentation généralisée des prix. Si tout le monde veut acheter du pain, le boulanger va commencer par produire plus, et quand il ne pourra plus produire plus, il va augmenter ses prix.

Vous connaissez le nom de cette augmentation généralisée des prix : c'est l'inflation. L'argent dépensé se “verse” non plus dans de la nouvelle production mais dans de l'augmentation des prix de ce qui est produit.

Et si on réfléchit, toujours concrètement et avec du sens commun, on se rend compte du lien entre croissance et inflation. Si vous êtes boulanger et que vous avez un pic de demande, en pratique, vous n'allez pas attendre d'être au maximum de production pour augmenter vos prix. En pratique, vous allez produire plus et augmenter vos prix. A l'échelle macroéconomique, ça veut dire que tout pic de croissance s'accompagnera d'un pic d'inflation, et ce même si l'économie n'est pas encore à capacité maximum. Ce qui veut dire que l'inflation n'est pas mauvaise ni bonne en soi. Si l'économie est à capacité maximum, l'inflation veut dire qu'il y a trop de dépenses. Mais si l'économie n'est pas à capacité maximum, l'inflation peut simplement indiquer une relance de l'économie.

Bon, très bien, me direz-vous, mais quel est le rapport avec le Japon et les Banques centrales ?

Déjà c'est important parce que si vous avez vraiment compris ce que je viens d'expliquer vous avez compris la macroéconomie. Tout le reste n'est que du développement (et de la mise en équations) de ces principes généraux.

Le rapport est le suivant : en temps normal, celui qui détermine la quantité de monnaie dans l'économie - et donc la dépense -, c'est la Banque centrale. Et on a vu que la dépense est la clé de l'économie. Si la quantité est bonne, tout va bien. Si elle est trop faible, récession. Si elle est trop élevée, inflation.

En temps normal, la Banque centrale détermine cette quantité de monnaie avec les taux d'intérêts. Si les taux d'intérêts sont faibles, les banques prêteront plus, ce qui fait que les gens auront plus d'argent, ce qui fait que la dépense augmentera. Si les taux d'intérêts sont élevés, les banques prêteront moins, ce qui fait que les gens auront moins d'argent, et la dépense baissera. En temps normal, la Banque centrale utilise ses taux d'intérêts pour s'assurer que la dépense reste au bon niveau.

Seulement voilà : depuis la crise de 2008, nous ne sommes plus en temps normal.

Depuis la crise de 2008, les Banques centrales des pays développés ont toutes leurs taux à zéro. Et pourtant, les gens continuent à ne pas avoir assez d'argent, puisqu'il y a du chômage. Beaucoup de chômage, même. Est-ce que les Banques centrales à taux zéro peuvent encore relancer l'économie ?

Le Japon a répondu oui. Le Japon a répondu que si la Banque centrale fixe et annonce un taux d'inflation, et annonce qu'elle créera autant de monnaie qu'il faut, et achètera autant d'actifs qu'il faut, pour atteindre ce taux, elle peut relancer l'économie.

Pourquoi ? On l'a vu, inflation et croissance sont liées. La question principale est : est-ce que les gens ont assez d'argent ? Si non, récession. Si oui, croissance. Si les gens n'ont pas assez d'argent, et qu'on n'aime pas les récessions et le chômage de masse, il faut leur donner de l'argent. Or, il s'avère que la Banque centrale peut créer de l'argent à l'infini. Evidemment, comme on l'a vu aussi, si la quantité d'argent dépasse la capacité de production de l'économie, on crée de l'inflation destructrice. Mais le problème des pays développés aujourd'hui n'est vraiment pas que leur économie est en sur-régime ! Le problème est clairement qu'il n'y a pas assez d'argent, pas qu'il y en a trop.

La Banque centrale européenne, elle, refuse cette idée. Elle dit qu'une fois que la Banque centrale est à taux zéro, elle ne peut plus rien faire, et ne doit rien faire, parce qu'elle risque de créer de l'inflation. Ce qui est vrai, mais comme on l'a vu, l'inflation est bonne pour une économie en sous-régime. En tous les cas, c'est ce que nous dit la théorie.

Quid de la pratique ? C'est bien pour ça que l'expérience du Japon est aussi importante. Le Japon est en train de mettre en pratique ce que les gens comme moi crient depuis des années.

Le résultat de la politique de la BCE est déjà clair : sur le premier semestre 2013, le taux de croissance de la zone euro est de 0,05%. Et le Japon ? Au Japon, le taux de croissance du premier semestre est de... 3,95% ! Presque 4% ! Vous imaginez, 4% de croissance en France ? Même le politicien le plus menteur n'oserait pas promettre 4% de croissance.

Et on parle du Japon, un pays dont la croissance est à 0% depuis près de 20 ans maintenant ! Et depuis 10 ans, la plupart des commentateurs s'accordent pour dire que le Japon ne connaîtra plus la croissance, que c'est fini, c'est un pays trop vieillissant, qui refuse de se réformer, etc. En quelques mois, la croissance est passée de 0 à 4%, ce qu'il n'avait pas connu depuis des décennies !

Evidemment, ça ne fait que quelques mois. Il faut encore attendre pour être sûrs. Mais les indications semblent, pour l'instant, fortement claires. Ce que fait la Banque du Japon est en train de marcher. La BCE fait le contraire, et nous sommes encore dans le marasme.

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