Le Japon, cet allié que la France ne sait pas regarder <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Le Premier ministre japonais Fumio Kishida serre la main du président français Emmanuel Macron avant leur rencontre lors du sommet du G7 à Hiroshima, le 19 mai 2023. (Photo de )
Le Premier ministre japonais Fumio Kishida serre la main du président français Emmanuel Macron avant leur rencontre lors du sommet du G7 à Hiroshima, le 19 mai 2023. (Photo de )
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Géopolitico-Scanner

Emmanuel Macron est arrivé vendredi au Japon pour un sommet du G7 qui doit permettre d'établir de nouvelles sanctions contre la Russie et de définir la position des puissances occidentales face à la Chine.

François Godement

François Godement

François Godement est conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne. Il est également Senior non resident fellow du Carnegie Endowment for International Peace, et consultant externe au ministère de l’Europe et des affaires étrangères français. Il était précédemment directeur du programme Asie de l’ECFR, professeur des universités à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) puis à SciencesPo. Il a fondé le Centre Asie de l’IFRI, le CSCAP Europe (Council for Security Cooperation in the Asia‑Pacific), et le think tank Asia Centre. Son dernier ouvrage, La Chine à nos portes. Une stratégie pour l'Europe (avec Abigael Vasselier), a été publié chez Odile Jacob, en 2018

Voir la bio »

Atlantico : Alors que les dirigeants du G7 se réunissent à partir de ce vendredi à Hiroshima pour un sommet de trois jours, comment qualifier les relations entre Tokyo et Paris ? Dans quelle mesure la France et le Japon partagent les mêmes intérêts d’un point de vue géopolitique, économique ou militaire ?

François Godement : Si l’on compare au passé des années 80 au début des années 2000 – les relations de la France avec le Japon n’ont cessé de s’améliorer. Par la disparition des irritants – le principal était la montée des exportations japonaises et les accusations de dumping. Souvenons-nous de la « bataille de Poitiers », de la guerre des magnétoscopes, des quotas dans l’automobile, de la critique par un Japon pacifiste et anti-nucléaire des essais nucléaires français dans le Pacifique, d’une certaine tension aussi dans l’opinion japonaise autour de la Nouvelle-Calédonie.

Mais les investissements croisés, les alliances industrielles comme Renault-Nissan même avec ses péripéties, ,la mutation politique du Japon confronté à la pression de la Chine et donc revoyant à petits pas sa doctrine de défense de l’après-guerre, ont fait leur œuvre.

La France a réussi, en parallèle et en concurrence avec le Royaume-Uni, à mettre en place des ventes et une coopération dans les industries de défense, longtemps chasse gardée des États-Unis. Elle a consenti des adaptations là où le Japon réclamait une retenue sur les ventes de technologies duales à la Chine – non sans quelques piques lancées à l’occasion par nos amis japonais. Airbus a percé dans les hélicoptères, même si sa part dans le marché des avions reste très inférieure à celle de Boeing. L’avenir du Pacifique Sud est devenu une cause régionale. La concurrence – gagnée par la France jusqu’en 2022  – pour les sous-marins australiens n’a pas engendré de tensions visibles. L’industrie nucléaire japonaise a eu recours à la France pour le traitement des déchets post-Fukushima. Et sur le plan européen, la France qui avait souvent des réserves d’ordre protectionniste pour ses industries n’a pas fait obstacle à un accord européen de libre-échange avec le Japon, tandis que celui-ci ouvrait enfin son secteur agro-alimentaire. On ajoutera que depuis le premier gouvernement de Shinzo Abe, le Japon a beaucoup approfondi sa diplomatie en direction de l’Europe.  

À Lire Aussi

Une fuite indique que les Américains ont détecté la construction d’un site militaire chinois chez leur (futur ex?) grand allié émirati…

Malgré ces intérêts communs, comment expliquer que la France, qui refuse de prendre parti sur les questions de souveraineté opposant Tokyo à Pékin, semble réticente à l’idée d’assumer un partenariat plus profond avec le Japon ?

Ces difficultés et ces réticences ne sont pas nouvelles – qu’on se souvienne par exemple de Claude Cheysson hostile à l’entrée du Japon dans le futur G7. Les media français ont longtemps été dominés par une vision braquée sur le « révisionnisme » japonais. La France n’a guère saisi l’occasion de coopérer, par exemple en Afrique, avec les mécanismes d’assistance internationale japonais quand ce pays a abandonné leur utilisation purement commerciale. Les officiels français, malgré près de 20 ans de dialogue 2+2 avec leurs homologues japonais, sont souvent sceptiques quant à la contribution effective du Japon hors de son environnement international immédiat. Le Japon, de son côté, s’est beaucoup approché de l’OTAN – mais la France redoute qu’une extension du périmètre de l’action de l’OTAN ne nous engage malgré nous, et que cela dilue la volonté et la capacité de défendre l’Europe elle-même. Malgré l’adoption militante par la France d’une stratégie Indo-Pacifique, celle-ci reste empreinte de tentations de « troisième voie » ou d’équidistance entre la Chine et les Etats-Unis, alors que la perception d’une menace chinoise a renforcé la détermination du Japon à être l’allié le plus actif des États-Unis dans la zone. L’absence de position sur les questions de souveraineté territoriale entre Chine et Japon est moins problématique : même les États-Unis, qui défendent bien sûr le statu quo et le contrôle effectif des îles Senkaku par le Japon, n’ont pas pris de position juridique de fond sur la souveraineté.

À Lire Aussi

La descente aux enfers de la Tunisie est-elle encore stoppable ?

Dans quelle mesure le Japon, isolé face à la Chine et peu en confiance vis-à-vis des États-Unis, a-t-il intérêt à se rapprocher de la France, d’un point de vue militaire notamment ?

Le problème du Japon est celui d’une police d’assurance unique – souscrite auprès des États-Unis. La poursuite de la dissuasion nucléaire élargie par les États-Unis est fondamentale, comme l’est l’engagement commun, dont témoignent les directives de défense nippo-américaines, pour empêcher une action de force contre Taiwan. Longtemps – y compris au début du second mandat de Shinzo Abe – le Japon a espéré traiter avec la Russie pour en faire un partenaire économique sans nuisance stratégique en Extrême-Orient. Cet espoir est aujourd’hui aboli. La France et le Japon ont des intérêts communs à la sécurité du Pacifique-Sud et de l’Océan indien. La sécurité de l’Europe de l’Est et celle de l’Asie du Nord-est sont de plus en plus liées par la quasi-alliance sino-russe – Poutine n’a rien à refuser à Xi Jinping. Il est plus difficile d’identifier des intérêts spécifiques dans les industries de défense – car ce sont plutôt des sous-systèmes que des ensembles complets qui sont vendus.  

La France, qui ambitionne de valoriser sa présence dans la zone Indo-Pacifique, courtise le Japon avec l’objectif de donner une nouvelle impulsion au partenariat militaire amorcé en 2013, à la fois dans les domaines opérationnel et industriel. Comment imaginer l’avenir de cet échange diplomatico-militaire instauré en 2014?

Malgré l’engagement bien réel de la marine française en Indo-Pacifique et jusqu’à des passages dans le détroit de Taiwan, il subsiste des doutes réciproques : sur l’engagement en cas de conflit régional avec la Chine et de notre côté sur la contribution à des efforts hors de cette zone. L’engagement japonais sur l’Ukraine a toutefois été très déterminé, même si ce sont les industries de défense coréennes qui apportent une contribution décisive à la défense de la Pologne – et plus indirectement à celle de l’Ukraine, une question qui n’est plus taboue à Séoul. Ce sont ces doutes qu’il faut lever en priorité. Il est aussi important que la France s’implique très activement dans les discussions trilatérales US-UE-Japon sur les exportations  de technologies sensibles et le contrôle des investissements industriels vers des tiers.  

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !