Le favori à la prochaine présidentielle indonésienne a un plan pour faire de son pays la prochaine superpuissance mondiale <!-- --> | Atlantico.fr
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Le candidat à la présidentielle, Prabowo Subianto, s'exprime lors du premier débat organisé dans le cadre de la campagne électorale, à Jakarta, le 12 décembre 2023.
Le candidat à la présidentielle, Prabowo Subianto, s'exprime lors du premier débat organisé dans le cadre de la campagne électorale, à Jakarta, le 12 décembre 2023.
©Yasuyoshi CHIBA / AFP

Géopolitico-Scanner

Prabowo Subianto, candidat à l’élection présidentielle en Indonésie, souhaite que son pays bénéficie d'une plus grande influence sur la scène internationale, notamment dans la résolution des conflits à Gaza ou en Ukraine.

Sophie Boisseau du Rocher

Sophie Boisseau du Rocher

Sophie Boisseau du Rocher est docteur en sciences politiques, chercheure associée au Centre asie IFRI. Elle travaille sur les questions politiques et géostratégiques en Asie du Sud-Est.

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Atlantico : Le ministre indonésien de la Défense et candidat à l’élection présidentielle qui aura lieu le 14 février prochain, Prabowo Subianto, a dévoilé son plan pour affirmer le rôle de son pays sur la scène internationale. Il veut faire de l’Indonésie un champion du sud. Quel est son projet exactement ?

Sophie Boisseau du Rocher : Jusqu’à présent, Prabowo Subianto avait une vision très « terrienne » de son pays. Ancien officier des Forces spéciales, il a été chargé, tout au long de sa carrière militaire, de points sensibles (Timor oriental, Papouasie, instabilité interne…). Quand il est entré dans les affaires (au début des années 2000), il a monté des entreprises dans l’exploitation des matières premières de son pays. Peu exposé à l’international, il lui avait été reproché, lors de ses deux premières candidatures en 2014 et 2019, de ne pas avoir assez développé ce volet-là. Le même type de reproche avait d’ailleurs été formulé à l’égard de Joko Widodo, le président sortant. Mais Jokowi a très bien senti le potentiel de son pays, voire les attentes à son égard, et les opportunités qui se présentaient. Premier pays musulman au monde avec près de 260 millions de croyants, géant de l’Asie du Sud-Est et de l’ASEAN, seizième économie mondiale, ancien leader des Non-alignés, et aujourd’hui démocratie revendiquée, l’Indonésie a incontestablement un poids international auquel aucun pays de la région ne peut prétendre. En affirmant une vision internationale, Prabowo se glisse à la fois dans l’ambition historique de son pays et dans le prolongement de la présidence Jokowi. Il doit néanmoins encore faire ses preuves : à l’occasion de la conférence Shangri-La sur la sécurité en Asie-Pacifique, il avait proposé le 3 juin 2023 un plan de paix pour mettre un terme au conflit en Ukraine qui a été perçu comme un pavé dans la mare ! Son discours en forme d’exhortation aux responsables réunis à publier une déclaration appelant à la fin des hostilités est tombé à plat.  

Son plan n’a rien d’un grand projet élaboré mais s’articule autour de quelques idées simples : (i) la sécurité du pays passe par son développement et donc des relations de partenariat avec le plus grand nombre, (ii) le Sud Global est une extension du mouvement des Non-alignés et l’Indonésie doit retrouver son rôle de porte-parole des plus petits « parce que c’est dans notre ADN », (iii) l’ASEAN reste la pierre angulaire de notre diplomatie (l’Indonésie a tenu la présidence de l’association en 2022). Prabowo évoque à présent les « responsabilités de l’Indonésie ».

Pourquoi Prabowo Subianto fait-il de la sécurité l’axe prioritaire de sa campagne ?

Pour deux raisons principales à mon avis. D’abord parce que Prabowo est un ancien général et qu’il assume parfaitement cette casquette dans un pays qui accorde à l’Armée un rôle et un prestige qui vont bien au-delà des seules fonctions de protection militaire. Ensuite parce que l’Indonésie – comme d’autres pays d’Asie du Sud-Est – a une vision très large de la sécurité (comprehensive security) qui se réfère au développement économique et social, à la stabilité et au bien-être collectif. Il est donc très bien entendu dans ce rôle car ce message sous-entend aussi qu’il a des projets concrets dont les retombées – notamment en matière de développement – bénéficieront au peuple indonésien.

Dans un monde qui tend à devenir multipolaire, l’Indonésie (premier pays musulman au monde) peut-elle devenir une puissance mondiale ?

Clairement oui et ce serait d’ailleurs une bonne contribution car en dépit de ses difficultés, l’Indonésie a réussi le pari de la stabilité. Souvenez-vous : en 1998, au moment de la démission du général Suharto (qui était resté plus de trente ans au pouvoir et avait tenu le pays archipel d’une main de fer), personne ne pariait sur l’Indonésie. Les risques d’implosion (le pays est composé de plus de 15 000 îles), les risques d’extrémisme islamique, les risques d’instabilité sociale avec le retour de la pauvreté étaient en permanence évoqués. Non seulement l’Indonésie a réussi à maîtriser partie de ces spasmes mais la transition démocratique n’a pas été remise en cause. Jokowi, aidée de sa remarquable ministre des Affaires étrangères Retno Marsudi, a été une voix écoutée en Asie mais aussi auprès des pays du G 20 (dont l’Indonésie a assuré la présidence en 2022). En 2023, l’Indonésie a accueilli avec succès trois sommets « phare » : le sommet de l’ASEAN les 5 et 6 septembre, le sommet de l’Asie de l’Est le 7 septembre et le sommet du G 20 à Bali les 15 et 16 novembre. Le fameux sens indonésien du compromis pour une « diplomatie libre et active » a fait ses preuves. Jakarta se sent une responsabilité d’interface entre les pays du Nord et ceux du Sud. Prabowo évoque régulièrement dans ses interviews une réforme des Nations unies qu’il porterait ou un soutien actif à la Palestine.

Les ambitions de l’Indonésie peuvent-elles être contrariées / perturbées par les tensions entre les États-Unis et la Chine dans la zone indo pacifique ?

Directement vous imaginez bien : géant de l’Asie du Sud-Est, carrefour entre l’océan Indien et l’océan Pacifique, porte des fameux détroits, l’Indonésie ne peut laisser indifférent les deux grandes puissances mondiales dont la région est un des terrains de rivalité privilégiés. Les Etats-Unis qui avaient soutenu le général Suharto dans leur lutte anti-communiste, puis une diplomatie anti-terroriste assez mal perçue en Indonésie (car vécue comme anti-musulmane) n’ont pas vraiment profité du capital de sympathie affichée à l’égard du président Obama (qui avaient passé quelques années d’enfance dans le pays) ; Trump est l’archétype de la grossièreté pour les Indonésiens. Le président Biden a relancé toute une série d’initiatives mais qui se limitent trop, à mon avis, au domaine sécuritaire. La Chine, elle, pousse tous ses pions. Elle vient d’inaugurer le fameux TGV Jakarta / Bandung et multiplie les projets économiques, financiers, d’infrastructures, d’éducation et de formation, de santé… avec une régularité et une persévérance qui finissent par payer. Ce qui ne signifie pas que les Indonésiens préfèrent les Chinois mais que les Chinois ont probablement mieux compris les aspirations indonésiennes. Il reste certes des points de tension (notamment avec les prétentions chinoises autour des îles Natuna) mais ceux-ci n’empêchent pas « l’approfondissement de la coopération pour une communauté de destin partagée ». Sur le fond, et à nouveau comme ses voisins d’Asie du Sud-Est, l’Indonésie ne veut pas devoir choisir, devoir s’aligner et prône une diplomatie « zéro ennemi ». Naïveté, pragmatisme ou habileté diplomatique ?

Sophie Boisseau du Rocher, chercheure Centre Asie IFRI (Paris)

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