Joe Biden, le suiveur du monde libre<!-- --> | Atlantico.fr
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Joe Biden.
Joe Biden.
©MIGUEL MEDINA / AFP

Géopolitico

Sur nombre de dossiers géopolitiques, à commencer par l’Ukraine ou Gaza, le président américain n’agit pas en leader mais comme un homme qui se contente de réagir aux événements.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : Sur de nombreux dossiers géopolitiques, notamment l’Ukraine ou Gaza, le président des Etats-Unis n’agit pas en leader mais comme un dirigeant qui se contente d’être en réaction aux événements ou d’être un suiveur. En quoi cela a-t-il pu être préjudiciable à la diplomatie américaine, notamment lors du retrait américain d’Afghanistan ?

Guillaume Lagane : La diplomatie de Joe Biden peut sembler effectivement réactive. Joe Biden a été le vice-président de Barack Obama. D’une certaine manière, cette expérience a pu le marquer. Obama faisait partie des présidents démocrates qui étaient plutôt partisans d'un retrait des Etats-Unis du monde et d'une plus grande discrétion. Il a même été rattaché, à certains égards, au courant isolationniste. La sortie d'Afghanistan en 2021 par Joe Biden était une volonté de recentrer les Etats-Unis sur ce qu'ils estimaient être les dossiers les plus importants pour la sécurité américaine, en particulier la Chine. Ce retrait a été un échec américain. Cela a participé à une transition qui était actée par Washington entre deux modes d'intervention. Le premier concernait les années 2000-2010 consécutives au 11 septembre, à la lutte antiterroriste, à la lutte contre Al-Qaïda et d'une certaine manière ensuite l'Etat islamique à partir de son apparition en Irak. La deuxième phase a été assumée par les Américains. Elle a acté le retour à une lutte entre grandes puissances et en particulier la lutte contre la Chine et la lutte contre la Russie. Pour recentrer les Etats-Unis sur cette lutte, la sortie d'Afghanistan était nécessaire aux yeux de Joe Biden.

Au regard de l’histoire des Etats-Unis, n’y a-t-il pas une malédiction des démocrates, excepté Bill Clinton, qui se contentent d’adopter cette stratégie de réaction ? Obama n’avait-il pas eu des difficultés similaires pour gérer la crise des Frères musulmans en Egypte et Jimmy Carter avec la crise iranienne ?

Il n’est pas certain que cela soit lié à l'essence même du parti démocrate. En observant les exemples historiques, il y a des exemples de présidents en réaction dans les deux camps. Il faut rappeler que des présidents démocrates ont acté l'implication des Etats-Unis dans le monde. Pour la période de la Seconde Guerre mondiale, il y a le cas du président Truman qui a été élu contre son concurrent républicain en 1944 et qui a été à l'origine de la naissance de l'OTAN et donc de l'implication des Etats-Unis dans la sécurité européenne.

Jimmy Carter a été effectivement un président isolationniste. Il agissait ainsi en réaction à une intervention des Etats-Unis qui était considérée comme contraire aux valeurs américaines sous Nixon, avec la politique très réaliste de Kissinger, l'échec au Vietnam, les interventions en Amérique latine et le coup d'État contre Allende. Jimmy Carter a voulu s'inscrire en réaction à cet interventionnisme un peu immoral qu'avait incarné Nixon. Et après, il y a le cas particulier d'Obama qui lui s'est défini en réaction à l'interventionnisme américain sous Bush, avec la volonté de remodeler le Moyen-Orient avec les interventions en Afghanistan en 2001 et surtout en Irak en 2003. Il y a des présidents républicains qui ont été aussi en réaction. Bush en 2000, quand il a été porté au pouvoir, était un président qui disait que sa priorité serait le rapport avec le Mexique. Il n'était pas du tout décidé à intervenir dans les affaires du monde. Au contraire, il voulait plutôt s'en retirer. Et il se trouve qu'il a été surpris. Il a dû réagir sans l'avoir prévu au 11 septembre. Cela l'a poussé à adopter le programme néoconservateur et à devenir un apôtre de la démocratisation par la force. Mais ce n'était pas du tout dans son programme électoral, ni même d'ailleurs dans son idéologie au départ, en tout cas dans son programme électoral, quand il a été élu.

Comment ce positionnement en réaction et en suiveur fragilise l’équilibre géopolitique international par rapport au positionnement protecteur ou interventionnisme des Etats-Unis par le passé ?

Les Etats-Unis, depuis qu'ils sont devenus la première puissance mondiale après 1945 et depuis qu'ils ont la garantie de sécurité de l'Occident et plus largement du monde tel qu'il existe, sont constamment critiqués. Quand ils interviennent, les Etats-Unis sont pointés du doigt pour leur brutalité, leur inefficacité, leur impérialisme et leur unilatéralisme. 

Mais ils sont aussi critiqués quand ils n'interviennent pas puisqu'on attend en fait d'eux d'être le garant de l'ordre international. Leur positionnement dans le cadre de la guerre en Ukraine a soulevé des interrogations. Ils sont effectivement les garants de l'ordre européen. Sans leur intervention, l'Ukraine n'aurait pas pu se défendre comme elle l'a fait. 

Sur un autre théâtre, en Asie, il est évident que sans leur protection, Taïwan ne pourrait pas résister à la puissance chinoise. 

Le retrait des Etats-Unis du monde est plutôt une mauvaise nouvelle pour l'ordre international. Le retour de Trump suscite aussi beaucoup d’inquiétude car il pourrait adopter un programme isolationniste avec des critiques contre l'OTAN. Il estime que les Etats-Unis doivent s'occuper uniquement de leurs intérêts.

A l'époque où la France avait un empire, il y avait ce qu'on appelait le cartiérisme. Il s’agissait d’une référence au journaliste de Paris Match qui s'appelait Raymond Cartier. Il avait fait un article qui s'appelait plutôt la Corrèze que le Zambèze. Donald Trump a presque le même programme. Son slogan pourrait être plutôt le Mississippi que la Moldavie.

Cette idée est aujourd'hui partagée par une partie des Républicains qui sont autour de lui et qui ont priorisé les menaces. Ils considèrent que la menace chinoise est plus importante que la menace russe. Ils veulent se retirer d'Europe et prioriser la Chine. Ils souhaitent soit laisser la Russie dominer l'Est de l'Europe, soit laisser les Européens s'occuper de l'affaire ukrainienne.

Est-ce que le discours de ce jeudi 6 juin à l’occasion des 80 ans du débarquement change-t-il la donne dans la vision géopolitique de Joe Biden ?

J'ai assisté aux discours à l'occasion des cérémonies du 6 juin à Colleville-sur-Mer, dans le cimetière américain. Ces discours ont été marqués par l'affirmation de l'exceptionnalisme américain. Les orateurs ont expliqué que les Etats-Unis étaient une nation particulière, animée par la destinée manifeste. Ils devaient défendre le programme de liberté dans le monde. Les Américains ont débarqué le 6 juin 1944, ont gagné la Seconde Guerre mondiale, sur le front occidental. Mais ils ne l'ont pas fait de manière assez classique dans l'histoire. L’engagement dans une guerre est généralement lié à la défense de ses intérêts ou pour essayer d'obtenir des avantages. Les Etats-Unis n'ont pas obtenu davantage en réalité au lendemain de la guerre. Ils n'ont pas obtenu de territoires. 

Les Américains qui étaient tout puissants en Europe occidentale auraient pu annexer des parties de l'Europe occidentale comme l’a fait l'URSS au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elle a déplacé la Pologne de 200 kilomètres vers l'ouest et elle a annexé tous ces territoires. 

En 1945, les Etats-Unis n’ont pas adopté cette approche mais ils ont créé un ordre international nouveau, fondé sur la démocratie et le respect du droit international. Dans son discours du 6 juin, Joe Biden a repris cet argumentaire. Il a fait un parallèle entre l'intervention des Etats-Unis en 1944 et leur intervention aujourd'hui. Il perçoit cela comme un combat permanent entre la liberté et la tyrannie. Joe Biden a cité le cas de l'Ukraine en disant qu'aujourd'hui les Etats-Unis soutenaient l'indépendance de l'Ukraine et son refus d'être annexé, dominé ou asservi par la Russie. Il a condamné l'isolationnisme. Joe Biden a ainsi critiqué le programme du candidat Trump. Joe Biden a aussi réaffirmé son soutien à l'OTAN. Il a également eu ces mots très forts : “We will not walk away”, “nous ne partirons pas”. Il a donc vraiment réaffirmé l'engagement des Etats-Unis dans la sécurité européenne.

Il y a beaucoup de débats dans les cercles stratégiques sur la position des Etats-Unis concernant l'Ukraine, sur le fait que les Etats-Unis sont un peu hésitants et ne mettent pas tous leurs œufs dans le même panier ou pourraient même être tentés par un accord avec la Russie. Le président Joe Biden a apporté une réponse à travers son discours.

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