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Ces batteries sur lesquelles travaille Tesla en secret et qui pourraient révolutionner le marché de l’énergie
©STR / AFP

Atlantico Green

Tesla, la firme d'Elon Musk, prévoit de sortir une batterie à la durée de vie de plus d’un million et demi de kilomètres et recyclable deux à trois fois. En quoi consiste cette innovation et pourquoi cette découverte pourrait représenter une véritable révolution ?

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico.fr : Elon Musk est connu pour ses annonces chocs mais l’une d’elle pourrait changer la donne du secteur des batteries. La firme prévoit de sortir une batterie à la durée de vie de plus d’un million et demi de kilomètres et recyclable deux à trois fois. En quoi consiste cette innovation et pourquoi cela représente une révolution ? 

Jean-Pierre Corniou : L’automobile électrique moderne n’a que dix ans… Les premiers véhicules destinés à un large public, Nissan Leaf et Renault Zoe ont été commercialisés respectivement en 2010 et 2012. Tesla, nouveau constructeur crée en 2003 dans cet univers, stable et conservateur, des constructeurs automobiles qui ont bâti leur succès sur le moteur thermique et l’exploitation du pétrole, est apparu longtemps comme un trublion sans perspective. Il est aujourd’hui un acteur majeur de l’électromobilité mondiale. Tout ce que fait Tesla, et son emblématique dirigeant, Elon Musk, est, de fait, pris en sérieux car Tesla qui a vendu 367 500 voitures électriques dans le monde en 2019, mais perdu 860 millions $, est désormais un concurrent redoutable, notamment de l’industrie allemande, mais, plus grave, Tesla est désormais perçu comme la référence du haut de gamme électrique.

Même si Elon Musk est désormais célèbre pour ses annonces tonitruantes, souvent très en avance sur la réalité industrielle, il doit être pris au sérieux dans un monde où l’électromobilité, après une décennie de lents progrès, est en train de changer de dimension. La décennie 2020 devrait marquer une inflexion historique dans l’histoire de l’automobile et, de fait, Elon Musk en est un des acteurs clefs.

L’émergence récente du véhicule électrique destiné à une grande diffusion est un parcours difficile. Dix ans après son apparition, il n’y a pas plus de 3 millions de voitures électriques à batteries dans le monde. Face à sa jeune rivale, la voiture à moteur thermique dispose en effet d’avantages considérables : solutions éprouvées en 130 ans de développement technique et industriel, parc installé de plus d’1,3 milliard de véhicules, qui bénéficie de la mise en place d’un écosystème mature couvrant tous les besoins des utilisateurs : alimentation en carburant, maintenance, distribution des véhicules neufs et des pièces de rechange, marché de l’occasion et de location. Le combat est inégal et la lente pénétration des véhicules électriques sur le marché mondial démontre que, faute d’aides et d’incitations publiques, les avantages du véhicule électrique ne pèsent pas assez face à la solide position du véhicule thermique. La pénétration des véhicules électriques en France est de 1,9 % du parc pour les véhicules électriques à batterie et 4,8 % pour les hybrides. Car la voiture électrique, silencieuse, nerveuse, non polluante au lieu d’usage souffre d’un handicap majeur : son alimentation en énergie !

Il faut clarifier le débat, souvent obscur, sur ce que sont les véhicules électriques.

Les voitures électriques appartiennent toutes à une famille, que la Chine qualifie de NEV (New Energy Vehicule), qui comprend les voitures électriques à batterie (VEB), les voitures hybrides essence-électrique, et les voitures à hydrogène.

  • Les VEB ont besoin de batteries et d’un raccordement au réseau électrique, à travers une borne de recharge, pour transférer les électrons du réseau électrique vers le véhicule où ils sont stockés dans une batterie.
  • Les véhicules à hydrogène produisent à bord leur énergie électrique grâce à une pile à combustible alimentée en hydrogène. La voiture dispose d’un réservoir  que l’on remplit en quelques minutes dans une station spécialisée pour  disposer de 600 km d’autonomie.  
  • Les véhicules hybrides rechargent leur batterie en roulant ; cette batterie de faible capacité ne permet de rouler en électrique que quelques kilomètres et elle utilisée pour alimenter un moteur électrique en appoint du moteur thermique,
  •  Les véhicules hybrides rechargeables (PHEV) disposent d’un moteur à essence de puissance moyenne et d’une batterie de stockage rechargeable par borne qui alimente un moteur électrique pouvant fonctionner seul sur une soixantaine de kilomètres. Moteur thermique et moteurs électriques fonctionnent dans un véhicule hybride, soit en parallèle, soit alternativement.

Ces quatre solutions coexistent, avec leurs propriétés propres, répondant à une gamme d’usages.  La batterie représente 40% de la valeur ajoutée d’un véhicule électrique (VEB). Dès lors, on comprend que l’enjeu crucial de l’industrie automobile mondiale dans sa conquête de la mobilité électrique réside dans la maîtrise de la batterie.

Quelles batteries recherchent les constructeurs ?

La batterie, en automobile comme pour toutes autres applications mobiles, doit se faire oublier !  L’objectif principal est donc l’autonomie pour rendre la recharge, qui implique l’immobilisation de l’objet de quelques dizaines de minutes à quelques heures, la moins fréquente possible.  Mais le service délivré ne doit pas être sacrifié pour autant car une batterie automobile doit fournir l’énergie nécessaire pour déplacer un gros engin, d’un poids généralement supérieur à 1 500 kg, sans elle-même apporter un surpoids excessif au véhicule. Renault Zoe, qui est une voiture de 4 mètres, du segment intermédiaire, pèse au total 1502 kg, avec un moteur de 100  kW et 390 km d’autonomie. Tesla 3, du segment berline compacte avec 4,7 m, affiche un poids total de 1645 kg, avec un moteur de 150 kW et 409 km d’autonomie.

La capacité́ des batteries se mesure par leur densité́ énergétique, exprimée en watts par kilogramme (Wh/kg).  La bataille se situe sur le meilleur compromis poids/puissance/coût.

La batterie doit pouvoir être rechargée rapidement sans que la vitesse de recharge ne dégrade ni les performances, ni la longévité.

Enfin, ces qualités doivent être obtenues au moindre coût financier et environnemental. Si l’usage du véhicule électrique ne créée pas de nuisances au lieu d’usage – émissions de CO2, NOX, hydrocarbures – la production des batteries est pointée du doigt par les écologistes en raison de l’extraction de lithium, des terres rares et du cobalt.

Le cahier des charges des batteries automobiles est donc complexe et des centaines de laboratoires de recherche sur la planète travaillent concurremment à obtenir les meilleurs résultats sur tout ou partie de ces paramètres.  C’est une recherche d’un compromis acceptable entre différentes contraintes qui conduit les laboratoires et les industriels à partager leur progrès sans livrer leurs secrets.  De fait, les annonces d’avancées significatives sur les batteries se succèdent, souvent de façon très anticipée par rapport à l’industrialisation possible de ces solutions. Tout le monde avance en effet sur la chimie de l’électrolyte ion-lithium et sur la composition des anodes et cathodes. C’est un long cheminement de progrès incrémentaux qui n’élimine pas la possibilité d’une rupture brutale avec une avancée significative, comme le passage à l’électrolyte solide ou le développement de la filière lithium/air.

Ce travail d’optimisation techno-économique a été bien entendu accéléré par l’affirmation de la volonté des pouvoirs publics, et donc des constructeurs, de développer le véhicule électrique avec une offre compétitive par rapport à la solution thermique, tant en coût qu’en agrément d’usage.  L’industrie y consacre des moyens considérables  en explorant toutes les voies possibles  dans la conception des batteries et du véhicule. Tesla, entreprise innovante et pionnière, est au cœur de cette compétition.

Qu’est ce que cette nouveauté de Tesla pourrait apporter dans le secteur automobile électrique ?

L’annonce de Musk porte sur la durée de vie des batteries, qui n’est qu’un des paramètres critiques. Selon les chercheurs de Dalhousie University, qui travaillent en partenariat avec Tesla, leur batterie aurait une durée de vie permettant de parcourir 1 millions de miles sans perdre plus de 10% de son efficacité, avec 4000 cycles de recharge, alors que les batteries actuelles perdent près de 50% de leur capacité après 1000 cycles. Cette performance tiendrait à l’utilisation de cathode NMC (Nickel Manganèse Cobalt oxyde) et d’anode graphite, avec une optimisation de l’électrolyte. Mais, selon les chercheurs, cette combinaison n’est pas révolutionnaire et traduit une capacité d’optimisation de facteurs déjà connus.

La batterie est le composant critique de l’offre de Tesla qui a voulu maîtriser ce composant critique, contrairement aux autres constructeurs, qui achètent des solutions, sauf le chinois BYD qui est venu à l’automobile en partant de sa maitrise des batteries. Tesla est reconnu disposer d’une avancé réelle sur ses concurrents en matière de batteries. Aujourd’hui, selon les analystes, Tesla serait capable de produire ses batteries pour 150 $/kWh de capacité contre 200 $/kWh pour ses concurrents.  La cible de 100 /kWh est considérée par l’industrie comme le coût permettant de faire basculer le marché du moteur thermique vers l’électrique.

Mais une voiture est bien autre chose qu’une batterie performante. C’est un ensemble cohérent qui ne vaut que ce que vaut le plus faible de ses éléments. C’est dans cette optique globale qu’il faut évaluer l’annonce d’Elon Musk. A quoi servirait donc cette batterie, indissociable du véhicule, qui devrait donc être capable de parcourir 1,6 million de kilomètres ? Le marché visé est clairement celui des robotaxis et des camions, dans lequel Tesla est aussi impliqué.

Le grand intérêt des solutions apportées par Tesla tient au caractère totalement novateur de son approche. C’est le premier constructeur, après une première expérience d’un roadster issu de Lotus, à avoir conçu un véhicule uniquement électrique, dès l’origine, à partir d’une page blanche. Ce choix, qui s’est révélé audacieux quand il a fallu passer en grande série avec toutes les contraintes de l’industrialisation et de l’après-vente, a permis au constructeur de trancher d’emblée sur le marché en privilégiant des prestations haut de gamme. L’esthétique, les performances hors normes, l’autonomie bien supérieure à la concurrence, appuyée par le réseau de chargeurs rapides Tesla, l’affichage sur grand écran, la mise à jour à distance des logiciels du véhicules ont marqué d’emblée la gamme Tesla. Tesla est également aussi pionnier en matière d’autonomisation de ses véhicules avec la fonction AutoPilot. En contrepartie, ces solutions sont coûteuses car elles impliquent une importante capacité embarquée de batteries.

Toutefois, Tesla qui a pris beaucoup d’avance sur ses concurrents et crée une marque déjà emblématique, doit faire face à une meute de poursuivants. Cette annonce se situe dans cette perspective. Les grands constructeurs mondiaux comme Volkswagen, Toyota, GM ou l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi ont tous annoncé des investissements majeurs dans les véhicules électriques et les batteries. L’Union Européenne finance une contre-offensive pour produire en Europe des batteries. Mais Musk, qui a ouvert une usine à Shanghai en un temps record, capable de produire au terme de sa première année d’exploitation 1000 Tesla 3 par semaine, sait que ses concurrents les plus féroces seront en Chine où le marché du véhicule électrique est déjà entré dans une phase de maturation rapide avec une offre riche de véhicules. Des dizaines de start-up, souvent appelée les « bébés Tesla » proposent des véhicules attractifs et moins chers que la Model 3. C’est le cas de la start-up NIO, crée en 2014, et de son modèle ES8, de Byton, WM ou Xpeng.

Tesla a travaillé depuis l’origine en partenariat avec un des quatre fournisseurs mondiaux de batteries pour véhicules électriques, le japonais Panasonic. C’est avec Panasonic qu’a été construire l’usine géante, la Térafactory, implantée dans le Nevada. Les trois autres grands fournisseurs de batteries sont les chinois CATL et BYD et le coréen LG Chem.

Tesla prévoit aussi d’apporter de l’électricité aux consommateurs et aux business. Quel est le but de l'entreprise sur le marché de l’énergie ? 

Pour Elon Musk, le XXIe siècle verra le triomphe définitif de l’électricité sur le pétrole. Dans cette longue évolution de l’énergie, la voiture individuelle était le seul secteur majeur à résister à la progression de l’électricité. La décennie 2020 devrait faire basculer ce secteur avec un tiers de la production mondiale composé de voitures électriques en 2030. Mais l’ambition de Musk ne se limite pas à l’usage en mobilité de ses batteries. Il veut conquérir le marché des batteries stationnaires, indispensables à l’essor des solutions de production d’énergie discontinue, comme le solaire et l’éolien. Il est engagé dans la production de toitures solaires avec Solarglass Roofs, produits aux Etats-Unis à Buffalo, et dans le stockage avec Powerwall, les batteries stationnaires pour le domicile.

C’est donc un système complet que propose d’ores et déjà Tesla. Ellon Musk a déclaré fin 2019 qu’il considérait que Tesla Energy deviendrait la branche dominante de Tesla dans le futur avec une croissance plus rapide que l’automobile. Ces annonces ont toutefois été accueillies avec scepticisme par les analystes. Mais Musk sait bousculer les secteurs où il intervient et faire mentir les oracles !

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