Ce sommet de l’OTAN qui aura signé le discret renoncement de l’Europe a son autonomie stratégique <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président turc Recep Tayyip Erdogan s'adresse aux journalistes lors d'une conférence de presse au sommet de l'OTAN à Madrid, le 30 juin 2022.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan s'adresse aux journalistes lors d'une conférence de presse au sommet de l'OTAN à Madrid, le 30 juin 2022.
©GABRIEL BOUYS / AFP

Géopolitico Scanner

Les chefs d'Etat et de gouvernement des pays membres de l'Alliance atlantique étaient réunis à Madrid pour un sommet du 28 au 30 juin. La Finlande et la Suède s’apprêtent à rejoindre l’OTAN, après la levée du droit de veto de la Turquie sur leur demande d’adhésion.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : Que retenir du sommet de l’OTAN qui s’est tenu en Espagne ? 

Guillaume Lagane : Ce sommet de l’OTAN est historique dans la mesure où c'est le premier sommet post guerre froide où on assiste à un conflit sur le sol européen. De plus, ce conflit est mené par la Russie, l’héritier de l’URSS et l’Etat doté du plus vaste stock d’armes nucléaires. C’est une situation totalement inédite depuis 1945. 

Après un lent effacement consécutif à ce qu’on pensait être, en 1991, la fin de la guerre froide, ce sommet marque également le retour des États-Unis en Europe, qui vont renforcer leurs effectifs sur le Vieux Continent et créer une base permanente en Pologne, et affirme la validité de l’OTAN, tenu en état de « mort cérébrale » par Emmanuel Macron en novembre 2019, un jugement cruellement démenti par les faits trois ans plus tard.  

Enfin, ce sommet marque une inflexion pour les membres de l’Alliance dans le sens où ils s’étaient engagés, lors du sommet de Newport en 2014, à augmenter leur budget de la défense, sans le faire pour autant. Seuls neuf membres sur trente ont atteint les 2% du PIB consacrés à la défense. Suite à ce conflit, ils devraient enfin agir et augmenter leur budget comme ils s’y étaient engagés. C’est ce que l’Allemagne, un poids lourd européen, a commencé à faire avec un fonds doté de 100 milliards d’euros. 

Dans quelle mesure ce sommet de l’OTAN a-t-il marqué une forme de renoncement de l’Europe à son autonomie stratégique ? 

L’autonomie stratégique est un principe adopté par l’Union européenne. Il concerne autant l’économie, l’énergie, la technologie que la défense. Pourtant, s’agissant de défense, ce concept a toujours divisé les États membres, entre les atlantistes qui ne voulaient pas affaiblir leur lien avec les États-Unis et d’autres pays comme la France qui prônaient une forme d’éloignement ou d’indépendance vis-à-vis de Washington. Avec la crise en Ukraine, les arguments en faveur d’une autonomie stratégique européenne se sont beaucoup affaiblis dans la mesure où de nombreux États européens se sont tournés vers les États-Unis pour avoir une garantie de sécurité.  

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De ce point de vue, le sommet de Madrid est la réaffirmation d’un partenariat transatlantique fort, qu’une autonomie stratégique européenne pourrait fissurer. Alors que la guerre fait rage en Ukraine, les Occidentaux veulent montrer leur unité. L’OTAN est l’expression de cette cohésion face à la Russie mais aussi, malgré les réticences françaises, face à la Chine, qui sera le grand défi du XXIème siècle pour le monde occidental, et qui est mentionnée dans le nouveau « concept stratégique » de l’Alliance. L’invitation du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, une première, est le reflet de cette nouvelle géopolitique.

L’autonomie stratégique européenne n’est pas morte pour autant, en tous cas dans le débat franco-français où elle reste une sorte de totem. Elle restera farouchement défendu par les industriels européens. Et puis le futur n’est pas écrit. Des moments de divergences peuvent toujours revenir entre les deux rives de l’Atlantique. En 2013, Obama a imposé aux Européens son refus d’intervenir en Syrie. Imaginons aussi, en 2024, un retour de Trump au pouvoir. Ce jour-là, les Européens seraient bien inspirés d’avoir des capacités de défense autonomes. 

La validation de l’intégration de la Suède et de la Finlande à l'Otan marque-t-elle la fin de l’espoir d’une autonomie stratégique européenne ?

La candidature de la Finlande et de la Suède a été acceptée à Madrid après le revirement de la Turquie. Il s’agit incontestablement d’un moment historique à l’échelle de l’OTAN mais aussi à l’échelle de l’histoire de ces deux pays, qui ont été pendant très longtemps des promoteurs d’une certaine forme de neutralité.  

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La Suède et la Finlande avaient une position différente vis-à-vis de l’autonomie stratégique européenne. La Suède, malgré sa neutralité, a toujours été très proche des États-Unis et avait obtenu des garanties de sécurité pendant la guerre froide. Même après avoir intégré l’Union européenne avec la Finlande en 1995, les Suédois ont maintenu une proximité avec Washington. La Finlande, face à l’URSS, était beaucoup plus prudente et a soutenu, une fois dans l’UE, l’idée de défense européenne.

Paradoxalement, c’est la Finlande qui a pris l’initiative de l’adhésion à l’OTAN. Elle avait déjà choisi, l’an dernier, d’acheter le chasseur américain F35, un revirement stratégique qui ne laissait guère de doute sur ses priorités nouvelles. Dans un contexte de menace nouvelle sur leur sécurité, l’adhésion de ces deux États dans l’OTAN est donc une forme de normalisation et d’entrée dans une logique transatlantique qui a été celle de l’Europe de l’Ouest depuis le début de la guerre froide.  

Pour Stockholm ou Helsinki, en cas de conflit avec la Russie, on attend désormais le soutien de Washington plus que de Berlin ou Paris. Difficile de ne pas lire dans ces adhésions un renoncement à l’idée d’autonomie stratégique européenne.

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