87% des Français attendent un "vrai chef pour remettre de l’ordre" : y a-t-il une tentation autoritaire en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Messie

Une enquête d'Ipsos sur les "nouvelles fractures" de la société française, publiée dans Le Monde du 25 janvier, indique que 87 % des Français répondent oui quand on leur demande si le pays "a besoin d'un vrai chef pour remettre de l'ordre".

Pascal  Perrineau,Philippe Braud et Maxime Tandonnet

Pascal Perrineau,Philippe Braud et Maxime Tandonnet

Pascal Perrineau est professeur des Universités à Sciences Po. Il dirige le CEVIPOF devenu, en janvier 2004, le Centre de recherches politiques de Sciences Po.

Philippe Braud est  un politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est professeur des Universités à l'Institut d'Études Politiques de Paris et enseignant-chercheur associé au CEVIPOF (Centre d'Études Politiques de Sciences-Po)

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l’immigration, l’intégration des populations d’origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l’Intérieur. Il commente l'actualité sur son blog personnel.

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Atlantico : Selon l'enquête d'Ipsos/Cevipof sur les "nouvelles fractures" de la société française, publiée dans Le Monde du 25 janvier, 87 % des sondés sont d'accord pour dire "que l'on a besoin d'un vrai chef en France pour remettre de l'ordre". Quel pourrait être aujourd'hui le profil de ce chef ?

Pascal Perrineau : C'est vrai qu'il y a en France une culture de l'homme providentiel surtout en période de crise. Pour sortir du processus révolutionnaire, les Français s'étaient tournés vers Bonaparte. En 1958, lors de la crise en Algérie, ils s'étaient tournés vers le général de Gaulle. Aujourd'hui, il sont peut-être à la recherche d'une figure inattaquable qui sache prendre de la hauteur par rapport au combat politique. Il ne faut pas voir l'avenir à reculons. L'homme providentiel ne sera donc pas un de Gaulle bis, mais une figure qui pourrait rependre des traits qui étaient ceux du général de Gaulle en 1958.

Dans une situation de crise, les Français sont à la recherche de repères et ne se contentent pas de ce que le nouveau président de la République avait appelé la présidence normale. Ils veulent une présidence davantage incarnée avec un chef qui leur montre le cap, à la fois protecteur et capable de dessiner un avenir pour la société française. Mais, ils expriment aussi une fatigue par rapport aux leaderships post-modernes où les présidents de la République cherchaient à confondre l'Histoire du pays avec leur histoire personnelle. A cet égard, le "Sarkozysme" a pu avoir de temps en temps cette composante.

Confusément, les Français ne sont pas satisfaits du type de leaders d'hier comme du type de leaders d'aujourd'hui. Ils cherchent, à gauche comme à droite, une forme de leadership qui leur permette de donner du sens aux combats dans lesquels ils sont impliqués aujourd'hui : le combat pour circonscrire les effets de la crise et en sortir.

Maxime Tandonnet : Je dirais qu’un grand chef doit incarner l’unité nationale, il faut qu’une grande majorité des Français puissent s’identifier à lui, sans forcément être d’accord en tout point avec sa politique mais qu’ils puissent se reconnaître en lui. Il ne peut pas être l’homme d’un parti ni d’une majorité, encore moins de groupuscules idéologiques, mais l’homme de la nation dans son unité.  Ensuite, il doit inspirer la confiance, par son attitude, sa détermination, sa franchise, son désintéressement personnel, la volonté de suivre un cap et de s’y tenir. Les Français sont assez intelligents pour savoir qu’on ne règle pas tous les problèmes d’un coup de baguette magique, mais ils attendent d’un chef qu’il donne une direction au pays et s’y tienne, sans forcément vouloir s’occuper de tout lui-même.

Philippe Braud : Première précaution à prendre : se garder d’exagérer l’importance des réponses à ce type de questions. Le but assigné à ce chef énergique que les Français attendent de leurs voeux est on ne peut plus flou : « remettre de l’ordre ». Chacun l’entend à sa manière, influencé soit par les dernières affaires de criminalité, soit par la lenteur de la sortie de crise, soit par la déception politique (chez les électeurs de Nicolas Sarkozy l’échec de leur candidat à l’élection présidentielle ; chez ceux de François Hollande, l’absence de virage marqué vers ce que l’on appelle « une politique de gauche ». Ceci étant, il est clair que le style présidentiel de François Hollande joue son rôle dans cet affichage d’opinions. Ce qui était hier, pendant la campagne électorale, un atout précieux face à l’hyper-président, se retourne aujourd’hui en sérieux handicap, comme cela était prévisible.

Ce qu’on peut appeler la tradition bonapartiste est fortement ancrée dans l’inconscient des Français, même sous la République. Ici, depuis Napoléon, on aime « le grand homme ». C’est d’ailleurs pourquoi l’élection du président de la République est si populaire en France. Cependant les Français ont également l’esprit frondeur. Ils aiment les figures énergiques à condition qu’elles ne prennent pas de décisions qui bousculent leurs intérêts catégoriels les plus chers. Cette authentique contradiction les fait rapidement se retourner contre leur héros d’hier. Gambetta, Clémenceau, Poincaré, Pétain, de Gaulle l’ont tous expérimenté sous des formes diverses.

La France a connu plusieurs hommes providentiels, qui pour certains d'entre eux ont été tentés par une dérive autoritaire. En quoi étaient-ils le symbole de leur temps ?

Pascal Perrineau : A chaque fois, ces leaders incarnent une modernité. Ils stabilisent le pays et font en sorte que celui-ci épouse son temps. Prenons l'exemple du général de Gaulle en 1958. Le désordre politique s'était introduit dans les institutions de la IVe République. La France n'arrivait pas à se sortir de ses crises coloniales. De Gaulle a stabilisé puis modernisé les institutions en créant de la responsabilité directe dans ces institutions avec l'élection du président de la République au suffrage universel direct à partir de 1962. Ensuite, il a modernisé l'appareil social et économique français.

De Gaulle  a été un leader protecteur et rassurant, mais a aussi permis à la France d'épouser son temps. Aujourd'hui, les Français sont rétifs à épouser leur temps. L'enquête menée par Ipsos/Cevipof montre bien la défiance des Français à l'égard de la mondialisation. Ils ne pourront rentrer pleinement dans cette mondialisation que si préalablement un grand leader les a rassurés.

Maxime Tandonnet : Le terme d’homme providentiel est contestable et connoté, souvent utilisé par les dictateurs. Mieux vaut parler de chef de la nation, formule habituelle du général de Gaulle. Le besoin d’un chef de la nation se fait ressentir par rapport à un service que la France attend de lui : Bonaparte qui met fin à la Révolution, Thiers, le Libérateur du territoire et fondateur de la République, Clemenceau, le vainqueur de la Grande Guerre, Poincaré, le sauveur du franc et de l’économie française, à deux reprises, de Gaulle, le chef de la Résistance, Pinay, le restaurateur de la « confiance », Pierre Mendès France, l’homme de la décolonisation, de nouveau de Gaulle, le sauveur de la paix civile en 1958 et le créateur de la Vème République.

Philippe Braud : Les hommes providentiels ne le sont pas nécessairement à raison de qualités exceptionnelles (dont ils peuvent parfaitement manquer). L’important est qu’ils se trouvent là, au bon moment, comme support quasi naturel d’attentes émotionnelles intenses. Pétain le vainqueur de Verdun, pouvait passer, en plein effondrement militaire, pour un protecteur rêvé dans le désarroi général. En 1944 de Gaulle, par son attitude de refus sans concession devant la défaite, lavait a posteriori la honte de s’être plié à la loi du vainqueur. Plus tard, en 1958, la paralysie des institutions et l’impuissance des gouvernants à tourner la page de la décolonisation, l’érigeaient en recours puisqu’il avait combattu la constitution de 1946 et offrait tous les gages de patriotisme. Mais ce style flamboyant qui l’a tant servi pour arriver au pouvoir a été aussi la cause de sa chute prématurée en 1968/69. On en est venu à lui reprocher de ne pas être assez « proche des Français ». Après la crise, vient le temps du désamour pour les grands hommes encore en activité.

En quoi la situation économique influencerait-elle aujourd'hui un tel choix ?

Pascal Perrineau : L'économie aujourd'hui est essentielle. Les principales préoccupations des Français restent le chômage et le pouvoir d'achat. La crise est rentrée dans les têtes et déclenche des inquiétudes et même des peurs. Le politique doit intervenir pour donner du sens aux efforts qui sont demandés aux pays et pour dresser un horizon. Pour cela, il faudrait peut-être une autorité politique qui soit en surplomb. Cette autorité politique peut très bien se marier avec la démocratie. Le général de Gaulle n'a jamais menacé la démocratie. 

Maxime Tandonnet : Beaucoup évidemment. Le chef espéré, aujourd’hui, c’est l’homme qui parviendrait à « sortir les Français de la crise. » Mais pour cela, il n’y a pas d’autre solution que le courage et l’effort, une mobilisation nationale en vue d’une transformation profonde du système économique et social pour restaurer la compétitivité de la France. Un chantier qui est à l’échelle des grands défis de l’histoire.

Après la publication du sondage, Marine Le Pen s’est félicitée que « Les Français réclament un chef ». La présidente du Front national en a tiré une conclusion : « Les Français pensent comme nous. ». Existe-t-il un risque de dérive populiste ?

Pascal Perrineau : La recherche d'un chef n'est pas contraire au jeu démocratique. Mais si on laisse trop longtemps les Français à leurs démons intérieurs, le venin d'une recherche non pas d'autorité, mais d'autoritarisme, peut s'instiller.

A la fin du XIX siècle, le général Boulanger est apparu dans une situation de crise alors que les Français étaient en but à la République parlementaire. Il était porteur de tendances politiques contradictoires qui venaient à la fois de la droite et de la gauche. Même s'il n'est pas passé à l'acte, il y avait derrière lui, la tentation de la sédition et du coup d'Etat. Là, en effet, on est dans des processus politiques où on peut sortir de la démocratie pour aller vers un autre type de régime.

Philippe Braud : Les hommes providentiels ne se sont imposés en France qu’à l’occasion de crises graves qui mettaient en jeu la survie des institutions voire celle du pays. La persistance d’une crise économique et financière telle que celle d’aujourd’hui ne remplit sûrement pas les conditions suffisantes pour créer un raz de marée en faveur d’une personnalité d’exception. C’est pourquoi le risque d’une dérive populiste me semble inexistant dans les conditions actuelles.

Quels exemples historiques d'homme providentiel seraient aujourd'hui pertinents ?

Maxime Tandonnet : On pourrait penser à Raymond Poincaré, pour la compétence, l’intelligence de la situation économique et la volonté de fer, bien sûr à Charles de Gaulle, pour sa vision de l’histoire et son sens de l’Etat. J’ajouterai Vincent Auriol, président de la République en 1947-1954, venu du parti socialiste mais qui une fois élu avait rompu tout lien particulier avec la SFIO, se voulait président de tous les Français, et ne supportait pas la moindre trace de sectarisme partisan. Le pays a soif d’unité comme le montre ce sondage où 70 à 80% des Français se retrouvent sur tous les sujets. Il ne supporte plus qu’on le divise et la bêtise de l’actuelle opposition haineuse droite-gauche, le sondage le dit aussi.

Au-delà de la personnalité de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, la figure du sauveur est-elle incontournable dans l’Histoire de France ? Se fait-elle sentir aujourd’hui encore davantage dans un contexte de mondialisation où le pouvoir des politiques semble plus limité que par le passé ?

Pascal Perrineau : Tous les Français on bien conscience que face aux grands défis du moment, la financiarisation du capitalisme, la montée du chômage, l'érosion du pouvoir d'achat, les pouvoirs politiques nationaux sont relativement impuissants. Cette demande d'autorité d'un chef est une demande de retour de la volonté au plus haut niveau du pouvoir politique. En effet, les Français veulent que le politique reprenne part sur les réalités. Ils savent très bien que le politique ne peut pas tout faire. Mais les Français veulent que le politique dresse un cap, un paysage et à partir de cela définisse des moyens. La demande d'autorité traduit une volonté de sortir du constat d'impuissance.

Maxime Tandonnet : La figure du chef de la nation n’est pas propre à la France. Dès qu’il y a une communauté politique, le besoin d’une figure unique, personnification de cette communauté, est peut-être inévitable, surtout en période de crise. Dans un contexte de mondialisation, d’affaiblissement de la souveraineté et des leviers de gouvernements, le statut de chef de la nation se joue sur son autorité naturelle, son prestige, son exemplarité, sa capacité à transcender les clivages idéologiques. Un bon chef n’est jamais seul, il s’entoure, délègue, écoute, partage les responsabilités, sinon, il va à la catastrophe. Un chef de la nation ne saurait être que Républicain et respectant la séparation des pouvoirs et les règles de la démocratie notamment la souveraineté du suffrage universel. Il n’a pas manqué grand-chose à Nicolas Sarkozy pour accéder à ce statut : son énergie, sa volonté, son engagement à accomplir des réformes très difficiles et impopulaires pour le bien du pays et l’intérêt général sont aujourd’hui reconnues et regrettées. Des maladresses dans le style, surexploitées par ses adversaires, ont malheureusement nui à son image et contribué à son échec. Il n’aurait jamais dû perdre en 2012 dans une France proche de ses idées et de sa vision des choses, comme le montre ce sondage.   

Philippe Braud : Les Français aimeraient que leur Président en impose davantage sur la scène internationale ou même sur la scène nationale. Comme les médias tendent à présenter François Hollande comme quelqu’un d’hésitant (en fait il me semble qu’il suit un cap très ferme mais qu’il ne peut guère avouer à la masse de ses électeurs), les Français imaginent qu’il a peu de volonté. Notre Président sait où il va mais il est contraint d’avancer masqué parce qu’il ne croit pas au socialisme à l’ancienne des Mélenchon, des Hamon ou des retraités du Parti communiste, et qu’il serait sacrilège de le faire savoir à haute voix même à ses électeurs. En revanche, là où les Français perçoivent une réalité indiscutable, c’est que François Hollande peine à se couler dans l’image d’un Président qui en impose. Dans sa rhétorique comme dans ses apparitions publiques, on sent chez lui l’effort à endosser son rôle. Et cela ne lui est pas porté à crédit. Il est en outre handicapé du fait que la France n’a pas su se réformer à temps pour demeurer en toute égalité le partenaire indispensable de l’Allemagne dans le concert européen. Ce rôle amoindri de notre pays pèse sur l’image de notre Président, quel qu’il puisse être dans l’avenir immédiat. 

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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