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Emmanuel Macron « maillot jaune » de l’année politique ? Et s’il n’y avait surtout aucun vrai gagnant ?
©JOEL SAGET / AFP

A la Pyrrhus

Lors d'un dîner organisé mardi soir à l'Elysée en compagnie de ses ministres et de leurs conjoints, Emmanuel Macron a filé la métaphore sportive pour résumer l'année écoulée : "On a commencé l'année avec les Gilets jaunes et on l'a fini avec le maillot jaune".

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy est rédacteur en chef Politique et Économie chez Paris Match. Spécialiste de la droite, il est notamment le co-auteur du livre Le Coup monté, avec Carole Barjon.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Y a-t-il vraiment un gagnant à cette saison politique ? Le bilan des Gilets jaunes et des européennes n'indique-t-il pas que tous les favoris sont sortis perdants de la bataille ?

Bruno Jeudy : Il y a clairement plus de perdants que de gagnants dans la saison politique qui se termine et il serait difficile d'attribuer, comme l'a fait Emmanuel Macron, le maillot jaune à l'exécutif, même s'il s'est plutôt bien sorti de la séquence des élections européennes grâce au double effondrement de LR et de LFI, qui ont permis au gouvernement de transformer une défaite en mini-victoire. Mais objectivement, la saison se termine sur un bilan plus que mitigé pour le pouvoir, à la fois il s'est sorti de l'interminable séquence des Gilets jaunes grâce au succès du Grand débat qui lui a permis d'étouffer cette colère. Pour calmer les jeux, le gouvernement a lâché dix-sept milliards en deux fois entre le mois de décembre et le mois d'avril et est parvenu à s'épargner une explosion sociale encore plus forte après celle qu'il a connue au moment de l'hiver et du printemps 2019.

Si on établit une hiérarchie des perdants dans la mesure où il y a quasiment que des perdants, on pourrait placer en première place Marine Le Pen. C'est celle qui a le moins perdu : elle a gagné les élections européennes. Sans doute espérait-elle un score plus important et un écart plus grand avec le pouvoir : au fond, elle fait un petit peu plus que son score de la présidentielle mais ne parvient pas véritablement à capitaliser sur la colère des couches populaires du pays. Ensuite, Emmanuel Macron a certes beaucoup perdu au début du mouvement des Gilets jaunes : il a ensuite regagné du terrain à la fois dans les sondages de popularité et lors des élections européennes où il a finalement échoué à la deuxième place d'un cheveu. Il a largement limité les dégâts, ce qui lui permet d'aborder la deuxième partie du quinquennat en remettant les compteurs à zéro et bénéficiant d'une opposition toujours divisée, pour partie inaudible et dépourvue de leader capables d'incarner une véritable alternance au pouvoir actuel. Derrière, c'est l'effondrement : Les Républicains sont tombés au plus bas électoralement de leur histoire, ont perdu leur leader Laurent Wauquiez. LR souffre de leadership et de loup politique incapable de se faire entendre de manière efficace par rapport au pouvoir actuel. Les Insoumis se sont effondrés : Jean-Luc Mélenchon a connu une année en Enfer, qui s'est terminée par un score dérisoire par rapport à celui de la présidentielle, lui qui voulait faire des européennes un referendum pour ou contre Macron, a encore perdu. Quant au PS, il reste dans ses eaux, autour de 6% et même en changeant tout, y compris en choisissant un leader plus écologiste-socialiste tel que Raphael Glucksmann, n'a pas réussi à enrayer son déclin qui paraît aujourd'hui irréversible. Seuls les écologistes ont surnagé dans cette ambiance de déclin : Yannick Jadot créant la surprise en obtenant plus de 13% des voix, ce qui est le plus gros score de l'histoire des écologistes en France. Mais il reste loin du score de LREM et il serait périlleux d'échaffauder des plans victorieux pour les élections suivantes dans la mesure où les européennes n'ont jamais influencé les scrutins suivants.

Christophe Boutin : La métaphore filée par Emmanuel Macron est en effet surprenante. Que l’année scolaire 2018-2019 ait commencé sous le signe des Gilets jaunes, nul n’en disconviendra. Que, par contre, la politique française ait maintenant un « maillot jaune » clairement identifié est beaucoup plus contestable. En fait de gagnants politiques il semble plutôt qu’il n’y ait eu que des perdants, perdant plus ou moins, ou de tout petits gagnants qui ne sauraient remettre en cause l’ensemble par leurs victoires limitées.

Il est vrai qu'Emmanuel Macron et le gouvernement d'Édouard Philippe ont réussi à inverser une tendance plutôt critique née de la crise des Gilets jaunes à partir de novembre 2018, mais attention à l’écriture de la geste présidentielle dans un récit mythique. Il n’est ainsi pas certain que le mouvement avait pour but de mettre à bas le gouvernement : dans ses débuts, il s'agissait plutôt d'une réaction contre des réformes jugées excessives, que le rétablissement d’un vrai dialogue aurait sans doute pu calmer. La montée en puissance de la crise est en effet essentiellement née du blocage gouvernemental et présidentiel, de la fin de non-recevoir adressée aux revendications économiques de cette France périphérique au nom d’une prétendue solidarité écologique. Il était bien tard ensuite pour que le président tente d'arrêter l'incendie par des concessions financières d'abord, puis, jouant sur la durée, par une tentative pour étouffer à petit feu le mouvement, mettant en place un simulacre de concertation autour du « Grand débat ». Avec le temps, récupéré par la gauche et maté par une répression sans précédent, le mouvement des Gilets jaunes s’est transformé, mais rien n’a été réglé en profondeur.

On a donc ici un homme politique et son parti qui ont simplement réussi à ne pas être emportés par une vague qu'ils avaient eux-mêmes contribué à créer, bien piètre victoire on en conviendra. Et l’on retrouve ces demi-succès à d’autres moments : le président Macron n'a pas réussi son pari de tourner en tête, devant le Rassemblement national, aux élections européennes ; et n'a pas réussi non plus cette prise en main de l'Union européenne qui devait en découler. Ses négociations avec ses « partenaires européens », au premier rang desquels une Allemagne sûre d'elle et dominatrice, pour la mise en place des nouveaux titulaires des postes clés des institutions le conduisent ainsi à devoir se limiter à un second rôle. Quant à la politique étrangère de la France, elle est toujours difficilement lisible, les innovations techniques futuristes du défilé du 14 juillet cachent très mal les lacunes de notre outil de défense, et on n’a guère renforcé que la sécurité des magasins des Champs Élysées et des ministères, quand celle des Français paraît toujours plus aléatoire. Difficile dans ce cas de parler du titulaire du pouvoir comme d'un maillot jaune qui aurait dominé par sa prestance et la qualité de ses mollets le reste du peloton.

Mais il est vrai que ce peloton est d’une insigne médiocrité, et la faiblesse de ses opposants offre par comparaison l'impression d'une maîtrise d'Emmanuel Macron et de son parti. Personne, par exemple, n’a véritablement été capable de récupérer à son profit la crise des Gilets jaunes. Certes, exaspérés par ce modèle progressiste dont Emmanuel Macron se veut le héraut, nombre d’électeurs ont choisi le camp opposé, celui du « nationalisto-populisme », mais Marine Le Pen et son Rassemblement national ont engrangé ce soutien sans jouer réellement de rôle dans la définition d'un nouveau rapport de force. Quant à Jean-Luc Mélenchon, la tentative de récupération menée par La France insoumise sur le mouvement des Gilets jaunes a eu un certain succès tardif, mais elle a parallèlement conduit nombre de soutiens initiaux du mouvement à s'en écarter, et le caractère excessivement mélodramatique donné par son leader maximoà sa confrontation à un appareil d'État qui s'ingéniait à lui demander des comptes n'a pas nécessairement porté ses fruits en termes de voix, comme l’ont montré les résultats des élections européennes.

Si victoire il semble y avoir, c’est bien sûr aussi parce qu’Emmanuel Macron, après avoir fait disparaître le PS en 2017, a obtenu le même résultat avec Les Républicains en 2019. Si François-Xavier Bellamy, séduisant nombre de militants, a pu sembler une planche de salut, les divisions internes du parti et un électorat moins convaincu par certaines approches sociétales ont eu raison de cette liste aux élections européennes. Depuis, de départ de Laurent Wauquiez en louvoiements de Valérie Pécresse, tandis que de frais jeunes gens se sentent pousser des ailes, le parti est à ce point en perte de vitesse que sa porte-parole vient de signer comme chroniqueuse chez Cyril Hanouna… À cette aune, même Gilles Legendre et Sybeth Ndiaye semblent des valeurs politiques.

Restent bien sûr EELV et sa percée aux élections européennes, mais peut-on véritablement parler de victoire et de « maillot jaune » ? Ils ont surtout bénéficié de la défection d'une partie des électeurs d'Emmanuel Macron de 2017, qui, trouvant que LREM effectuait un virage à droite, ont choisi de se porter sur un parti situé plus à gauche. Mais il s’agit ici de rester dans le sociétal bien plus que de s’attaquer au social, et la « gretinisation » des esprits semble atteindre ses limites – et avec elle la progression des Verts.

Avec tout cela donc, on ne voit apparaître, ni dans l'écurie présidentielle, ni dans l'opposition au président, de leader bien défini, maîtrisant clairement le jeu politique, disposant d'une équipe qui soit à son service mais aussi composée d’équipiers compétents et qui permette ainsi non seulement de gagner, par-ci par-là, une épreuve au sprint ou la montée d'un col, mais bien d'envisager sur le long terme le contrôle de la course politique.

S'il n'y a pas de gagnant à proprement parler à l'issue de cette année politique, y a-t-il un « moindre perdant » ? Quelle logique a dominé l'année politique qui vient de s'écouler ?

Christophe Boutin : Le "moindre perdant" que vous évoquez est très certainement Emmanuel Macron, mais pour une raison sans doute différente de celle que l'on pourrait attendre d'un homme politique. En effet, si Emmanuel Macron a moins perdu qu'il pouvait le craindre au début de l'automne 2018, ce n'est pas grâce à sa force de conviction dans ces one-man show interminables du Grand débat, ce n'est pas pour avoir enfin trouvé un moyen de répondre aux interrogations majeures des Français, qui restent toujours, sondages après sondages, les fameux « trois I » de l'immigration, de l’insécurité et de l'identité, ce n'est pas non plus par l’aura qu’il aurait acquise par sa place de leader sur la scène internationale, mais simplement parce qu'il est à la tête du véritable grand gagnant de la confrontation : l’appareil répressif d'État.

En effet, à l’occasion cette crise, l'appareil répressif d’État a utilisé à l'encontre de sa population des moyens qui jusque-là ne l’avaient jamais été. C’est ainsi que les forces de sécurité ont usé de matériels qui n'avaient jusqu'alors jamais été mis en œuvre, ou pas à ce niveau : blindés en zone urbaine, drones, utilisation massive de munitions non léthales mais causant des blessures graves, comme les grenades de désencerclement ou les lanceurs de balles de défense. Par ailleurs, l’autorité administrative a multiplié les zones interdites aux manifestations dans la plupart des villes importantes et dans la capitale ; les contrôles préventifs, même très en amont des sites de manifestations, sur les quais de gares lointaines, aux péages des autoroutes comme aux sorties de stations de métro – quand celles-ci n’étaient pas purement et simplement fermées. On a multiplié les contrôles d'identité, les gardes à vue, les incriminations pour les sujets les plus divers, et la justice a ajouté à cette répression en condamnant de manière systématique les personnes traduites devant elle : on en est à condamner pénalement des militants coupables d'avoir décroché dans certaines mairies le portrait de Jupiter. L'armée elle-même a été appelée à participer au maintien de l'ordre, ce pourquoi elle n’est ni formée, ni équipée.

Au prix d’un nombre de blessés jamais atteints depuis la guerre d'Algérie, et de condamnés sans commune mesure avec ce que l'on a pu constater dans des crises précédentes, cet appareil répressif d’État a gagné la manche. Sur le terrain des manifestations, en écartant de celui-ci ceux qui craignaient pour leur intégrité physique ; sur le terrain médiatique, grâce à la complaisance du « quatrième pouvoir » ; sur le terrain politique enfin, cette démonstration ralliant à Emmanuel Macron un « parti de l’ordre » qui ne se pose jamais la question de savoir au nom de quoi ce dernier devrait régner. Comme cet appareil répressif est actuellement à la main d’Emmanuel Macron, ce dernier bénéficie de cette victoire, et est donc ce « demi gagnant » que vous évoquez. Mais pour peu que ledit appareil tombe en d'autres mains, cette autre personne sera nécessairement le prochain « gagnant ». On peut s'en féliciter, on peut aussi le craindre, mais on comprend en tout cas, pour le Système en place et son oligarchie, l’obligation d’empêcher à tout prix un changement réel et de n’admettre que des changements de forme. D’où, tirant les enseignements de cette crise, un contrôle des réseaux sociaux accru et de nouveaux textes ajoutés à une réglementation qui n’en manque pourtant pas. Si l’on a ainsi des « demi-gagnants » on a aussi de vrais perdantes : les libertés.

La comparaison du président est-elle pertinente et bien choisie ? Si l'année a bien commencé avec les Gilets jaunes, n'a-t-elle pas aussi fini avec les Gilets jaunes ?

Bruno Jeudy : Il y a de la facilité dans cette métaphore de la part d'Emmanuel Macron. Il revient d'une étape du tour de France dans les Pyrénées et sans doute l'image d'un Français portant le maillot jaune et d'un Français victorieux en haut du Tourmalet lui a donné des idées et peut-être prend-il son rêve pour une réalité. Pour l'instant, la réalité c'est qu'il a certes repoussé la menace des Gilets jaunes et repris des points dans les sondages de popularité : il n'en reste pas moins que sa popularité dépasse difficilement un gros tiers de Français, ce qui ne fait pas non plus un candidat au maillot jaune pour l'instant, ou alors maillot jaune d'une étape intermédiaire et non sur les Champs-Elysées. Les Champs-Elysées sont en 2022 : Emmanuel Macron reste politiquement bien placé pour être candidat à sa succession, éventuellement au second tour. A-t-il pour autant déjà gagné ? Il est trop tôt pour le dire et tirer un bilan de son mandat. On voit certes que le niveau économique s'améliore, que politiquement les oppositions restent dans une situation très compliquée. Le passé récent nous a enseigné que la politique actuelle peut nous réserver des surprises, comme voir l'explosion d'un nouveau leader (écologiste ou populiste). On y verra sans doute plus clair après les élections municipales de 2020 et plus probablement après les régionales de 2021 pour désigner qui est véritablement favori pour remporter le maillot jaune en 2022.

En quoi cette affirmation du président est-elle révélatrice de la vision que le président a de la politique, sorte de compétition sportive où il y a des équipes, des leaders, des objectifs, un gagnant etc. ?

Bruno Jeudy : Emmanuel Macron aime bien les challenges. Il sait qu'aucun président ne s'est pour l'instant fait réélire en dehors des périodes de cohabitation, c'est-à-dire Mitterrand en 1988 et Chirac en 2002. Il conserve toutes ses chances aujourd'hui d'être réélu en 2022, ce qui n'était sans doute plus le cas de François Hollande à la même époque de son mandat. Maintenant, Emmanuel Macron, pour continuer à filer la métaphore cycliste, souffre sans doute d'être un coureur un peu solitaire, sans une solide équipe autour de lui. On a mesuré que ses coéquipiers n'étaient pas très solidaires, notamment lors de l'affaire Rugy, et qu'il a du mal à trouver des remplaçants dignes de ce nom : il s'est replié sur Elisabeth Borne, ministre déléguée peu connue du grand public et qui aura sans doute du mal à incarner la priorité de cette fin de mandat consacrée à l'écologie. Emmanuel Macron est un coureur solitaire lancé dans une échappée où il aura peu de soutien d'ici 2022. Certes il a du talent, il a montré que c'était un politique beaucoup plus malin qu'on ne l'imaginait, mais sans soutien ce sera sans doute compliqué pour lui.

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