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WeEuropeans : mais comment l’Europe en est-elle arrivée à une telle rupture avec ses citoyens ?
©Reuters

WeEuropeans

L’initiative civique WeEuropeans lance la plus grande consultation citoyenne jamais organisée : tous les citoyennes et citoyens des 27 pays sont appelés à s’exprimer sur l’avenir de l’Europe.

Axel Dauchez

Axel Dauchez

Axel Dauchez est un homme d'affaires et chef d'entreprise français. Après l'École polytechnique, il étudie l’ethnologie à l’École des hautes études en sciences sociales. Il rejoint successivement Procter & Gamble, Bossard consultants puis Cendant software avant de prendre la présidence de BDDP&Tequila interactive en 1998. Il rejoint Antéfilms, qui a pris le nom, MoonScoop, qu'il dirige, et distribue les aventures animées de SamSam, « le plus petit des grands héros » de Pomme d’Api, magazine du groupe Bayard.
Il devient en janvier 2010 directeur général de Deezer. En septembre 2014, il devient président de Publicis France.
Fin 2016, il quitte Publicis et lance sa startup Make.org une civic tech.
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Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Atlantico : Face au constat que vous faites selon lequel "Les Européens ont aujourd’hui le sentiment de ne plus se retrouver dans les actions de leurs leaders politiques et de l’Union Européenne" vous lancez une grande consultation  baptisée We Europeans afin de combler la distance entre électeurs et politiques et "remettre  les citoyens au centre du dispositif démocratique".             

Axel Dauchez : Il y a un enjeu d'espace commun. On retrouve à l'intérieur d'un pays, au niveau de l'Europe des sociétés de plus en plus fragmentées et déconnectées des systèmes démocratiques. Cette initiative a pour but de les reconnecter. Elle tente aussi de reconstruire l'action publique entre les citoyens là où le débat public a tendance à cliver. La démocratie aujourd'hui doit être efficace dans sa capacité à agir sur la réalité des gens mais est aussi un enjeu de réconcilisation des pays par la construction de positions communes.

Guillaume Klossa : La démocratie est un organisme vivant. La démocratie représentative a besoin d'être aujourd'hui complétée par des formes de démocraties délibératives et participatives quand les citoyens considèrent qu'ils ne peuvent plus se satisfaire d'une simple participation pendant une période électorale ou par un référendum souvent instrumentalisé. Cette démarche s'inscrit donc dans une évolution logique des mœurs démocratiques et contribue à faire évoluer les démocraties comme l'occident l'a fait depuis des milliers d'années. La fragmentation dont parle Axel Dauchez a été accélérée par l'apparition des nouvelles technologies à un moment où l'occident a perdu le leadership et à un moment où les valeurs ont été remises en question. Plus que jamais les citoyens ont besoin de reconstruire et d'être eux-mêmes les constructeurs des valeurs communes.

Il y a  une dynamique sociétale de fond qui conduit à cette nécessité de réinventer une nouvelle étape démocratique pour recréer du lien. Au niveau européen il faut être prudent car si l'on regarde  les derniers baromètres, jamais le sentiment d'appartenance à une communauté européenne n'a été aussi élevé depuis 10 ans. En France il y a une sur-attente par rapport à une Union européenne que l'on voit comme toute puissante alors qu'elle ne l'est pas. Mais il est certain qu'il n'y aura pas d'espace public européen tant qu'il n'y aura pas un minimum d'éducation civique européenne commune. Les Européens sentent ne pas avoir de base commune et il n'y a pas non plus d'expérience commune qui fait que le patriotisme européen serait une évidence. L'Europe n'est pas soutenable sans la construction d'un sentiment d'appartenance européen sur la base d'expériences communes. Les technologies et les plateformes comme make.org rendent désormais possible la construction d'un vrai espace médiatique européen. Nous sommes dans une période de transition et le sujet est de savoir si l'on va pouvoir s'investir collectivement ensemble pour redonner un souffle à l'Europe.

Toutes les démocraties sont dans une situation de difficulté mais il est important de relativiser la défiance envers l'Union européenne car l'on remarque qu'elle est souvent moins grande que la défiance contre les institutions nationales.  Maintenant il faut souligner qu'au niveau de l'Europe, il est vrai qu'elle manque d'interventions que le leadership est difficile et elle a trop souvent donné le sentiment qu'elle avait des difficultés à prendre des décisions et à les mettre en œuvre. De même manière, on a attendu de l'Europe qu'elle prenne des initiatives sur des sujets où ses compétences sont, in fine, très réduites. Je pense notamment aux politiques migratoires. Il n'y a pas de politique sociale européenne alors qu'il y a une demande de social qui est réelle mais c'est aussi la faute des Etats. Enfin l'Europe reste trop lointaine. On n'a pas suffisamment investi dans le fait de rendre concrète l'Europe pour les Européens. Et même aujourd'hui il est possible d'agir dans le cadre des traités existants pour rendre cette dernière plus démocratique, plus efficace et plus proche des gens.

Le but de cette consultation est qu'elle ait un impact. C'est dans cette optique que les résultats de la consultation transnationale vont donner lieu à un congrès des citoyens européens qui se tiendra le 22 mars prochain au parlement européen. C'est une réappropriation du parlement par les citoyens, à qui finalement il est destiné. Ce sont les auteurs des propositions qui viendront proposer les résultats aux chefs d'Etat, de gouvernement et aux candidats aux élections européennes qui seront à l'écoute. Il est important que le résultat qui sera produit ait un impact et soit pris en main par les politiques. C'est le seul moyen pour recréer du lien. On s'est donné deux objectifs : premièrement une démarche constructive et critique sur l'avenir et deuxièmement, réunir un débat sur ce qui rassemble les citoyens européens pour ne pas le laisser exclusivement se transformer en référendum pour ou contre l'Europe. Il y a vraiment un objectif de réimplication et un objectif de débat recentré sur ce qui intéresse et ce sur quoi les citoyens sont tous d'accord.

Concrètement, comment expliquez vous que l'on en soit arrivé à une situation telle que ce type d'initiative devienne nécessaires ? Quelles ont été les erreurs commises ? 

Axel Dauchez : La défiance est un phénomène qui aujourd'hui dépasse la problématique des institutions européennes et la manière dont elles fonctionnent. Il y a de plus en plus de distance entre les institutions et les citoyens car les corps intermédiaires se diluent, les gens ont une activité communautaire propre sur les réseaux sociaux et c'est dans ce contexte que nous essayons de recréer du lien. Nous essayons de capitaliser sur l'élan de participation sans précédent.

L'erreur a été de mettre en avant les consultations et les référendums non suivis de faits qui ont principalement contribué à cet éloignement. Après le phénomène global de crise de confiance est absolument présent dans toutes les démocraties et l'Europe prend sa part et est devenu une sorte de bouc émissaire facile.

Guillaume Klossa : Au niveau européen la démocratie a été construite en "silos", avec 28 espaces publics nationaux non articulés. Les citoyens ont le sentiment que chacun défend son bout de viande et les citoyens n'arrivent pas à se projeter ensemble, d'où la nécessité de construire un vrai espace public européen qui n'est pas en opposition avec l'espace public national mais qui doit se penser en complémentarité. Cette articulation est tout l'enjeu de l'expérimentation que nous menons.

Cette grande consultation sera-t-elle vraiment représentative de la volonté des populations européennes dans la mesure où il y a un vrai risque que seuls répondent ceux qui se sentent encore proche de l'UE ou ceux qui sont déjà fortement politisés ?  

Axel Dauchez : Tout d'abord, il n'y a aucun effet bulle. La technologie s'appuie sur deux choses : premièrement, aller chercher les citoyens de façon représentative (géographie, âge, genre), une démarche proactive pour aller chercher les gens et ne pas simplement laisser les groupes d'intérêt venir. C'est une particularité de la méthodologie qui nous assure que tout le monde va participer et que les gens qui participent ne seront pas des "effets de bulle". La deuxième chose c'est que dans les consultations traditionnelles ou les débats, qu'on peut avoir sur Facebook, effectivement on entend plus fort les gens qui parlent plus fort, les groupes d'intérêts constitués, les trolls, et tout ce qu'on a mis en place est un système pour éviter ça.

On voit les premières propositions issues des 27 pays, on a des propositions pour un renforcement de l'UE et des propositions pour une réduction de l'UE, on a toutes les tonalités qui sont présentes. Les seules choses exclues sont celles qui ne sont pas légales (appel à la haine, etc) qui sont refusées. Mais tout le spectre politique est représenté. On a dû faire 80 consultations et l'on a jamais eu autant de propositions, on a le double d'une consultation traditionnelle. Est-ce qu'on arrivera à intéresser une personne qui n'a rien à dire sur l'Europe ? Probablement pas, mais l'expérience est tellement légère, simple et ouverte qu'on se donne la possibilité de faire un début de chemin avec une grande partie de la population y compris ceux qui ne vont pas voter            

Guillaume Klossa : Pour la première fois sur l'Europe on propose une consultation transnationale, transpartisane, multilingue, non institutionnelle, et finalement opérée par des citoyens. C'est un cadre de confiance dont la démocratie a besoin et qui peut expliquer l'engagement ; si c'était fait par TV5 Monde ou par les institutions européennes, ça ne fonctionnerait pas. Il y a besoin aujourd'hui d'une démocratie européenne opérée par les citoyens européens de façon collective, c'est ce qu'on expérimente, on n'a pas de présupposés, on propose une méthode pour bâtir l'avenir collective.

Axel Dauchez : On a eu l'exemple des gilets jaunes ; une population qu'on pouvait considérer déconnectée de la politique et qui se sont trouvés engagés dans la chose publique, très engagés ; c'est incroyable à quel point les gens ont envie de [politique]. On fait une sorte de "grand débat" européen sauf qu'au lieu de le faire après la rue on le fait avant les élections. Ça procède de cette envie de se réapproprier [la politique].

Guillaume Klossa : Cette envie vit au cœur de manière pacifique. L'absence de tels outils au niveau national conduit à des crises, on a besoin de ce type de processus dans les pays et à l'échelle de l'Union. Et on a un taux de participation très supérieur à ce que j'ai pu voir dans d'autres consultations. Ce qu'on est train de faire c'est de l'innovation démocratique radicale, rendue possible aussi parce que la technologie, notamment de make.org, a été expérimentée sur une base nationale de grande échelle et a prouvé sa maturité. C'est important, ce développement technologique sécurisé permet de procéder à l'échelle européenne.

Axel Dauchez : La volonté citoyenne de s'exprimer va être de plus en plus forte partout, si l'on ne met pas de solutions en place elles vont s'exprimer sur réseaux sociaux de façon manipulable et violente, cette consultation démocratique transnationale n'est pas qu'une opportunité mais aussi une nécessité pour réconcilier institutions qui nous protègent avec les gens.

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