Waterloo, 200 ans après : la blessure qui ne passait pas (et la victoire cachée que les Français ne savent pas y voir)<!-- --> | Atlantico.fr
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La bataille de Waterloo rejouée.
La bataille de Waterloo rejouée.
©Reuters/Thierry Roge

Morne plaine

Face aux atermoiements de Paris, Bruxelles a renoncé à émettre une pièce de 2 euros commémorant le bicentenaire de la bataille de Waterloo. Preuve que la défaite française contre une coalition européenne reste un sujet sensible dans un pays qui a toujours un rapport ambigu avec son histoire.

Dimitri  Casali

Dimitri Casali

Dimitri Casali est Historien, spécialiste du 1er Empire et ancien professeur d’Histoire en ZEP, il collabore régulièrement avec la presse écrite, la radio et la télévision. Il est auteur d’une quarantaine d’ouvrages notamment : La France Napoléonienne (Albin Michel 2021), le Grand Procès de l’Histoire de France, lauréat du prix des écrivains combattants 2020 (Robert Laffont 2019), du Nouveau Manuel d’Histoire préface de J-P Chevènement (La Martinière 2016), de l'Altermanuel d'Histoire de France (Perrin), lauréat du prix du Guesclin 2011 ; l'Histoire de France Interdite (Lattès 2012). Par ailleurs, il est le compositeur du « Napoléon l’Opéra rock » et de l’« l’Histoire de France l’Opéra rock », spectacles musicaux historiques et éducatifs.

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Atlantico :  La France s'oppose à la frappe d'une pièce commémorative de 2 euros pour le bicentenaire de la défaite de Waterloo, ayant vu les forces françaises de Napoléon perdre contre une coalition européenne le 18 juin 2015. Pourquoi cette défaite – alors que la France en a connu beaucoup d'autres – reste-t-elle si "sensible" deux siècles plus tard ?

Dimitri Casali : Pour la France, la défaite de Waterloo en 1815 marque la fin de sa puissance hégémonique. Il faut bien se rappeler que depuis 1643 et la victoire à la bataille de Rocroi, la France était la première puissance européenne et sans doute mondiale. Waterloo était donc vraiment "la mère de toutes les batailles", et la défaite française a considérablement changé la face du monde, d'autant qu'il s'en est fallu de peu que la France remporte justement cette bataille, ce qui rajoute à son aspect emblématique.

Mais il y a également une tendance très française à s'intéresser plus à ses défaites qu'à ses victoires, et cela depuis très longtemps. Qui se souvient encore aujourd'hui des grandes victoires que furent Iena ou Friedland ? L'esprit français, et une certaine approche romatique portée par Victor Hugo, Musset, de Vigny ou Stendhal a marqué l'inconscient français. D'ailleurs l'expression "c'est Waterloo" est même passé dans le langage courant.

Les Britanniques ont fait part d'un certain "amusement" rappelant que Waterloo a une date fondatrice de l'identité européenne. Dans l'absolu, est-ce vrai ? Pourquoi la France, pays incontournable de l'UE, n'y trouve-t-elle pas son compte malgré tout ?

Dans une certaine mesure les Britanniques ont raison. La victoire contre Napoléon a d'abord été celle d'une coalition européenne qui a entraîné le rapprochement de nombreux peuples contre Napoléon. Mais finalement, avec un certain recul, c'est Napoléon, malgré sa défaite, qui a le plus marqué l'idéal européen. C'est Napoléon, notamment en établissant le Code civil, qui a contribué à répandre les idéaux de liberté et d'égalité face aux vieilles monarchies européennes. On a vraiment été dans un choc et le "vieux monde" et le "nouveau monde" même si sur le plan militaire c'est lie "nouveau monde" qui a perdu. En tant que Français, et malgré la défaite que fût Waterloo, on peut s'en féliciter.

"Je suis ravi que la zone euro veuille célébrer l'échec de la France à créer un super-état européen" a déclaré Sir Peter Huff, un parlementaire britannique. Quelles tensions la sensibilité sur cette question historique révèle-t-elle ?

Les Anglais apprécient Waterloo pour l'aspect de tragédie grecque que cette bataille revêt, mais il y a aussi chez eux un sentiment curieux, entre haine et passion. S'ils sont les premiers détracteurs d'un Napoléon qu'ils ont vaincu, ils en sont aussi admirateurs, certaines encyclopédies encensant l'empereur français, ce que l'on ne trouverait jamais dans un dictionnaire en France ou dans les livres d'histoire. Les Français, eux, n'ont même pas commémoré Austerlitz à l'époque Chirac/de Villepin, tout en n'acceptant pas que l'Europe célèbre notre pire défaite. Nous sommes tiraillés entre les deux extrêmes. 

La perception de la défaite de Waterloo est-elle une question qui passionne ailleurs qu'en France et au Royaume-Uni ? Pourquoi cette bataille a-t-elle encore une résonance mondiale deux siècles plus tard, même hors Europe ? De quoi est-elle le symbole ?

Aujourd'hui, tous les touristes japonais ou américains qui vont visiter le champ de bataille de Waterloo – 200 000 visiteurs par an, haut-lieu numéro 1 en Belgique – pensent que c'est Napoléon qui a remporté le combat ! C'est très évocateur. Il y a une vraie légende napoléonienne écrite par des romantqiues français, mais aussi des philosophes allemands, des américains, des italiens. Même Tosltoï en a fait l'éloge. Cette dimension mondiale en fait le personnage historique le plus connu dans le monde. Et les quatre jours du bicentenaire verront six mille figurants participant à la reconstitution, des figurants qui viendront parfois d'Australie ou de Nouvelle-Zélande. C'est incroyable. Il y a une fascination dans le monde entier... sauf en France, où il en réduit à six pages dans les manuels scolaires de quatrième, axées autour du rétablissement de l'esclavage et de la vision négative que l'on peut avoir du personnage.

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