Voitures électriques et climat : Tesla n’a pas envie d’en parler mais ses émissions de carbone vont augmenter de manière importante avec sa croissance<!-- --> | Atlantico.fr
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Une Tesla Model Y.
Une Tesla Model Y.
©WANG Zhao / AFP

Pas complètement propre

La vertu de Tesla - et des véhicules électriques en général - est-elle exempte de tout soupçon ? Dans les pays où l'électricité est très carbonée, les émissions de ces véhicules restent importantes.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Tesla est en passe de devenir l’un des constructeurs les plus courus du secteur automobile et avec l’augmentation des ventes, son postulat écologique de base est en train d’en pâtir. La conquête des marchés chinois et indien est-elle la cause de cela ? Les émissions d’un véhicule électrique dépendent-elles de la source d’énergie ? 

Jean-Pierre Corniou : Après des années de progression marginale, le développement rapide de la voiture électrique conduit à reposer le problème de la réalité de ses vertus environnementales. La voiture « zéro émission » n’est effectivement qu’un slogan, la réalité de la production et de l’usage d’un véhicule étant bien différente car toute forme de mouvement d’un objet d’au moins 1500 kg nécessite de l’énergie. Si les gouvernements ont subventionné batteries et moteurs électriques, c’est au nom de la lutte contre les émissions de CO2 des moteurs à combustion interne, essence ou diesel. Cette stratégie a fonctionné. En Chine, mobilisée pour exploiter l’abandon du moteur thermique comme levier majeur de développement d’une industrie automobile nationale, 5% du premier marché automobile mondial est désormais composé de véhicules électriques et 60% des bornes de recharge sont dans ce pays. Partout dans le monde, les annonces des constructeurs tant sur le nombre de nouveaux modèles électriques ou hybrides rechargeable que sur l’abandon, à terme, de la production de véhicules thermiques se multiplient. GM, lors du CES de janvier 2021, a annoncé un investissement global de 27 milliards de dollars pour lancer, d’ici 2025, 30 nouveaux modèles électriques autour d’une technologie de batteries modulaires, Ultium, permettant une grande souplesse de design. L’objectif de GM est d’arrêter de produire en 2035 tout véhicule thermique. Volkswagen s’est engagé sur le même objectif pour 2040. La convergence de ces annonces qui font de la voiture électrique, longtemps visible dans les seuls salons automobiles, une réalité de marché laisse augurer un avenir radieux pour la propulsion électrique.

Au moment où le bannissement effectif des voitures thermiques commence ainsi à devenir crédible, au cours des vingt prochaines années, la pertinence de ce basculement de la mobilité thermique à énergie fossile vers la mobilité électrique, qui n’élimine en rien les énergies fossiles pour la production d’électricité, oblige à poser la question du gain global effectif en émissions de gaz à effet de serre.

Tesla est l’initiateur visionnaire de ce mouvement et en est devenu le principal bénéficiaire en devenant le leader mondial de la voiture électrique, avec 500 000 véhicules vendus en 2020. Dans sa conquête mondiale, Tesla vient d’annoncer, en janvier 2021, son intention de s’attaquer au marché indien et éventuellement d’y construire une usine. Il est dès lors naturel que ces succès et cette forte visibilité font de Tesla un des acteurs pointés comme responsables de l’intensification de l’usage de l’électricité carbonée dans des pays comme la Chine et l’Inde qui dépendent encore massivement du charbon.

Cette accusation n’est pas nouvelle. On trouve, dès l’origine du succès de Tesla, des comparaisons critiques entre les émissions de CO2 de la Tesla S et celles de véhicules thermiques analogues. Une étude publiée aux États-Unis par le MIT dès 2017 avait démontré que, tout au long de sa vie, la Tesla S produisait 226 g/CO2 par km contre une Mitsubishi Mirage à moteur essence 192 g/km. Mais les auteurs avaient souligné que l’étude avait porté sur le Midwest où la production d’énergie électrique est essentiellement le fait de centrales thermiques, alors que pour l’ensemble des États-Unis la Tesla était plus vertueuse. Le mix énergétique est d’ailleurs tout l’objet du débat. …

Pourquoi l’entreprise Tesla garde-t-elle cette information dans l’ombre ? 

Tesla se positionne comme le leader de l’innovation dans le véhicule électrique. Malgré le choix initial de véhicules puissants et emblématiques, comme les modèles S et X, Tesla souhaite la démocratisation de la voiture électrique et a réussi brillamment son pari grâce au Model 3 qui représente aujourd’hui 80% de ses ventes. Avec l’introduction de son petit SUV le Model Y, c’est un nouveau créneau que l’entreprise entend maîtriser alors que la concurrence s’est organisée et que plus de 150 modèles électriques à batteries ou hybrides rechargeables sont aujourd’hui proposés sur les marchés.

Tesla, selon son emblématique patron, veut changer le monde. « Ce que fait Tesla », a-t- il déclaré en 2018, « est important pour toute vie sur terre ». Il ne cesse de répéter que Tesla qui a pour ambition de maîtriser toute la chaîne de valeur de la production d’énergie électrique, de la production de panneaux solaires, aux batteries stationnaires de stockage et bien entendu aux véhicules de transport, a une approche globale de l’énergie. Tesla travaille avec ses fournisseurs, comme Panasonic, pour améliorer l’efficience des batteries, allonger leur cycle de vie, rendre la recharge plus rapide tout en consommant moins de matières critiques, comme le cobalt, et favoriser la recyclabilité. L’objectif de Tesla, affirmé en 2020, est de se passer totalement du cobalt en adoptant la technologie lithium/phosphate/fer. Toutes ces actions ne sont pas seulement guidées par un souci environnemental, mais par le besoin de baisser les coûts des batteries qui représentent entre 30% et 40% du coût d’un véhicule électrique. L’objectif est de tomber à moins de 15% en 2030. Toutes les innovations doivent y contribuer. Le bénéfice environnemental est essentiel en même temps pour l’acceptabilité et pour la démocratisation du véhicule électrique.

Avec une empreinte environnementale forte, la voiture électrique a-t-elle encore un intérêt face à une motorisation thermique ? 

Il est évident que c’est un sujet majeur au moment où le marché est en train de se révéler et où les gouvernements, à l’instar de la Chine, leader, envisagent d’alléger, pour des raisons de coût, leurs subventions à l’industrie. Compte tenu des enjeux environnementaux et politiques, de nombreuses études ont comparé les émissions des véhicules électriques et thermiques tant au cours du processus de production, qui intègre la production des batteries au lithium, qu’en circulation. Plus récemment, des critiques sont apparues sur les hybrides rechargeables qui, en fait, n’étant pas rechargées par leurs utilisateurs auraient des performances médiocres en émission de CO2 en perdant l’avantage de la propulsion électrique. Les conditions de réalisation de ces études comme les origines de leurs auteurs, constructeurs, structures publiques ou associations environnementalistes, peuvent entacher leurs conclusions.Selon l’organisation bruxelloise « Transport & Environnement », une synthèse de onze études sur le cycle complet de production d’une voiture électrique démontre que, sur toute sa vie, une voiture électrique émet 50% de moins de CO2 qu’une voiture thermique de même classe et, dans des pays à énergie électrique fortement carbonée, comme la Pologne, ce résultat reste à 25% au-dessous d’une voiture thermique conventionnelle.

Une des études qui fait référence émane d’un organisme indépendant américain, l’International Council on Clean Transportation (ICCT), une ONG sans but lucratif qui vise à fournir aux autorités de réglementation environnementale une recherche impartiale ainsi qu’une analyse technique et scientifique. Sa mission est d’améliorer la performance environnementale et l’efficacité énergétique du transport terrestre, maritime et aérien au profit de la santé publique et de la réduction de l’impact du transport sur le changement climatiquei.

Cet organisme a joué un rôle majeur sur le dieselgate en démontrant, sans que ses conclusions techniques aient été remises en cause, que les constructeurs avaient triché sur le niveau réel des émissions de polluants (NOx et particules) en modifiant les réglages du moteur lors des cycles de tests. L’ICCT a publié, en février 2018 ,une étude sur les effets de la production de batteries sur les émissionsdeCO2sur lecycle de viedesvoitures électriques.

Les conclusions de l’ICCT sont très importantes pour éclairer ce débat. Elles sont sans ambiguïté : limpactcarbone de la fabrication et du cycle de vie des  batteries des voitures électriques, en comparaison avec un modèle thermique équivalent, disparait au bout de 2 ans d’utilisation moyenne, et de 18 mois si les batteries sont rechargées avec les énergies renouvelables. Outre une revue exhaustive de la littérature publiée depuis 2011,l’ICCT a comparé une Nissan Leaf et une Peugeot 208 1,6 Blue HDI, véhicule qui peut s’enorgueillir d’avoir le plus faible taux d’émission de CO2 en Europe.

  • Les émissions produites lors de la fabrication d’un pack de batteries sont similaires à celle produite lors de la fabrication d’un moteur à combustion interne moyen, soit 25% des émissions d’une voiture électrique pendant toute sa vie

  • L’impact en production de C02 d’un véhicule électrique est de 29% inférieure en Europe à celui d’un véhicule thermique optimisé

  • Le processus de production de batteries peut encore être largement optimisé, comme la gestion de la fin de vie des batteries, une batterie de puissance moins performante pouvant être exploitée en stockage.

Il ressort de cet intense travail d’analyse que la supériorité indéniable du véhicule électrique, reconnue par tous, est l’absence d’émission en ville et le silence de fonctionnement. L’inconvénient est le poids des batteries, de 250 à 600 kg, mais le problème environnemental le plus sérieux se situe en amont lors de la production des batteries, les conditions d’extraction du lithium, pour l’électrolyte, ou du cobalt, utilisé pour les cathodes, étant celles d’une industrie lourde peu connue pour être vertueuse, l’industrie minière. C’est une des raisons pour laquelle l’industrie tout entière mise sur des batteries moins polluantes, réduisant progressivement l’utilisation du cobalt et du lithium.

Même si les procédés de production de la batterie se révèlent rapidement plus vertueux, grâce à l’intensification de la recherche, il reste que les voitures électriques ont besoin d’électricité, soit transférée à partir du réseau électrique, soit produite à bord à partir d’hydrogène par des piles à combustible. La valeur environnementale de la propulsion électrique dépend donc de la qualité de la production d’énergie électrique ou d’hydrogène. Les pays qui ont naturellement un mix décarboné, soit grâce à la production hydraulique comme le Canada ou la Norvège, soit l’Islande avec la géothermie, sont les grands bénéficiaires de l’électrification puisqu’ils tendent vers une totale mobilité décarbonée. On peut aussi considérer que sur le strict plan de l’émission de CO2, l’énergie nucléaire présente les mêmes avantages, ce qui fait de la France un pays très favorable au développement d’un usage intensif des véhicules électriques. La Chine qui investit massivement sur l’hydraulique, le nucléaire et les énergies renouvelables, vise de passer de 70% d’électricité à base de charbon à moins de 20% en 2050. L’Inde qui dispose de trente années de réserves de charbon a un plan moins ambitieux de réduction de sa dépendance au charbon en développant massivement l’énergie solaire mais ce n’est qu’à partir de 2030 que le charbon verra sa part diminuer significativement.

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