Voilà pourquoi le système de soins français se détériore structurellement, malgré la hausse des budgets <!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres du personnel soignant dans un hôpital en Ile-de-France lors de la crise du Covid-19.
Des membres du personnel soignant dans un hôpital en Ile-de-France lors de la crise du Covid-19.
©MARTIN BUREAU / AFP

Médecine

Depuis 2010, le système de soins dysfonctionne chroniquement et les soins de recours sont portés à bout de bras par des soignants (infirmières et médecins en particulier) tant dans le public que le privé.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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LE SYSTEME DE SOINS SE DETERIORE STRUCTURELLEMENT, NOTAMMENT LE SYSTEME PUBLIC

Nous sommes dans une pénurie de temps de soins depuis longtemps et maintenant de soignants

Les médecins travaillent moins et ils tendent à éviter la pratique clinique. Dans ces conditions, étendre à l’infini les “besoins de médecins” et en conserver suffisamment pour soigner les malades est contradictoire. De la médecine de bureau dans les ARS à l’euthanasie “sans risque” en passant par les activités de soins de convenance, parallèles, esthétiques et autres trop d’heures de médecin sont consacrées à ceux qui n’ont pas besoin de soins de recours. La principale raison est simple: l’incitation aux soins de recours est négative. Prendre en charge des malades est plus difficile, plus risqué, plus chronophage et assorti d’une bureaucratisation intense. De surcroît c’est faiblement rémunéré. La solution est simple, il ne s’agit pas d’interdire (une addiction de la classe politique française) il faut rembourser à prix de marché le temps médical et infirmier avec les prélèvements obligatoires (en gros les cotisations maladie et une partie de la CSG) et laisser le reste à la discrétion des dépenses personnelles. Ce faisant nous ferions le choix de sauver des malades au lieu de plaire à un électorat en remboursant des activités non indispensables. Il faut aussi arrêter la folie normative qui fait du médecin l'assistante sociale “plus” qui rédige des certificats pour obtenir des avantages.

Nous dépensons beaucoup collectivement mais sans discernement (figure N°2)

Il y a au moins trois décennies que nous avons des difficultés en termes de financement et de ressources humaines pour prendre en charge à la fois le gros risque (médecine de recours), le petit risque (médecine de consommation) et les convenances (rien de médical). Petit à petit et sans aucune réaction de la technostructure et encore moins des politiques les convenances, le petit risque ont grignoté les ressources financières et humaines (toutes les catégories de soins sont remboursées en France avec un reste à charge le plus faible de l’OCDE). Une explication principale? L’alliance de l’idéologie et de l’électoralisme qui pénalise le gros risque. S’occuper de rembourser la énième paire de lunettes permet de récupérer plus de suffrages que de soigner dans les délais et avec une qualité mesurable les maladies cardiovasculaires, les cancers ou les maladies auto-immunes.

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Figure N°2: Tordons une fois encore le cou à une idée fausse: la France dépense beaucoup pour les soins, seule l’Allemagne dépense plus que nous en Europe (https://data.worldbank.org/indicator/SH.XPD.CHEX.GD.ZS?end=2021&locations=EU-FR-DE-SE-NL-IT-ES&start=2000). La moyenne de la dépense de soins dans l’OCDE a été de 9,6% du PIB en 2021. En 2020, l’Allemagne a dépensé 12,82 % du PIB et la France 12,21%. Un point de PIB pour la France en 2020 c’est 23 milliards d’euros. Nos dysfonctionnements ne sont en rien imputables à un manque de moyens. Les autres pays européens qui dépensent moins de 12% du PIB ont des systèmes de soins au moins aussi performants et une espérance de vie et de qualité de vie égale ou supérieure.

Revenir au soin, à la médecine

Depuis 2010 le système de soins dysfonctionne chroniquement et les soins de recours sont portés à bout de bras par des soignants (infirmières et médecins en particulier) tant dans le public que le privé. Cette génération s’en va tranquillement et on s'aperçoit que les avertissements qu’elle a lancés sont devenus réalité. Face à cette situation la technostructure (Ministère, ARS, CPAM) qui ne soigne pas un seul patient, qui ne partage pas les données, assène des diagnostics, empile les plans sparadrap à plusieurs milliards sans tenir aucunement compte des résultats. C’est insupportable pour les Français mais aussi pour tous ceux qui ont choisi de passer 10-15 ans à apprendre ce métier. Mettre un médecin à la tête du ministère est un leurre car c’est chez l’assureur que tout se décide. D’une mascarade on passe à une duperie. Ce constat  permet de comprendre que depuis 1980 ce qui a conduit à ne pas s'occuper des causes des dysfonctionnements ce sont probablement les lubies franco-françaises, les fameuses exceptions imaginées dans la bulle technocratique, adoptées sans les essayer et reconduites sans les évaluer. Ces lubies sont nombreuses et la liste suivante n’est pas exhaustive.
Florilège:

- La pire est certainement la soi-disant démocratie sanitaire et l’idéologie de l’accès aux soins sans préciser lesquels. Tous les soins ne peuvent être remboursés par des prélèvements obligatoires. Seuls les soins essentiels doivent être préservés à la fois en termes d’accès et de qualité. Les slogans de campagne présidentielle depuis 40 ans sont nourris de cette démagogie de l’accès aux soins sans définir lesdits soins, si bien que dans cette dérive les soins de recours deviennent la variable d’ajustement. Le fonctionnement des urgences, où en plus de rentrer “comme dans un moulin” on exige des soins qui ne sont pas urgents au détriment de ceux qui moins vociférants attendent qu’on leur sauve la vie, est l’exemple typique de cette dérive où l’ajustement de la demande se fait par l’éviction de la médecine de recours.

- La deuxième exception qui le dispute à ces concepts creux c’est l’étatisation d’A. Juppé qui, remarquons le, a recueilli les soutiens de toute la classe politique. Cette étatisation par l'intermédiaire de préfets sanitaires à la tête des ARS est totalement inutile mais consomme beaucoup d'argent, de ressources humaines et de temps de soignants. Or en France il est très difficile de supprimer l’inutile. Surtout pour laisser place à la responsabilité, à la subsidiarité et à l'autonomie.

- La troisième est l’application à une activité très consommatrice d’heures de travail de l’oukase des 35 heures sans discernement. Il n’y avait pas la ressource humaine pour augmenter les effectifs et le blocage des salaires a désespéré les personnels présents. Les 35 heures dans les hôpitaux c’est comme le numerus clausus pour les médecins. 43 ans pour bouger le curseur. Et pendant ce temps perdu les doyens, l’Ordre, le Ministère, les sachants nommés à vie fustigeaient ceux qui osaient mettre en doute le dogme, sa doctrine et l’inaction.

Il faut revenir au soin, à la médecine et laisser choir ces illusions car elles ont conduit à un échec. Les moyens financiers sont considérables il faut le constater pour avancer. Comment expliquer les dysfonctionnements si comme le démontre les nombres les moyens financiers sont exceptionnellement hauts par rapport aux autres pays européens? Dans un troisième article j’analyse ce qu’a fait récemment l’unique acteur, l’État qui tient tous les leviers du changement.

Pour retrouver la première partie de la série d'articles du Dr Pelouze : cliquez ICI

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