Voilà comment l’industrie pétrolière russe est parvenue à un puissant rebond en 2023 malgré les sanctions occidentales<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine lors d'une réunion au Kremlin.
Vladimir Poutine lors d'une réunion au Kremlin.
©Alexei DRUZHININ / SPUTNIK / AFP

Echec des mesures

Au cours de l'année 2023, la Russie a enregistré un nouveau record de forage pétrolier, selon les données de Bloomberg.

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Atlantico : La Russie est en passe de connaître une deuxième année de forage pétrolier record en 2023. Dans quelle mesure cela s’apparente à une nouvelle preuve de l’échec des sanctions occidentales ?

Jean-Pierre Favennec : La Russie dispose des plus grandes réserves de gaz de la planète et possède de très importantes réserves de pétrole et de charbon. La Russie est depuis longtemps l’un des principaux producteurs de pétrole brut dans le monde (avec l’Arabie Saoudite et désormais les Etats Unis, premiers producteurs). C’est également le second producteur de gaz naturel, après les Etats Unis.

La production de pétrole et de gaz en Russie a toujours joué un rôle clé dans l’économie du pays. Les recettes venant du secteur hydrocarbures représentent près de 50 % du budget de l’Etat. La production de pétrole avait atteint un sommet en 1986 et les prix élevés du début des années 1980 avaient permis la survie de l’URSS mais l’effondrement du prix du brut en 1986  - de 28 à 10 dollars par baril - ont asséché les finances de l’Union, La chute de l’Union Soviétique en 1991 est largement attribuée à cet effondrement des recettes pétrolières.

La production pétrolière a fortement baissé après la chute de l’URSS avant de revenir à un niveau proche de 10 Mbj (Millions de barils par jour), niveau qui est resté relativement constant depuis 2000. Les sanctions occidentales n’ont pas eu d’effet sur la production qui reste également stable depuis février 2022, date de l’invasion de l’Ukraine.

Quels étaient les objectifs des sanctions américaines et européennes ?

Concernant le gaz naturel une partie importante de la production russe était exportée vers l’Union Européenne qui elle-même dépendait pour 30 à 40 % de ses besoins de la Russie (150 à 200 milliards de mètres cubes par an importés de Russie pour une consommation d’environ 500 milliards). Pour faire pression sur les occidentaux la Russie a progressivement réduit le volume de ses exportations qui ont été réduites de 90 %. Ses exportations passaient pour l’essentiel par l’Ukraine et par le gazoduc Nordstream qui allait directement de la Russie à l’Allemagne mais qui a été saboté en septembre 2022 et qui est hors d’usage.

Les Occidentaux ont lancé plusieurs séries de sanctions contre la Russie dans l’espoir que ces sanctions affaibliraient l’économie russe et donc réduiraient l’ action des armées russes en Ukraine. Les sanctions les plus importantes visaient l’interdiction de l’utilisation de facilités bancaires, l’arrêt des importations de pétrole brut russe en Europe, l’interdiction aux entreprises occidentales d’intervenir ou de fournir de la technologie à la Russie. La dernière sanction consistait à plafonner le prix du brut russe (à 60 dollars par baril, prix nettement inférieur au cours mondial) en tablant sur le fait que le transport et l’assurance des cargaisons de brut russe se faisaient souvent avec le concours de sociétés d’assurance et de transport occidentales, donc faciles à contrôler

Début 2024 force est de constater que ces sanctions ont été globalement inefficaces. La Russie a redirigé les cargaisons de brut qu’elle envoyait en Europe vers la Chine, vers l’Inde et vers quelques pays africains, tous très heureux de bénéficier de l’accès à un brut que, sanctions ou pas, la Russie devait vendre avec un rabais.  Pour échapper au plafonnement du prix du brut, la Russie a racheté un nombre impressionnant de bateaux plus ou moins vétustes mais qui échappent aux sanctions occidentales.

Dans le domaine du gaz les exportations de gaz vers l’Europe, qui représentaient la majeure partie des exportations de gaz naturel, n’ont pu être compensées même si la Russie accroît ses ventes vers l’Asie car il faut des tuyaux couteux et longs à construire. Mais les ventes de gaz représentent des sommes beaucoup moins importantes que les ventes de pétrole.

Pourquoi la Russie s’attelle-t-elle à poursuivre de manière frénétique les forages alors que la production reste faible ?

La production de gaz a été affectée du fait de l’arrêt des exportations de gaz vers l’Europe qui représentaient près du quart de la production russe. La production russe a donc chuté d’environ 10 à 15 %. Cette chute affecte en particulier la société Gazprom qui était l’opérateur des exportations de gaz vers l’Europe

A l’inverse la production de pétrole n’a pas été affectée et reste stable. Le vieillissement des champs et la nécessité de maintenir la production donc de garantir les recettes nécessaires au budget russe et à la poursuite de la guerre en Ukraine, expliquent cette accélération des forages.

Comment jugez-vous la situation énergétique de la Russie ? Est-elle totalement indépendante dans ses services pétroliers ?

La situation énergétique de la Russie reste tout à fait satisfaisante. Les très importantes réserves de gaz, de pétrole et de charbon permettent à la Russie d’être le troisième producteur d’énergie dans le monde après la Chine et les Etats Unis mais avec une population très inférieure. La Russie dispose donc de quantités très importantes d’énergie pour alimenter son industrie, son marché domestique et … ses armées.

L’abondance des ressources permet à la Russie d’exporter des quantités massives de pétrole mais aussi de charbon et, désormais dans une moindre mesure de gaz naturel. Les recettes de ces exportations sont fondamentales pour l’économie russe.

Les sanctions occidentales n’ont pas eu d’effet sensible. Le seul problème pour la Russie est l’arrêt des exportations de gaz vers l’Europe, mais il n’est pas dû à des sanctions. Les sanctions pourraient même avoir pour effet d’inciter la Russie à développer sa propre technologie pour remplacer les technologies occidentales désormais inaccessibles. L’exemple de l’industrie du gaz naturel liquéfié est intéressant : les projets de construction sont retardés mais pourraient voir le jour avec une technologie russe.

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