Vladimir Poutine a-t-il eu la peau de Draghi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien ministre de l'Intérieur italien Matteo Salvini lors d'une conférence de presse à Moscou en juillet 2018.
L'ancien ministre de l'Intérieur italien Matteo Salvini lors d'une conférence de presse à Moscou en juillet 2018.
©Vasily MAXIMOV / AFP

Influence russe

La Russie serait-elle derrière la chute du gouvernement italien ? C’est ce que sous-entend le quotidien italien La Stampa. Le journal a révélé des contacts secrets entre le parti de Matteo Salvini et des représentants de la Russie.

Federico Fubini

Federico Fubini

Federico Fubini est journaliste et correspondant au Corriere della Sera.

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Atlantico : Selon certains médias et d’après un de vos articles sur le site de Project Syndicate, la Russie pourrait avoir joué un rôle dans l'effondrement du gouvernement d'union du Premier ministre italien sortant Mario Draghi. Vladimir Poutine a-t-il réellement tenté de faire tomber Draghi ? Cette question peut-elle légitimement se poser ? Est-ce crédible de s’interroger sur cette possibilité ?

Federico Fubini : Il ne serait pas du tout surprenant que Vladimir Poutine et les services secrets russes aient essayé de jouer un rôle. Cette pratique est envisageable de leur part. De telles opérations de déstabilisations politiques ont déjà été menées par la Russie en 2016 aux Etats-Unis, au Royaume-Uni avec le Brexit. En Italie, il y a des éléments qui ont fait soupçonner un financement de la Russie envers la Ligue du Nord en 2018-2019. Il est possible d’assumer que ce type de pratiques aient bien été menées par la Russie.

Au printemps dernier, il y a eu un épisode très bizarre. La nouvelle d’une visite soudaine de Matteo Salvini à Moscou a été communiquée. Il allait effectuer un certain nombre de rencontres semi-officielles avec des représentants de la Douma et de partis politiques. Il faut rappeler que la Ligue s’est ralliée avec un accord formalisé avec Russie Unie. Des relations étaient donc formalisées au niveau de certains partis politiques entre la Russie et l’Italie. Cela a déclenché des polémiques en Italie. La Ligue faisait partie de la majorité de Mario Draghi qui s’était engagé à contribuer aux directives européennes liées aux sanctions à l’égard de la Russie et à les soutenir.

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A la suite de cela, on a même appris que l’ambassade russe avait acheté des billets d’avion pour Salvini pour qu’il puisse se rendre en Russie. On a même appris qu’il y a eu un dîner privé de Salvini avec l’ambassadeur. En suite La Stampa a fait un article dans lequel elle révèle qu’au mois de mai, le numéro deux de l’ambassade russe s’était adressé à quelqu’un dans la Ligue chargée des relations internationales et lui avait demandé si elle allait priver le gouvernement de son soutien. Il y a eu des démentis des services secrets italiens mais ils n’étaient pas très convaincants. La Repubblica a démontré que juste avant le vote du Parlement sur lequel le gouvernement est tombé, Berlusconi était au téléphone avec l’ambassadeur russe. Berlusconi en a parlé lui-même avec d’autres personnages politiques. Par le passé, Berlusconi avait déjà eu des positions très pro russes. Il a des relations de très longs termes et amicales avec Vladimir Poutine. Ce qui est certain, c'est que Berlusconi et son parti on contribué de manière décisive à faire tomber le gouvernement de Draghi. Je crois que ses incentives étaient plutot liés à la politique interne italienne, mais Berlusconi n'a jamais démenti avoir été en contact avec l'ambassadeur russe pendant les jours de la crise gouvernamentale.       

Ces différents événements nous interpellent : le numéro deux de l’ambassade de Russie qui pose la question à la Ligue, l’appel de l’ambassadeur russe avec Berlusconi et les relations fréquentes de Salvini avec Russie Unie et avec l’ambassadeur de Russie.

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Ces événements se sont déroulés lors du mandat de ce gouvernement.

Giorgia Meloni, la leader de Fratelli d'Italia (le parti en tête dans les sondages), a pris une position qui est un peu différente. Elle est plutôt ralliée aux Républicains américains. Elle dit qu’elle est pro occidentale mais dans le même temps elle estime que les pays qui payent un prix très lourd à cause des sanctions devraient avoir droit à une compensation.

Même si ce n’est pas démontré, il y a des éléments qui laissent à penser que la Russie a pu avoir une influence sur la vie politique italienne. Il est évident que Poutine a dû être très content en voyant les changements politiques en Italie et en découvrant la chute de Mario Draghi.

Cela est-il dû au fait qu’une partie de la classe politique ait des proximités et des intérêts avec la Russie ou est-ce plutôt dû à des pressions et à des négociations ?  Qu’est-ce qui pourrait expliquer ces accointances ?

Matteo Salvini a commencé à avoir des relations avec les Russes dans la première partie de la décennie passée. Il était apparu au Parlement européen avec un t-shirt avec l’image de Poutine en 2015. Il s’est rendu en Russie plusieurs fois, y compris lorsqu’il était vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur. Salvini avait alors déclaré à Moscou qu’il se sentait mieux ici que dans les capitales européennes. Une rencontre entre des membres de la Ligue et des émissaires russes avait été enregistrée et diffusée sur BuzzFeed. Ils promettaient des financements (des dizaines de millions d’euros). La Ligue a eu des difficultés financières assez sérieuses.

Berlusconi a déclaré à plusieurs reprises par le passé qu’il comprainait très bien la position de la Russie dans la guerre contre l’Ukraine.

Cela concerne donc deux des trois partis qui veulent former la prochaine majorité de gouvernement en Italie si la droite gagne les élections. L’enjeu est assez important.

Politiquement, depuis 2018, beaucoup de choses ont évolué en Italie. Les partis populistes italiens ne veulent plus sortir de l’euro. Avec les interventions de la BCE pendant la pandémie et le Plan de relance NGEU, les mots d’ordre des anti-européens n’ont pas de sens.

L’attitude des prorusses a elle-même évolué. Ils ne peuvent plus s’exprimer aussi ouvertement qu’avant vis-à-vis de leur soutien à la Russie au regard de ce qu’il s’est passé en Ukraine. Ils sont beaucoup plus prudents en ce moment.

Derrière tout cela, Vladimir Poutine ne cherche pas à obtenir un changement d’alliance. S’il devait y avoir un nouveau paquet de sanctions contre la Russie, Poutine pourrait espérer que l’Italie pose des problèmes.

Le seul pays qui a demandé une diminution des sanctions est l’Allemagne, à cause de l’épineux dossier de la turbine de Siemens. Cela a été présenté comme une demande exceptionnelle liée à la turbine alors que le texte juridique de la décision n’a jamais été publié par les gouvernements canadiens et allemands.

Certains gouvernements sont très favorables aux sanctions envers la Russie et en réalité ils ne sont pas très transparents sur leurs relations avec Moscou.

Ce que Poutine pourrait espérer serait que l’Italie en Europe « pose problème » avec un nouveau gouvernement. La coalition de droite et Giorgia Meloni sont en tête dans les sondages. Si ce scénario se confirme et qu’ils accèdent au pouvoir est-ce que cela ferait évoluer la position italienne sur la Russie ?    

Cela reste à prouver. En 2018-2019 lorsque l’Italie avait un gouvernement populiste, il y a eu une différence importante entre les déclarations sur ce qu’ils voulaient faire et ce qu’ils ont pu faire. Il ne faut pas sous-estimer le fait que l’Italie est très enracinée dans ses relations européennes et occidentales. Avec la dette publique très élevée de l’Italie, l’idée de mettre en question le cadre des alliances européennes et internationales fragiliserait l’Italie au niveau financier. La marge de manœuvre est donc très limitée.

Entre 2018, lors du gouvernement de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles, la menace de sortie de l’Italie de l’euro était réelle et accompagnée de projets de budgets en hausse. Mais si vous étudiez les données de la Commission européenne, le surplus primaire de l’Italie a même augmenté cette année-là. Ils n’ont donc rien pu faire.

Un revirement d’alliance reste assez délicat à mettre en œuvre en Italie.

En cas de discussions sur un nouveau paquet de sanctions, l’Italie pourrait avoir une position un peu moins favorable à la rigueur absolue dans les sanctions. Je doute fort qu’elle arrive à maintenir cette position face à la pression des autres pays et partenaires européens.

Poutine ne va-t-il pas se retrouver avec un véritable allié en Italie ?

Si les candidats favoris dans les sondages remportent les élections, Giorgia Meloni accédera au pouvoir et sera nommée Première ministre. Les points de repères de Giorgia Meloni ne sont pas Vladimir Poutine et liés aux intérêts russes, il s’agit plutôt du parti républicain américain. Elle ne regarde pas du côté de Moscou mais plutôt du côté de l’Atlantique et des Républicains, tout en affirmant être pro-occidentale. Reste à savoir quelle sera sa position réelle vis-à-vis des sanctions contre la Russie.        

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