Vladimir Poutine : la part du calcul stratégique, la part de la déraison <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe Vladimir Poutine s'exprime lors de son discours à la nation au Kremlin à Moscou le 21 février 2022.
Le président russe Vladimir Poutine s'exprime lors de son discours à la nation au Kremlin à Moscou le 21 février 2022.
©ALEXEY NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP

Guerre en Ukraine

Le président russe a annoncé ce jeudi 24 février le début d'une "opération militaire" en Ukraine. De puissantes explosions ont retenti dans plusieurs villes du pays. Vladimir Poutine souhaite faire revenir Kiev dans le giron de Moscou au nom de la grandeur russe et faire reculer l'OTAN.

Dominique Moïsi

Dominique Moïsi

Dominique Moïsi est membre fondateur de l’IFRI (Institut Français des Relation Internationales), et auteur de La Géopolitique de l’Emotion et dernièrement de La Géopolitique des Séries ou le triomphe de la peur.

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Françoise Thom

Françoise Thom

Françoise Thom est une historienne et soviétologue, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Paris-Sorbonne

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Atlantico : Depuis son accession au pouvoir le président Russe n’a eu cesse de faire référence à l’ancien glorieux passé soviétique et au drame de la dislocation de l’empire en 1991. Aujourd’hui avec l’offensive ukrainienne, il montre clairement son intention de replacer la Russie dans cette histoire ancienne. À quel point le discours et les actions de Poutine sont-ils mues par un mélange de rationalité et de clôture par rapport au réelOn évoque le côté calculateur du président russe. Quelle part de l’action russe est effectivement issue d’un calcul de long terme ?Peut-on penser que Poutine a une vision claire du coût bénéfice risque de ces opérations ? Et des limites à ne pas franchir ?

Dominique Moïsi : Il y a une touche de cynisme absolu chez Vladimir Poutine avec une vision Bismarckienne ou Machiavellienne. Son appel au nationalisme est presque de nature religieuse, sinon mystique. Pour lui, l’Ukraine est « le berceau de la civilisation slave et il ne peut pas être pleinement russe s’il ne contrôle pas l’Ukraine ». Il est dans une bulle de pensées folles et personne autour de lui ne peut le contredire. 

À court terme, ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est le triomphe de Poutine. Mais à moyen ou à long-terme, ce que nous avons vécu aujourd’hui est le début de la fin de son règne. Il a été trop loin… Pourtant, cela ne veut pas dire que l’OTAN va envoyer des hommes pour sauver l’Ukraine, mais quand les cercueils de soldats russes reviendront en Russie et quand leur nombre s’agrandira avec la résistance ukrainienne, quand les Russes souffriront pour des raisons économiques, il se peut que le peuple se réveille. Il se dira alors que cette guerre n’est pas la leur, mais celle de Poutine. 

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On peut faire une comparaison entre Poutine et Hitler car l’obsession du chef du IIIe Reich était la revanche sur le traité de Versailles. Hélas pour lui, il avait une autre obsession qui lui a fait perdre de vue son objectif principal qui était l’élimination des juifs, mais Poutine n’a qu’une obsession : éliminer l’humiliation de la fin de l’URSS en 1991 et la suite des événements. 

Pour lui, la consolidation de son pouvoir à l’intérieur, étendre son empire à l’extérieur, retrouver la légitimité identitaire d’une identité slave, passe par l’Ukraine. Il est difficile de comprendre comment nous n’avons pas saisi cela. Il l’a écrit, il l’a dit, mais cela paraissait tellement énorme que nous n’arrivions pas à le croire. Hélène Carrère d’Encausse, témoigne de cela quand elle disait sur France 2 que « Poutine n’est pas un crétin et que jamais il n’envahira l’Ukraine »… Je lui ai répondu dans une de mes chroniques que, non ce n’est pas un crétin, c’est un fou. 

Il évoque dans son comportement certains empereurs romains. 

Poutine est un grand tacticien et un pauvre stratège. Il n’y a pas de limite chez lui. On parle souvent dans les pays démocratiques de l’érosion du pouvoir si une personnalité politique l’exerce trop longtemps. Dans les pays despotiques, c’est peut-être plus dangereux. Un homme au pouvoir depuis plus de 20 ans à l’instar de Poutine commence à se croire invincible, inarretable et c’est là qu’il va trop loin et dérape. 

Françoise Thom : Il y a du calcul mais il n’y a aucune rationalité dans les actions du président russe. Et c’est parce qu’il sait si bien calculer qu’on a cru en Occident - et en Russie - qu’il était rationnel. Poutine ne perçoit du réel que les éléments qui s’intègrent dans sa vision préconçue des choses. Il a un flair remarquable des faiblesses de l’Occident, sait admirablement en jouer. Ainsi le coup de force qu’il a commencé à mettre en œuvre à l’automne 2021 reposait sur le calcul suivant : Gazprom ferme ses robinets et la pénurie en gaz met les Européens à genoux. L’Amérique est paralysée par l’affrontement avec la Chine et a piteusement quitté Kaboul. Le monde occidental est donc mûr pour une redistribution radicale du pouvoir en Europe qui donnerait à la Russie une position hégémonique sur le continent. Ces prémisses sont à l’origine de l’ultimatum du 17 décembre 2021 qui exigeait un recul de l’OTAN sur ses positions de 1997 sous peine de mesures militaires de la Russie. L’erreur de calcul de Poutine tient à ce qu’il se représente les pays occidentaux comme la Russie. Il voit en face de lui des leaders faibles, il se plaît à se considérer  en homme fort providentiel. En conséquent, dans son esprit, tout l’avantage va à la Russie. Il ne comprend pas que les pays démocratiques tiennent avant tout par leurs institutions et non par le leadership et qu’ils ont à leur disposition d’immenses moyens. Il a certainement été surpris de la fin de non-recevoir opposée à son ultimatum.

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Poutine ne pense plus en termes de « coût bénéfice ». Il a pris l’habitude de gagner dans tous les coups de force qu’il s’est permis jusqu’ici. Il s’imagine que l’Occident va se borner à des protestations plaintives et des mesures symboliques comme à l’accoutumée et que bientôt les affaires reprendront. Quant à lui, il veut entrer dans l’histoire comme rassembleur des terres russes et tant pis si les Russes sont privés de mozzarella. 

Certains analystes voient dans le détachement de la réalité de Poutine au nom de son idéologie le signe de pulsions paranoïaques ? Voit-il effectivement des menaces imaginaires ? Quid de la peur de l’OTAN ?

Dominique Moïsi : Lorsqu’il brandit la peur de l’OTAN, il s’agit purement de manipulations. Hitler croyait que le juif était un danger, mais il ne croyait pas que le contrôle des Sudètes était un danger pour l’Allemagne. Rétrospectivement, l’idée selon laquelle on pourrait intégrer l’Ukraine dans l’OTAN était une erreur stratégique. Lors d’un entretien avec George Kennan, alors qu’il avait 94 ans, il me disait que c’était une très mauvaise idée. En évoquant le fait que l’Ukraine pouvait entrer dans l’OTAN, nous avons donné un argument et un prétexte à Poutine. 

Cependant, il ne faut pas expliquer, comme disait Fillon ou Védrine, que nous sommes responsables de cette situation. Poutine aurait trouvé un autre prétexte pour remettre l’Ukraine dans la sphère d’influence russe. Ce n’est pas la finlandisation de l’Ukraine qui est important pour lui, mais son asservissement. 

Françoise Thom : En effet le discours de Poutine est totalement paranoïaque. Qui peut croire que la Géorgie ou l’Ukraine s’aventurent à attaquer la Russie ? Quel danger présentait l’OTAN pour la Russie alors que l’alliance était à demi moribonde avant  que Poutine ne la resuscite par sa folle politique ? De même la plupart des griefs qu’il avance contre les Occidentaux sont largement imaginaires. La vérité est qu’il se sent menacé par tout ce qu’il ne contrôle pas. Il a peur du voisinage d’hommes libres.

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Lorsque Poutine utilise l’histoire pour justifier ses actions contre l’Ukraine, est-ce une vision juste ou fantasmée de l’histoire qu’il mobilise ?

Dominique Moïsi : L’Histoire qu’utilise Poutine est biaisée. Il réécrit l’Histoire. À propos de la situation actuelle, on peut retenir cette formule soviétique « ce qui est à moi est à moi, mais ce qui est à vous est négociable » et une deuxième phrase de Kissinger « la sécurité absolue d’un acteur signifie l’insécurité absolue de tous les autres ». Il parlait de l’URSS, mais cela s’applique parfaitement à la Russie de Poutine aujourd’hui.

Françoise Thom : Poutine ne connaît rien à l’histoire, à laquelle il s’intéresse exclusivement pour y puiser des éléments étayant ses constructions paranoïaques, dans le style « L’Occident a toujours voulu affaiblir la Russie », et pour justifier ses ambitions impériales, dans le style « Les Ukrainiens et les Russes ne sont qu’un même peuple ». Comme il ne sait pas ce que c’est que l’honnêteté intellectuelle, la quête impartiale de la vérité, l’histoire n’est pour lui qu’un champ de guerre parmi d’autres avec les Occidentaux.

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