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France, ton vin est dans le rouge
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Les 12 travaux de Bacchus

La culture du vin a davantage évolué en vingt ans que durant tout le XXe siècle. Mais la France ne semble pas devoir en bénéficier. Pourtant, les tendances du marché n'ont jamais été aussi favorables. Eclairage de Christophe Juarez, auteur de France, ton vin est dans le rouge. Extraits.

Christophe Juarez

Christophe Juarez

Christophe Juarez occupe des postes de direction dans le secteur des produits de luxe. Il a notamment été pendant six ans directeur général d'une société internationale de production et de négoce viticole.

 

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À force de vouloir refuser l’évidence, le secteur viticole français vit très mal son entrée dans le XXIe siècle. Conforté par sa maîtrise technique et par son antériorité historique, il n’a pas voulu tirer les conclusions d’une évolution sociologique de baisse de la consommation dans les pays producteurs de vin et d’une émergence de nouvelles générations d’amateurs éclairés dans d’autres territoires. Avec des attentes différentes, un accès décomplexé au produit, une exigence de résultat et des moments de consommation déstructurés.

Fondamentalement excédentaire, la production mondiale s’obstine à mettre sur le marché des volumes de vin que le consommateur n’a de toute façon pas l’intention d’acheter. C’est la pire des situations car l’acheteur est en position de force. Il a à sa disposition une transparence des informations sur les rendements et les cours. Il a une profusion d’offres venant de dizaines de milliers de producteurs. La compétition fait rage et la sanction tombe vite.

L’acteur économique qui a su développer la meilleure solution aux attentes de ses clients l’emporte.

Dans ce contexte, il n’est pas sûr que la France soit la mieux préparée à prêter une oreille attentive à ses marchés. Dans bien des cas, nous persévérons dans une logique de copier-coller de nos systèmes d’appellation qui provoque chez les acheteurs une assez forte perplexité. Penser que le système mis en place avec succès sur le marché intérieur peut réussir sur le marché européen, ouvrir les portes du grand large et conquérir des continents éloignés relève de l’utopie.

Personne ne comprend que, au prétexte que de légers cubes compacts en carton de trois litres ne sont pas assez nobles, nous renoncions à mettre certains de nos vins dans des emballages préservant l’environnement. Certains trouvent indécent de boucher nos meilleures bouteilles avec d’efficaces capsules à vis. Des régions prestigieuses appellent encore à l’excommunication des producteurs osant utiliser le vocabulaire des cépages. Il faudra des batailles homériques pour que des progrès techniques, dont le seul objectif est de faire un produit qui plaise, soient adoptés dans nos régions de production.

(...)

Crise des vocations, désertification, paupérisation des populations, le revenu des vignerons fonctionne au rythme de vendanges déficitaires ou excédentaires. Bien heureux celui qui peut prédire les contours de la campagne française dans vingt ans. La saignée des forces vives des campagnes semble avoir atteint un palier. Heureusement, car d’immenses chantiers attendent nos vignes.

Si la mécanisation des vendanges a encore de beaux jours devant elle, la prise de conscience environnementale va nécessiter de renouer avec le travail manuel et l’entretien du matériel végétal. Fragilisées par des décennies de traitement chimique intensif, les terres à vignes vont devoir affronter le Grenelle de l’environnement et ses objectifs ambitieux. Sans doute faudra-t-il passer plus de temps autour des vignes à titre préventif, entretenir avec des produits associés à l’agriculture biologique, pulvériser avec précision, améliorer encore prévisions météorologiques et planning de traitement. Des coûts supplémentaires qu’il faudra maîtriser.

Une seule certitude: il va falloir réouvrir la boîte à idées...

Si nous avons raté le train des vins industriels de la mondialisation, il faut se préparer à saisir les prochaines tendances, celles qui nous permettront d’inventer un autre modèle de développement, faisant le pont entre une qualité technique irréprochable, un goût de cépage remarquable, une identité d’avant-garde et une clientèle qui veut boire modérément d’excellents produits à prix abordables.

Les douze travaux de Bacchus reprennent le flambeau de nombreux thèmes modernistes abordés dans de trop nombreux rapports ministériels (Berthomeau, Pomel, Vin sur Vin) et qui tardent à se concrétiser :

– réconcilions le vin avec la société civile après des années d’opprobre;

– concentrons nos moyens pour faire émerger de nouveaux champions nationaux;

– sachons évoluer et nous rapprocher du visage changeant du consommateur;

– concentrons les moyens techniques pour viser une qualité irréprochable;

– reprenons la main sur le vocabulaire, les signes et la culture du vin;

– chassons en meute pour conquérir les marchés.

La domination sans partage du marché français semble aveugler la majorité de nos citoyens sur la situation dramatique du vin français sur les marchés internationaux. Nous éprouvons les plus grandes difficultés à construire de grands leaders mondiaux en vins tranquilles issus de la viticulture française. La seule entreprise hexagonale ayant fait une percée décisive en la matière possède ses vignobles bien loin de nos frontières, en Australie. Le groupe Ricard y a implanté un vin mondialement connu sous le nom de Jacob’s Creek. Précisément sur des terroirs où le vin a été conçu pour répondre à la demande des marchés. Un fait qui devrait nous motiver à agir en faveur de nouvelles règles du jeu.

Il est plus que temps d’accélérer la reprise en main de notre destin.

Saurons-nous reprendre l’initiative, trouver les ressorts d’une filière efficace, ajuster nos parts de marché à notre forte notoriété, œuvrer à la rencontre entre le vin français et son public planétaire ?

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Extraits de France ton vin est dans le rouge, Bourin Editeur (mai 2011)

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