Visite à Cuba : Quand Hollande Premier secrétaire du PS vilipendait "la belle révolution qui a tourné au cauchemar"<!-- --> | Atlantico.fr
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Un Cubain à l'occasion des cérémonies du 1er mai 2015.
Un Cubain à l'occasion des cérémonies du 1er mai 2015.
©Reuters

Il n'y a que les ... qui ne changent pas d'avis

En dépit de tous les signes d'ouverture, Cuba reste une dictature faisant fi des droits de l'homme. Pourtant les dirigeants de ce monde, à l'instar de François Hollande, se précipitent pour serrer la main de Raul Castro et peut-être - chance ultime ! - de Fidel. Une tribune de Jacobo Machover, écrivain et universitaire cubain en exil en France, et de Laurent Muller, président de l’Association européenne Cuba libre.

Laurent Muller

Laurent Muller

Laurent Muller est président de l’Association européenne Cuba libre.

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Jacobo Machover

Jacobo Machover

Jacobo Machover est un écrivain cubain exilé en France. Il a publié en 2019 aux éditions Buchet Castel Mon oncle David. D'Auschwitz à Cuba, une famille dans les tourments de l'Histoire. Il est également l'auteur de : La face cachée du Che (Armand Colin), Castro est mort ! Cuba libre !? (Éditions François Bourin) et Cuba de Batista à Castro - Une contre histoire (éditions Buchet - Chastel).

 

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La visite de François Hollande à Cuba, le 11 mai 2015, marque un tournant dans les relations entre la France, l’Europe et la dictature castriste. C’est le premier chef d’État d’un pays démocratique développé à se rendre dans l’île. Cette visite avait été préparée de longue date d’abord par les multiples séjours de l’ex-Président socialiste du Sénat Jean-Pierre Bel, puis par celui du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Tous deux étaient antérieurs à la spectaculaire apparition simultanée sur les écrans de télévision de Barack Obama et de Raúl Castro le 17 décembre 2014 et à leur rencontre en avril 2015 lors du Sommet des Amériques au Panama. Il ne s’agit donc pas d’une simple initiative de suivisme à l’égard de la nouvelle politique de l’exécutif américain, décrétée sans l’aval du Congrès, majoritairement républicain, qui, sous l’impulsion des sénateurs et représentants cubano-américains, entend s’opposer par tous les moyens à la levée de l’embargo.

Il n’y a guère eu de voix discordantes en France. Tout le monde ou presque, médias et politiques confondus, semble considérer qu’il est normal d’admettre Cuba dans le concert des nations, alors qu’il y a eu une forte recrudescence de la répression depuis l’annonce de la normalisation entre les États-Unis et Cuba.

Il est loin le temps où d’innombrables protestations s’étaient élevées lorsque, en mars 1995, Fidel Castro était officiellement reçu sur le perron de l’Elysée par le Président François Mitterrand et sa femme Danielle, qui n’avait pas hésité, alors, à embrasser le Lider Maximo de façon fort peu diplomatique, pour lui manifester son admiration et son soutien. Jack Lang officiait en ce temps-là en obséquieux maître de cérémonie d’une mémorable visite au Louvre.

Aucun dirigeant socialiste (ni d’aucun autre parti, d’ailleurs) ne semble questionner le voyage du Président Hollande. Au contraire, la liste des invités s’allonge à l’infini. Tous se bousculent pour être dans l’avion et participer aux réjouissances une fois arrivés dans l’île, en buvant un bon verre de rhum ou en tirant sur un gros cigare, gracieusement offerts cette fois par Raúl Castro. Toutefois, comme hommage nostalgique au dirigeant mythique de la révolution, Hollande a exprimé le souhait de rencontrer son grand frère, cette « figure emblématique », malgré son état de santé et de déliquescence qui l’empêche pratiquement de sortir de son domicile médicalisé, à part pour se faire prendre en photo par des admirateurs toujours complaisants.

Et pourtant… Que dirait François Hollande, Président de la République, s’il avait la curiosité de relire l’article qu’il avait publié dans Le Nouvel Observateur du 27 février 2003, lorsqu’il n’était que Premier secrétaire du Parti socialiste ? Un article intitulé : « La belle révolution a tourné au cauchemar. Dire la vérité » ? Il s’en prenait alors, bien sûr, à l’embargo américain, qu’il mettait sur le même plan que « les dérives du régime castriste ». Mais il prenait aussi soin de détailler cette « vérité » en des termes clairs et incontestables : « pouvoir personnel, voire familial, refus d’élections libres, censure, répression policière, enfermement des dissidents, camps de travail, peine de mort, bref, l’arsenal complet d’une dictature ».

Cela a-t-il tellement changé depuis lors ? Le pouvoir personnel est devenu familial, voire dynastique ? Des élections libres, cela ne vaut même pas la peine de les envisager, avec un régime de Parti unique. La censure est toujours aussi présente contre les artistes, les écrivains, les journalistes indépendants, les bloggeurs, qui mettent en cause la chape de plomb quotidienne qui s’abat sur l’ensemble de la population. Pour ce qui est de la répression, il faut entendre ce que disent les « Dames en blanc », mères, sœurs et filles de prisonniers politiques, violemment attaquées tous les dimanches par les forces policières et harcelées en permanence par les sbires du castrisme sous la forme de « meetings de répudiation ». Une création originale, au même titre que les Comités de Défense de la Révolution, les comités de mouchards mis en place par la « belle révolution », qui n’a jamais cessé, depuis ses débuts, d’enfermer dans des camps de travail ou en prison, par dizaines de milliers, non seulement les dissidents mais aussi des homosexuels, des catholiques, des marginaux adeptes des religions afro-cubaines ou des jeunes fans de rock, et qui a pratiqué allègrement des milliers d’exécutions, précédées d’expéditifs procès staliniens iniques. Quant à la peine de mort, elle est l’objet d’un simple moratoire (au cas où elle s’avèrerait à nouveau nécessaire, dixit Raúl Castro en personne). D’autres moyens de réduire pour toujours au silence les opposants existent : laisser mourir Orlando Zapata à l’intérieur de sa prison à la suite d’une grève de la faim en 2010 ou éliminer en 2012, dans un douteux accident de la route sans doute provoqué par la police politique, la sinistre Sécurité de l’État, les militants pour les droits de l’homme Oswaldo Payá (dont Hollande écrivait qu’il était « l’instigateur courageux d’un projet de référendum ») et Harold Cepero.

L’actuel ministre des Affaires étrangères, alors simple député, abondait à l’époque dans le même sens, en écrivant, également dans Le Nouvel Observateur, le 19 juin 2003 : « Fidel Castro, qui réclame la reconnaissance renouvelée de la communauté internationale, est tout simplement un dictateur. (…) Les dictatures ne sont ni de droite ni de gauche : elles sont infâmes. »

Tous, le Président de la République et ses ministres, ainsi que leurs nombreux accompagnateurs, n’hésitant pas à trahir leurs déclarations antérieures, se rendent dans un pays dont près du quart de la population vit en exil, où l’éducation tant vantée par les organismes internationaux n’est qu’un endoctrinement permanent, où la santé publique est en perdition depuis l’écroulement de l’Union Soviétique et des « pays frères ». Le mot « liberté » n’y existe pas pour les autorités. Il est néanmoins l’apanage de tous ceux qui continuent, malgré la répression, à croire en un futur démocratique pour cette île abandonnée depuis plus d’un demi-siècle à son triste sort, la toute-puissance des frères Castro et de leurs successeurs, avec le consentement des dirigeants des nations démocratiques et même du Pape, qui préfèrent se précipiter vers ce nouvel Eldorado, dont ils ont tant rêvé autrefois, au détriment des aspirations légitimes du peuple cubain, dans l’île et en exil.

Les Cubains, en effet, expriment chaque jour préférer mourir en traversant le détroit de Floride ou en empruntant d’autres voies tout aussi dangereuses plutôt que de survivre sous le joug du régime. Leur nombre n’a cessé de croître, d’ailleurs, depuis le rapprochement entre Obama et Raúl Castro.

Les réseaux pro-castristes restent puissants. Ils ont trouvé des alliés de poids dans des entreprises importantes, qu’ils invitent à aller investir dans ce paradis tropical. Mais il ne faudrait pas oublier la réalité du quotidien et les conditions des travailleurs cubains, qui survivent avec 25 dollars de revenu mensuel et ne disposent d’aucune liberté syndicale. Faute d’une aide active à la dissidence, la fin inéluctable des frères Castro mènera l’île vers une perpétuation de la tyrannie dynastique ou le chaos.

François Hollande a encore l’occasion, durant son séjour, d’effectuer quelques actes symboliques forts, en recevant les représentants de la dissidence et en réclamant la création d’une commission internationale d’enquête sur la mort d’Oswaldo Payá et Harold Cepero. Faute de quoi, la France, l’Europe et l’ensemble de la communauté internationale porteront une grande part de responsabilité dans l’écrasement de toute alternative démocratique à Cuba.

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