Virus 1/ Démocratie 0 : comment la France s’est enlisée dans une crise de l’irresponsabilité <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Virus 1/ Démocratie 0 : comment la France s’est enlisée dans une crise de l’irresponsabilité
©Martin BUREAU / AFP

Ce n'est pas moi, c'est l'autre

Alors que les échecs ou les retards se sont accumulés, aucun changement n’a été effectué à la tête des administrations concernées. Si les politiques, eux, devront rendre des comptes lors des élections, comment expliquer qu’un Jérôme Salomon soit toujours en poste ? Et pas uniquement parce qu’il est juste

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

Voir la bio »

Atlantico : Depuis le début de la crise, plusieurs personnalités de l’administration ont été mis en avant, à commencer par Jérôme Salomon, le directeur général de santé. Épinglé pour sa mauvaise gestion de plusieurs dossiers, dont celui des masques, il est pourtant toujours en poste et défendu par le gouvernement. De même pour le M. Vaccin français, Alain Fischer, qui a concédé n’être “pas du tout spécialiste” des questions de logistique. Comment expliquer cela ?

Arnaud Lachaize : M. Jérôme Salomon est dans un rôle très atypique au regard de la tradition administrative. Quelle est la mission normale d’un directeur général d’administration centrale ? Il est de piloter la structure dont il a la responsabilité. Il n’est pas de communiquer, sauf de manière exceptionnelle. Qu’un directeur d’administration centrale soit appelé régulièrement à communiquer est sans précédent. Normalement, la communication est le monopole de l’autorité politique. Quand un ministre s’exprime publiquement, cela signifie qu’il endosse la responsabilité d’une décision, d’une politique. Aujourd’hui, ce rôle est largement confié à M. Salomon, en parallèle aux interventions de l’exécutif. Tout cela manifeste une dérobade du pouvoir politique face à ses responsabilités. En mettant en avant médiatiquement M. Salomon et M. Fisher, le pouvoir politique les désigne de manière implicite comme les responsables de la situation. Ils font office de boucs émissaires potentiels. Le désastre sanitaire, ils en porteront un jour la responsabilité devant l’opinion publique. Tel est en tout cas le calcul sous-jacent à cette surexposition. 


Atlantico : Sans parler forcément parler de sanctions judiciaires qui ne seraient que contre productives, est-on trop réticents à sanctionner (et remplacer) les hauts fonctionnaires lorsque ces derniers ne se montrent pas à la hauteur de leur tâche ?

Arnaud Lachaize : De fait, le pouvoir politique n’est pas réticent à sanctionner ou remplacer les hauts fonctionnaires. Le président Macron a toujours dit qu’il était favorable au spoil system à l’américaine. Ainsi, le corps des préfets a été largement renouvelé depuis l’accession de M. Macron à l’Elysée. Il en est de même pour les ambassadeurs et les directeurs. Parfois, ces changements correspondent à des sanctions. Mais le plus souvent, ils relèvent du fait du prince. Ils consistent à épurer l’administration des suspects et à y désigner des personnalités qui ont donné des gages d’allégeance. Le cas de M. Salomon est particulier. Médecin marqué idéologiquement, ayant fréquenté des cabinets ministériels socialistes, il est proche du pouvoir. D’où l’incroyable paradoxe de la situation. En apparence, c’est un protégé de l’Elysée et du gouvernement. Mais au fond, au second degré, il est tout désigné par avance comme la victime émissaire du dispositif, celle qui a vocation à porter le chapeau à la place des politiques. Nous nageons dans l’hypocrisie.  

Atlantico : Les politiques rendent des comptes lors des échéances électorales. Est-on capable de tenir l’administration pour responsable lorsqu’elle doit l’être ? 

Arnaud Lachaize : Les administrations de l’Education nationale, de la santé, de l’Intérieur ou de l’Economie et des finances sont de gigantesques usines à administrer dominées par des lourdeurs et par l’opacité. D’où les phénomènes de déresponsabilisation. De fait, les procédures d’évaluation de la performance et de notation fonctionnent très mal. Il n’est pas dans la culture administrative française de sanctionner en bien ou en mal un collaborateur.  Les fautes graves susceptibles de provoquer un scandale donnent lieu à des sanctions. Contrairement à une légende, en théorie, en principe, la garantie de l’emploi à vie n’existe pas. Selon les textes, un fonctionnaire peut être révoqué pour faute ou insuffisance professionnelle. Dans les faits, ce genre de sanction est rarissime. Ainsi, l’inertie, le laisser-aller, les erreurs répétées échappent le plus souvent à toute sanction. Cela dit, la responsabilité de l’administration ne peut pas être déconnectée de celle des politiques. L’administration est placée sous l’autorité et sous la responsabilité des politiques, Premier ministre – chef de tous les fonctionnaires de l’Etat – et des ministres. C’est à l’autorité politique qu’il devrait incomber de sanctionner des mauvais résultats ou des fautes commises dans les services. Le problème, c’est que le pouvoir politique a tendance à se réfugier dans l’affichage et les coups de menton pour fuir la réalité. C’est ainsi qu’il existe un ministre ou un ministère de « la transformation » en charge de la fonction publique. Inventer un « ministère de la transformation » pour recouvrir l’immobilisme, le conservatisme et l’irresponsabilité : il fallait y penser ! 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !