Violentes purges à Pékin : Xi Jinping en pleine dérive stalino-maoïste<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président chinois Xi Jinping prononce un discours lors d'un dîner de réception au Grand Palais du Peuple à l'occasion de la Fête nationale chinoise à Pékin, le 28 septembre 2023.
Le président chinois Xi Jinping prononce un discours lors d'un dîner de réception au Grand Palais du Peuple à l'occasion de la Fête nationale chinoise à Pékin, le 28 septembre 2023.
©Jade GAO / POOL / AFP

Suicides, disparitions et accidents en série

Les responsables politiques concernés ne sont plus seulement issus de factions concurrentes à celle du président chinois mais se comptent dans les rangs de ses propres soutiens.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Les purges se multiplient en Chine. La disparition et le renvoi inexpliqués des ministres chinois des Affaires étrangères et de la Défense, tous deux fidèles à Xi Jinping, ne sont que deux exemples. Parmi les autres victimes très médiatisées figurent les généraux en charge du programme d'armes nucléaires chinois et certains des plus hauts responsables supervisant le secteur financier chinois. En quoi Xi Jinping s’inscrit-il dans une dérive stalino-maoïste à travers ces purges ? Quelle est l’ampleur de ces purges et quelles sont les personnalités concernées ?

Emmanuel Lincot : Des rumeurs émanant de la Russie font état de fuites concernant un certain nombre de généraux chinois en charge du programme nucléaire qui auraient cédé auprès des Américains des secrets d’Etat. Vrai ou faux il est intéressant de voir que la Russie essaie d’exploiter ces purges. Ces dernières ont toujours existé. Mais depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, elles s’accentuent et on estime à 4 millions le nombre de personnes qui, dans l’administration (entreprises, ministères, universités) et depuis dix ans, ont été purgées. Cela ne signifie pas qu’elles toutes été physiquement éliminées mais que nombre d’entre elles ont été destituées de leur fonction. L’ampleur de ces purges est liée au fait qu’un réflexe tout stalinien veut que le pouvoir condamne à la fois une personne particulièrement visée mais aussi ses filiations directes ou indirectes ainsi que son environnement familial. Ce type de régime, on le sait depuis Hannah Arendt, est mu par deux principes : la foi et la terreur. La différence, relative somme toute, entre un régime d’inspiration stalinienne et maoïste quant à lui c’est que le premier élimine ses opposants sur une vaste échelle tandis que le second rééduque d’un point de vue idéologique. Tous les hauts dignitaires chinois qui ont eu maille à partir avec Mao Zedong ont été soumis à une autocritique de plusieurs années avant d’être réhabilités. Nous assisterons peut-être au même phénomène après la disparition de Xi Jinping.

Qu’est-ce que cela traduit sur l’exercice du pouvoir de Xi Jinping ? Est-il de plus en plus craintif ?

L’homme n’est en tout cas pas tranquille. Et pour cause: la situation économique en Chine est difficile, l’avenir stratégique des relations sino-américaines est incertain. À ceci s’ajoute la nature même du régime qui est à terme problématique car elle n’accorde plus aucune stabilité dans les choix de gouvernance. Le quotidien de Xi Jinping est donc un enfer. Il ne peut pas non plus ne pas se retourner sur son passé : sa sœur suicidée, son père menacé par les Gardes rouges, des millions de morts provoqués par les crises du maoïsme. Tout cela compte dans la vie d’un homme qui déjà arrive au soir de sa vie. 

La mort de Li Keqiang, Premier ministre chinois récemment à la retraite et numéro deux de la hiérarchie communiste, suscite aussi beaucoup d’interrogations. Il serait mort d'une crise cardiaque dans une piscine à Shanghai fin octobre. Ces disparitions inquiétantes sont-elles similaires aux exécutions d’oligarques en Russie ?

On ne peut pas ne pas y penser naturellement. La mort subite de Li Keqiang fait suite à l’éviction spectaculaire de Hu Jintao sans oublier non plus la marginalisation de Qin Gang et de beaucoup d’autres encore. L’accident est une manière assez classique d’éliminer des opposants ou des supposés opposants car rien ne peut nous dire si Li Keqiang constituait objectivement une menace pour Xi Jinping. Les Russes sont-ils impliqués dans ces éliminations ? Ils sont en tout cas très généralement bien informés. Ainsi, en 2016, c’est Poutine qui informe Erdogan de l’imminence d’un coup d’Etat. Le facteur russe est déterminant dans l’histoire chinoise. Il joue dans les deux sens. Comme repoussoir - avec l’élimination dans les années 50 de Gao Gang, accusé de collusion avec les Soviétiques - ou comme pôle d’attraction ou d’exil - avec la fuite avortée de Lin Biao, par exemple. Bref, il existe un mimétisme dans les pratiques propres aux pouvoirs russe et chinois. En même temps, nul ne peut savoir si ces disparitions sont liées à des manipulations externes - auxquelles il faudrait naturellement inclure celles des Américains - ou si cela témoigne d’une crise existentielle pour Xi Jinping.

Le fait que les personnes visées par ces purges soient des personnalités issues des rangs des propres soutiens de Xi Jinping n’est-il pas d’autant plus inquiétant ? Le fait que les loyalistes issus du cercle restreint du pouvoir soient ciblés ne soulève-t-il pas de sérieuses questions sur la stabilité du régime ?

La loyauté s’achète toujours contre des services rendus. Ne jamais oublier que nous sommes dans une société clanique et que si ces purges ont lieu c’est que les relations entre Xi Jinping et ses obligés sont désormais faussées. Bien sûr comme nous l’avons dit plus haut, il peut y avoir des éléments exogènes qui provoquent ces perturbations mais fondamentalement cela signifie que l’Etat profond est lui-même menacé. 

Le pouvoir chinois, l’économie du pays voire le fonctionnement du pays sont-ils fragilisés par ces purges à répétition et ces disparitions ?

Cela n’aide pas à établir la confiance. Il y a un sentiment de sidération qui saisit l’ensemble des dirigeants. Personne n’ose critiquer le régime. Et tout le monde sait que les années d’ouverture et d’euphorie appartiennent désormais au passé. Superstitieux ou pas, tout le monde s’attend à des surprises - bonnes ou mauvaises - qui toujours accompagnent l’année du dragon que l’on s’apprête d’ici quelques semaines à célébrer.

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