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Violences urbaines à chaque célébration nationale : pur nihilisme ou revendication politique grossière ?
©Crédit LUDOVIC MARIN / AFP

La France est une fête ?

En marge de la fête nationale du 14 juillet et de la victoire des Bleus le lendemain, de nombreuses violences ont éclaté, notamment sur les Champs-Elysées où les commerçants ont vu pour certains leurs vitrines saccagées. Yves Michaud est spécialiste des questions de violence dans la société : il déplore une France qui ne sait plus faire la fête, faute de vouloir afficher son unité.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico : Qu'il s'agisse du 14 juillet ou de la victoire des bleus, ce week-end, les nuits parisiennes ont été émaillées de nombreuses dégradations, et de violences, en particulier à l'encontre des forces de l'ordre.  Comment expliquer ces comportements ? Quelles est la part de nihilisme, de violence gratuite, et celle de conscience sociale dans ces violences selon vous ?

Yves Michaud : Les fêtes sont toujours l’occasion de débordements. Sans parler du carnaval, la fête libère des contraintes de la vie réglée. C’est pourquoi elle est elle-même souvent ritualisée, comme le 14 juillet : défilé, recueillement, feu d’artifice, bal des pompiers. En général, c’est à la fin que ça dérape – y compris dans les fêtes de famille où chacun finit par jeter ses rancoeurs aux autres. De ce point de vue, la célébration de la victoire des Bleus n’a pas échappé à la règle. D’autant plus que, comme on ne gagne pas la coupe du Monde tous les jours, on ne dispose pas de rituel consacré : la fête était spontanée et largement improvisée. Je n’ai donc pas été surpris de ces débordements. Je les ai même trouvés plutôt limités, au moins en ce qui concerne les atteintes aux personnes. Les forces de l’ordre ont aussi très bien « géré », comme on dit, la fête. Elles contrôlent de mieux en mieux et en douceur ces débordements en en acceptant les coûts matériels, qui ne pèsent pas lourd dans une société d’abondance et de gaspillage.

Voilà pour la perspective anthropologique. 

Politiquement, il est évident qu’il existe aujourd’hui une mouvance anarchiste qui profite de toutes les occasions pour essayer de « casser du flic ». Surtout depuis les interceptions massives du 1er mai, je pense que la police connaît bien cette mouvance et la laisse faire car il serait plus dangereux de la réprimer durement en raison des bavures possibles. Ici encore c’est de bonne guerre, si j’ose dire.

Quant à la participation des « racailles » de banlieue, elle est devenue courante dans certaines occasions et elle explique les pillages. Mais comme la liesse était collective et plutôt « nationaliste », cette participation a été limitée. Il ne faut pas oublier que les « racailles » en question sévissent surtout sur leurs territoires et ne sont pas à l’aise hors des cités.Quitte à décevoir, je ne vois pas beaucoup de nihilisme, ni de conscience sociale. En tout cas la conscience sociale était plutôt du côté du nationalisme et, je pense aussi, du côté de la revanche sur le terrorisme. Les dernières grandes manifestations avaient été des deuils poignants, ici on fêtait une renaissance.

Autant on a pu expliquer certaines émeutes, notamment en banlieue, par des motifs sociologiques, autant cela devient plus difficile lorsque la violence gratuite vient gâcher la liesse populaire. Selon vous, les catégories traditionnelles d'analyse, notamment en matière de domination sociale, rendent-elles compte efficacement des débordements de ce week-end ?

Une analyse en termes de domination sociale ne peut concerner que la poignée d’anarchistes en cause. Aussi loin que ma mémoire remonte, j’ai toujours vu ressurgir en fin de manif des drapeaux noirs et quelques olibrius masqués. La différence est que par le passé, les services d’ordre syndicaux faisaient eux-mêmes le ménage.... Quant à la conscience de la domination chez les Français d’origine immigrée, elle s’exprime aujourd’hui par la nouvelle vitalité de l’islam et notamment du salafisme. Les révoltes des années 1990 jusqu’à 2005,  qui semblaient anticiper une politisation et faisaient rêver les dinosaures révolutionnaires, ont cédé la place à l’intégrisme religieux. Celui-ci ne pourrait se politiser à son tour qu’à travers un scénario à la Houellebecq dans Soumission : par la naissance d’un parti politique islamiste. Pour mesurer à quel point le scénario de la domination sociale s’exprimant dans la rue est irréaliste, voyez la difficulté qu’ont les Insoumis mélenchonistes à monter dans le train des grèves et des manifestations. 

Du reste, chercher à explique la violence, est-ce nécessairement l'excuser ? Comment ne pas tomber dans cet écueil ?

Ayant écrit depuis 1973 cinq livres sur la violence et son évolution, venant tout juste de mettre à jour mon Que sais-je sur la Violence pour sa réédition, je crois pouvoir dire qu’expliquer la violence n’a rien à voir avec l’excuser. Sauf évidemment si on présente des explications « moralisantes » qui n’ont aucun intérêt. Expliquer la violence suppose toujours la prise en compte de facteurs multiples, psychologiques, éthologiques, sociaux, culturels et identifier ces facteurs permet d’une part d’éviter de dire des âneries du genre « les casseurs ont gâché la fête », « ils ont remis en question la communion nationale », d’autre part de contrôler au moins en partie ce qui va se passer. Une fois que vous savez que la violence en prison s’explique par le fait qu’on y concentre des gens souvent déjà violents, que beaucoup de détenus présentent des profils psychiatriques lourds, qu’on les prive de liberté de mouvement, qu’on les garde dans des conditions de surpopulation inacceptables, que les gardiens ne mènent pas une vie tellement différente de celle des gens qu’ils gardent, vous avez quelques pistes pour essayer d’améliorer les choses tout en sachant que vous ne ferez pas beaucoup de progrès du côté du facteur « privation de liberté ». De même pour les terroristes: leur profilage, l’étude de leur endoctrinement, leurs voyages, leurs séjours en prison permettent d’avoir une bonne idée de leur population et au moins d’identifier quelques uns à surveiller, etc. On sait beaucoup de choses sur la violence mais bizarrement, on a l’impression que certains voudraient surtout qu’on ne sache rien pour mieux continuer à dénoncer, à s’indigner et à vitupérer...

Comment éviter, à l'avenir, que la joie légitime des supporters de l'équipe de France ne soit gâchée par les trouble-fête ?

Il y aura toujours des trouble-fête, sauf si on perd... Si les victoires se renouvellent les forces de l’ordre amélioreront en tout cas encore leur dispositif. En revanche, compte tenu de l’alcool absorbé pour la célébration et de la promiscuité des foules, je pense que les agressions sexuelles envers les supportrices continueront – à moins qu’on ne sépare hommes et femmes à la manière de certains pays hautement démocratiques. Parfois j’ai peur que ça nous pende au nez...

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