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Violences en Seine-Saint-Denis : en parler ou ne pas en parler, quel est le pire pour la campagne ?
©Reuters

Allumer le feu

Suite aux critiques lancées par François Fillon et Marine Le Pen après les incidents survenus il y a quelques jours dans un lycée de Seine-Saint-Denis, Najat Vallaud-Belkacem a accusé les deux candidats à la présidentielle de "souffle(r) sur les braises".

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Fin de la récréation du matin, mardi 7 mars, au lycée Suger à Saint-Denis (93). Soudain un tir de mortier, des jets de fumigènes, de pierres, suivis de trois départs de feu dans les couloirs de l’établissement. Un assaut est lancé par des dizaines de jeunes qui veulent en découdre avec l’établissement… C’est en entendant des cris qu’un enseignant comprend ce qui se passe et fait évacuer les élèves, pendant que l’un de ses collègues manque d’être brûlé vif à cause d’un retour de flamme. Des vitres brisées, la salle des profs visée, des affrontements avec la police qui ont lieu devant l’établissement pour compléter le tout… Lundi, déjà, des élèves avaient tenté de bloquer le lycée, lançant des parpaings et des cocktails Molotov dans l’établissement. Un climat de guerre civile…

Les enseignants constatent que depuis, beaucoup d’élèves ne sont pas revenus : "Ils sont choqués et ont peur. Nous sommes obligés de reconnaître que nous ne sommes pas en mesure d’assurer pleinement leur sécurité.", explique un enseignant. "Nous étions sur nos gardes mardi, car nous savions qu’ils avaient l’intention de recommencer." rajoute-il. Comment, dans ces conditions, a-t-il été possible qu’une poignée de jeunes se livrent à de telles violences et ce, en rencontrant une résistance policière minimale ? Sans doute a-t-on préféré encore le laxisme dans un contexte où l’affaire Théo sert de justification à ne plus rien assurer dans certains quartiers en  matière de sécurité publique. Mais cette justification ne tient pas, le problème est bien plus profond. En septembre 2016, des violences secouaient déjà l’établissement. D’ailleurs, d’autres établissements de la ville ont également été la cible de ces violences.

Certaines voix n’hésitent pas, dans ce contexte, à justifier l’injustifiable, évidemment relayées par ces grands médias où on aime à jouer, comme à chaque fois, l’air de la victimisation à outrance. Un enseignant du lycée ose expliquer ainsi que l’affaire Théo serait uniquement la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase, et que la raison profonde de leur colère, ces violences, ne serait qu’ "une réaction aux discriminations quotidiennes que subissent ces jeunes issus des quartiers populaires. Le racisme, les taux de réussite plus faibles aux examens, le chômage plus élevé qu’ailleurs…"

Tout viendrait ainsi de discriminations, du racisme que subiraient ces élèves, laissant entendre parce qu’ils seraient essentiellement issus de l’immigration et pauvres. Mais comment passer sous silence que l’école leur est ouverte comme à tous les autres, qu’ils vivent dans des logements sociaux où on fait la place à leur famille, avec des aides sociales massives dont ils bénéficient comme tout un chacun, selon un principe d’égalité et une solidarité nationale qui leur donne des droits et des libertés qu’ils n’auraient jamais pu imaginer avoir ailleurs ? Mais aussi, que seule une partie des jeunes de ces quartiers tombent dans ce travers, et qu’il faut donc éviter là aussi tout amalgame à travers certaines explications faciles, que l’on ne saurait ainsi tout justifier en généralisant des comportements qui n’appartiennent qu’à ceux qui les choisissent et que subissent les autres. Aucune autre question n’est évoquée sur les difficultés rencontrées dans leur réussite, qui pourrait pourtant peut-être avoir pour cause un problème d’intégration qui n’est pas que de la responsabilité du pays où ils vivent, mais parfois du refus de cette intégration, trop souvent lié à un rejet des mœurs libérales dites occidentales, l’égalité homme-femme par exemple, une victimisation qui justifie tout, doublée du repli identitaire. Il existe, sur plusieurs générations parfois, dans des familles d’origine immigrée, un écart de départ compréhensible avec la société française, que certains refusent de combler en refusant de s’adapter aux règles et normes communes, ce qui constitue inévitablement un handicap pour réussir lorsque qu’encore, on ne parle pas uniquement à la maison la langue du pays d’origine et que l’on ne met pas en avant une religion portée au-dessus de la règle commune. Ceci, en accusant encore au passage la laïcité d’être "le problème", elle qui protège les convictions et croyance de tous, à mettre au-dessus d’elles les grands principes communs des droits de l’Homme et de la citoyenneté…

Autre argument de justification des violences, de façon assez incroyable, amené par Najat Vallaud-Belkacem. Pour rejeter les accusations de laxisme de l’opposition à son encontre, par la voix de François Fillon qui parle  d’ "une véritable émeute, suivie d'une guérilla urbaine", elle accuse le candidat à l’élection présidentielle de "souffler sur les braises".  Mieux, elle justifie les violences de ces jeunes en expliquant que celles-ci auraient à voir avec le fait que certaines candidats se soustrairaient à la justice pour les affaires qui les concernent, pour conclure,"Comment veulent-ils faire respecter cette même justice ensuite par les jeunes qui nous écoutent?". Mesure-t-elle bien l’effet de telles déclarations, à faire des ponts entre des faits qui n’ont qu’un lointain rapport avec les causes principales à l’œuvre, pour créer les conditions de mettre encore un peu plus de l’huile sur le feu elle-même ? Des causes qui relèvent, par exemple, d’une gestion politique calamiteuse de l’intégration, et spécialement à l’école, avec une politique de valorisation des différences à travers un renforcement continu de l’enseignement dit "laïque" du fait religieux, comme réponse à tout, à front renversé de l’égalité républicaine ; ou encore, avoir comme priorité l’arabe dès le CP, le maintien des classes d’enseignement des langues et cultures d’origine, les fameuses ELCO, censées être supprimées, qui concernent quelques 80 000 élèves, qui reçoivent pour une large majorité un enseignement de l’arabe, trop souvent servant de relai à la culture, voire à la religion musulmane, réalisé par des enseignants choisis par les ambassades des pays d’origine de ceux qui les fréquentent ; sans compter encore avec le message catastrophique envoyé par la ministre au moment du débat sur la réforme des programmes d'histoire, présentant l’islam comme enseignement obligatoire et celui des penseurs des Lumières comme facultatif, ce qui a été repoussé devant le tolé créé mais n’en a pas moins fait des dégâts certains dans les esprits ; enfin, l’encouragement à l’accompagnement des sorties scolaires par des mamans voilées, constituant une pression communautaire en faveur de l‘assignation d’enfants à une religion en fonction d’une origine qui pousse à un communautarisme mortifère, avec ainsi une neutralité des personnels encadrant du service public totalement bafouée, brouillant tous les autres messages de l’école laïque… On a vu faire preuve de plus de responsabilité les ministres de la République.

Le maire de Saint-Denis, Laurent Russier (PCF), en a rajouté une couche en appelant à ce que les gardes à vue des jeunes arrêtés par la police lors de ces événements, ne soient pas "un moyen de punition". Il devait recevoir des familles des jeunes interpellés… Quelle réponse à de tels faits !  Stéphane Peu, maire adjoint (PC), a préféré rappeler  qu’ "à la rentrée, la question était déjà de pouvoir enseigner en sécurité. Et la ministre n’a rien répondu". "Le rectorat et la ministre ne prennent pas la mesure de la situation", juge de son côté le Snes, principal syndicat enseignant. Il dénonce"l’insuffisance des mesures prises pour éviter ces violences et pour assurer un fonctionnement serein de l’établissement". On voit que le problème est bien ailleurs que les arguties d’une ministre en mal de savoir gérer une crise, qui mériterait bien d’autres réponses.

Mais en réalité, pour comprendre véritablement les causes de cette situation, il faut revenir au contexte de la rentrée, en septembre dernier.  "L’ambiance est électrique aux abords du lycée. Les incidents se succèdent à un rythme effrayant" expose un article du Parisien1 qui rend compte de la situation. "Quelques jours après la rentrée, un surveillant a été roué de coups aux portes du lycée. En signe de protestation, les enseignants se sont immédiatement mis en grève, soutenus par les élèves. (..) Alors qu’ils reprenaient les cours, des jeunes armés de battes de base-ball se sont dirigés vers le lycée, obligeant le proviseur à fermer les portes et à faire sortir les élèves par l’arrière du bâtiment. (…) Un élève s’est fait poursuivre dans la rue par des jeunes : il a réussi à se réfugier dans le lycée. Le même jour, des élèves sortis acheter un sandwich ont été pris à partie par des jeunes. (…) Pour la première fois, la violence a fait irruption dans l’enceinte même du lycée. L’assistant d’éducation a été insulté et menacé de mort par des élèves. La cause : "des querelles de quartiers entre des bandes du Franc-Moisin (Saint-Denis) et des jeunes de la cité des 4 000 à La Courneuve" ."On préfère cacher qu’on habite à La Courneuve, lâchent deux élèves. Si ça s’apprend, on ne sera plus en sécurité". Voilà bien le pot aux roses ! Qu’est-ce que cela a à voir avec l’affaire Théo ou l’affaire Fillon ? Pas grand-chose, mais avec des maux mal soignés de nos banlieues, à commencer par l’absence de volonté d’empêcher des zones de non-droits de s’installer, par laxisme politique et clientélisme suicidaire. Il est de la responsabilité de l’Etat d’assurer partout, par tous les moyens nécessaires, l’égalité d’accès aux services publics dont l’école fait ô combien partie, c’est-à-dire d’assurer une liberté fondamentale, celle de l‘éducation, pour tous les élèves, quelles que soient leurs couleurs, leurs origines, leurs religions ou non.

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