Vincent Lambert : ces 5 juges qui ont décidé de s’opposer sur le fond à la décision de la CEDH à laquelle ils appartiennent<!-- --> | Atlantico.fr
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Cinq juges de la CEDH ont accolé leur position dissidente suite à la décision par la CEDH relative au cas Vincent Lambert.
Cinq juges de la CEDH ont accolé leur position dissidente suite à la décision par la CEDH relative au cas Vincent Lambert.
©FREDERICK FLORIN / AFP

Dissidents

Cinq juges de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) se sont dissociés de manière très ferme de l'arrêt rendu le 5 juin dans l'affaire Lambert. Retour sur un manifeste désavouant la "Conscience de l'Europe".

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Cinq juges de la CEDH ont accolé leur position dissidente suite à la décision par la CEDH relative au cas Vincent Lambert. Autour de 11 points, ils expliquent, en argumentant, leur profond désaccord. Pourquoi d'après vous ce manifeste est-il important et intéressant ?

Roland Hureaux : L'opinion dissidente de ces cinq juges serait passée inaperçue si l'affaire en cause n'avait pas   été une affaire de vie et de mort.

Je trouve personnellement  inconcevable qu'une telle question se décide à la majorité et non à l'unanimité. Que, sur un tel sujet, une dissidence se manifeste est  un événement considérable qui  affaiblit la portée de la décision et témoigne d'une rupture de consensus sur un sujet où les nouveaux  bien-pensants  croyaient  qu'il était définitivement acquis.

Cette dissidence a d'autant plus de poids que le texte est d'une qualité juridique exceptionnelle et qu'il se termine par  une remise  en cause de l'institution elle-même qui, disent les juristes  déviants, ne peut plus  prétendre être la "conscience de l'Europe". Rien que ça.

Je trouve  en outre très fort que ces juristes proviennent tous de ce qu'on appelle l'"Europe périphérique" : petit pays de l'Est et du Sud (Moldavie, Slovaquie, Géorgie, Azerbaïdjan, Malte) comme si la liberté par rapport à un politiquement correct qui pousse à l'euthanasie s'était réfugié dans ces confins.

Les  juristes en cause ont raison de dire dans leur argumentation que c'est bien une question d'euthanasie  que l'on  juge (même si,  les ambiguïtés de  loi Léonetti  et l'hypocrisie aidant, il n'est question que de donner la mort  par privation de  nourriture).  Sur  ce sujet, l'Europe de  l'Ouest et particulièrement  le monde des juristes internationaux est arrivé à un consensus  selon lequel, l'euthanasie  est seule politiquement correcte. 

Face à cela, la dissidence marque qu'il  y a deux  Europe : celle des idéologues et celle des autres.  

A la lecture de ce manifeste, dans quelle mesure peut-on considérer que certaines positions n'ont pas été suffisamment entendues ?

Tout, je pense, avait été entendu.

Mais il  est clair que dans cette affaire la voix des parents  si elle a été entendue, a été disqualifiée  d'emblée comme "intégriste", un mot de code qui, dans l'antichristianisme ambiant, signifie aujourd'hui  un catholicisme  un peu conséquent, rien de plus.  Sur ce sujet,  les parents  ont,  je tiens à le rappeler,  ni plus ni moins les positions du pape François. Il est inouï que tout ce qui peut, de près ou de loin évoquer la religion chrétienne, pourtant fondatrice de l'Europe, soit aujourd'hui disqualifié dans les sphères européennes : on l'avait déjà  vu dans l'affaire Buttiglione et  cela montre bien à quel degré de déréliction est arrivée l'Europe occidentale. Je note au passage que l'un des juges dissidents,  au moins,  celui qui vient l'Azerbaïdjan,  est musulman.

On avait déjà vu à l'œuvre le préjugé antichrétien à la CEDH dans la décision relative à la présence de crucifix dans les écoles italiennes. Le premier mouvement de la Cour  avait  été de les interdire. Il a fallu l'intervention d'un certain nombre d'Etats auprès de a Cour, dont la Russie, pour qu'elle revienne en arrière  en appel.

Ceci dit, à tire personnel, j'ai découvert  des données nouvelles que j'ignorais : par exemple  cette remarque judicieuse que d'avoir résisté un mois  plein à la rupture de l'alimentation marque  chez Vincent Lambert  une mystérieuse volonté de vivre.

Je vous disais par ailleurs que, sur un sujet aussi dramatique, la Cour européenne   aurait du se prononcer à l'unanimité et, si elle ne pouvait pas y parvenir, laisser sa chance à la vie . De même , je trouve inouï que le supposé désir de mourir  de Vincent Lambert   sur lequel le Conseil d'Etat s'était  entre autres   basé   pour statuer, soit  fondé sur le souvenir de simples conversations anciennes entendues par certains membres de l'entourage et pas par  les autres : là aussi, le moins que l'on aurait pu faire  pour interpréter la volonté du patient était  de se fonder sur l'unanimité,  et,  faute d' unanimité, d'appliquer le principe e précaution et donc de laisser à la  victime ses chances. Je suis étonné que le Conseil d'Etat n'ait pas  relevé cela. Je pense  plutôt  qu'il n'a pas voulu le relever.

Est-il courant que des juges se désolidarisent ainsi publiquement de leurs pairs ?

C'est  une pratique américaine courante. Elle a été introduite en Europe en raison de l'influence du droit anglo-saxon. Nous n'y sommes pas habitués. Mais encore une fois, sur un tel sujet  touchant la vie et la mort d'une personne, il est absurde qu'il y ait eu une majorité et une minorité. Qu'on n'ait pas senti cela témoigne d'une étonnante  absence de sensibilité où je vois l'effet de l'idéologie.

Les 5 juges considèrent que "la valeur de la vie et la dignité inhérente même aux personne" n'ont pas été affirmés par la CEDH. Que peut-on reprocher à cette institution "Conscience de l'Europe" ?

Elle est, je vous le disais, tributaire de l'idéologie dominante en Europe occidentale aujourd'hui favorable à l'euthanasie. Quoi qu'ils prétendent, les juges se sont prononcés  en fonction de ce sujet. Et cela précisément au moment où le Sénat français débat d'un projet de loi tendant à l'introduire subrepticement dans le droit français sous l'appellation hypocrite de sédation profonde.

La déclaration   européenne des droits de l'homme affirme  à l'article 2 le droit à la vie. L'idéologie dominante  s'inscrit dans la culture de mort - comme toutes les idéologies. Il est heureux que  des "hurons" venus de l'Europe de l'Est aient poussé un cri d'alarme et  qu'ils l'aient  fait avec autant de panache.

Je ne sais pas ce qu'il adviendra de l'évolution du droit dans cette affaire mais il est probable   que le prestige de la CEDH en aura pris un coup. 

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