Vieillissement : il n’y a pas que les problèmes d’équilibre des retraites, l’innovation aussi est plombée <!-- --> | Atlantico.fr
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Selon certains chercheurs, une réduction de l'innovation liée à la démographie est déjà en cours dans certaines parties du monde.
Selon certains chercheurs, une réduction de l'innovation liée à la démographie est déjà en cours dans certaines parties du monde.
©Valery HACHE / AFP

Menace réelle

L’impact du vieillissement de la population sur la viabilité de nos systèmes des retraites est au coeur des préoccupations économiques mais les effets de ce même phénomène sur l’innovation sont très peu évoqués. Des chercheurs ont souhaité quantifier et estimer la baisse de l’innovation entraînée par le vieillissement de la population.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : On parle beaucoup de l’impact du vieillissement, incontestable, de nos populations sur la viabilité de nos systèmes des retraites, mais on oublie plus souvent les effets de ce même phénomène sur l’innovation. Quels sont-ils ?

Pierre Bentata : Un nombre croissant d'études observe que le vieillissement à des conséquences économiques qui vont bien au-delà du financement des retraites.

Davantage de personnes âgées signifie davantage de dépenses de santé, une réorientation des capitaux vers les services à ces personnes - d'autant plus qu'elles ont souvent un pouvoir d'achat plus élevé que le reste de la population - et plus généralement une transformation de la structure du marché des fonds prêtables - le marché de l'offre et de la demande du crédit.

Sur ce dernier point, il n'y a pas de consensus sur les effets finaux: certains économistes pensent que le vieillissement de la population va entrainer une baisse de la consommation de la part des ménages proches de la retraite - ces derniers thésaurisant pour se préparer à une baisse de revenus une fois à la retraite - qui va réduire la croissance immédiate; d'autres considèrent que la mobilisation de l'épargne accumulée par les personnes à la retraite va réduire d'autant les possibilités d'investissement et donc la croissance future.

Quel que soit le résultat, qui dépend en grande partie de la pyramide des âges et notamment du nombre de personnes étant déjà à la retraite par rapport à ceux qui seront à la retraite quelques années plus tard, on voit bien que le vieillissement a un impact très fort sur la structure de production et donc sur l'ensemble du cycle économique.

Or, en influençant l'épargne et l'investissement, le vieillissement a des effets sur les capacités à innover: moins d'investissement, c'est moins de moyens en R&D et donc moins d'innovations; moins de croissance, c'est moins d'opportunités pour innover.

Par quel biais est-ce que le vieillissement plombe l’innovation ?

Au-delà de l'explication purement macroéconomique, certains économistes et psychologues estiment que le vieillissement limite "physiologiquement" la capacité à innover. C'est la vieille idée, largement répandue dans les milieux académiques et scientifiques, selon laquelle les découvertes les plus géniales ou les plus disruptives sont faites avant l'âge de 30 ans.

Cette idée repose sur une thèse, encore débattue, qui suppose que le cerveau perdrait en plasticité en vieillissant. Les connexions neuronales seraient plus solides mais moins plus figées, ce qui aurait pour effet de cristalliser certains modes de pensées et donc de réduire les capacités créatives.

Si cela est vrai, le vieillissement devrait s'accompagner d'une réduction des innovations, du fait même d'une moindre capacité de la population à penser "autrement", en dehors des systèmes et des techniques existantes.

Certains chercheurs pensent qu'une telle réduction de l'innovation due à la démographie est déjà en cours dans certaines parties du monde. James Liang, économiste et démographe chinois, note qu' une augmentation d'un écart-type de l'âge médian dans un pays, équivalant à environ 3,5 ans, entraîne une diminution de 2,5 points de pourcentage du taux d'esprit d'entreprise ? Arrivons-nous ainsi à quantifier ou estimer la baisse de l’innovation entraînée par le vieillissement de la population ?

On constate en effet une corrélation entre vieillissement de la population et nombre de brevets déposés, ce qui pourrait constituer une forme de preuve indirecte. Pour autant, l'effet doit être considéré avec précaution pour deux raisons: il s'agit d'une corrélation, et le lien de causalité reste très incertain; plus important encore, un grand nombre de variables peuvent influencer cette corrélation et jouent, de façon certaine, un rôle bien plus important dans l'évolution des innovations. La présence d'un système financier développé et efficace, l'existence de relations fortes entre le monde de la recherche et celui de l'entreprise, la qualité de l'enseignement, la stabilité politique et bien sûr l'existence de règles claires et applicables à tous - la rule of law - sont les véritables déterminants de l'innovation.

Autrement dit, si le vieillissement peut avoir un impact sur l'innovation, il n'est certainement pas le principal élément.

Ce phénomène est-il inéluctable ? Pouvons-nous agir pour booster notre innovation dans un monde vieillissant ?

Je ne pense pas que ce phénomène soit inéluctable. Selon moi, le vieillissement n'a pas d'impact direct sur l'innovation car l'idée selon laquelle les plus vieux sont moins créatifs repose en fait sur une mauvaise analyse de ce qu'on observe actuellement. Dans le milieu universitaire par exemple, la raison pour laquelle les vieux chercheurs sont moins créatifs que les plus jeunes est évidente: leur temps est quasiment entièrement dédié aux tâches administratives: gestion des masters, des équipes, relations avec l'université etc... Et je pense qu'il en va de même dans les entreprises innovantes: en avançant dans leur carrière, les séniors s'éloignent du terrain de la recherche pure et dure.

Par conséquent, ce n'est pas l'âge qui réduit la créativité mais la "mauvaise" allocation du temps de travail des plus âgés. Avec la démocratisation des IA destinées à simplifier ses tâches et à économiser le temps de chacun, il me paraît clair qu'on verra à davantage de personnes âgés à l'origine d'innovation; d'autant plus que les vieux de demain seront des natifs des technologies d'aujourd'hui, capables donc, pour la plupart, d'utiliser ces IA et d'en comprendre le fonctionnement.

Voilà pourquoi je pense qu'il faut prendre le problème différemment: pour booster l'innovation, il ne faut pas chercher à endiguer le vieillissement, il faut mieux former les jeunes d'aujourd'hui et cesser de croire que plus on vieillit plus on doit être orienté vers des tâches d'organisation.

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