Vichy et la Résistance : comment la Corse a traversé la Seconde Guerre mondiale<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise le 28 septembre 2023 montre la cellule autrefois occupée par le résistant Fred Scamaroni à la citadelle d'Ajaccio.
Une photo prise le 28 septembre 2023 montre la cellule autrefois occupée par le résistant Fred Scamaroni à la citadelle d'Ajaccio.
©Pascal POCHARD-CASABIANCA / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Paul-François Paoli publie « Une histoire de la Corse française » aux éditions Tallandier. Comment définir le lien de la Corse avec la France et quel est son fil conducteur ? Pourquoi ces deux entités si disparates ont-elles uni leurs destinées alors que, culturellement parlant, la Corse était plus proche de l’Italie ? Extrait 1/2.

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Par crainte d’être rattachés à l’Italie, les Corses, comme la majorité des Français, accordent leur confiance au maréchal Pétain qui s’est engagé sur le sujet, contrairement à Laval. Sur les sept parlementaires corses de l’Assemblée nationale, quatre votent les pleins pouvoirs au maréchal le 10 juillet 1940. Seul Paul Giacobbi, député radical socialiste, est contre. Le ministre de la Marine César Campinchi, qui a donné son nom à une des principales rues de Bastia, a gagné l’Afrique du Nord. Quant à Adolphe Landry, lui aussi radical socialiste, il s’abstient.

Le régime de Vichy a donc de nombreux soutiens en Corse, comme en témoigne la participation au gouvernement du ministre François Pietri, qui est, avec Landry, la grande personnalité politique insulaire de l’entre-deux-guerres. Quand Landry, polytechnicien et démographe –  il influencera notamment Alfred Sauvy  –, représente ce qu’on peut appeler la « gauche », autrement dit le radicalisme –  influent dans le nord et à Bastia, ville populaire  –, François Pietri symbolise pour sa part le bonapartisme, fort enraciné à Ajaccio pour des raisons historiques. Cette célèbre figure de la droite en Corse durant l’entre-deux-guerres devient ambassadeur en Espagne du maréchal Pétain et sera inquiété à la Libération, mais finalement relaxé. D’autres personnalités corses de premier plan ont soutenu le régime de Vichy, parfois jusqu’à son terme. C’est le cas de Jérôme Carcopino, historien notoire de l’Antiquité romaine, mais aussi de l’écrivain Abel Bonnard, membre de l’Académie française. Tous deux furent ministres de l’Éducation nationale sous Vichy et Bonnard fut condamné à mort par contumace en 1945.

Radicalisme à gauche et bonapartisme à droite sont donc les deux grands courants idéologiques de l’entre-deux-guerres. Ces deux notions renvoient en premier lieu à la réalité des « clans », ces parentèles élargies qui défendent les intérêts d’un groupe de familles liées par le sang. Le rôle du clan est, en particulier, de fournir des emplois et distribuer des pensions (militaires, d’invalidité) –  parfois abusives  – en échange d’un soutien politique durant les élections locales et régionales. Le clanisme contribue à entraîner la Corse dans le tourbillon infernal de l’assistanat ; elle s’y trouve toujours aujourd’hui. Il renforce parfois l’image caricaturale des Corses, car le clan n’a pas disparu. À certains égards, les nationalistes ne constituent-ils pas un nouveau clan ? Comme l’a affirmé un jour l’ancien chef de file du FLNC, Léo Battesti, aujourd’hui dirigeant d’une Ligue corse des échecs aux performances remarquables, le clan participe inexorablement de l’identité de la Corse. Il relève d’une forme de clientélisme dans un pays où tout un chacun se connaît. Il est vain de vouloir l’éradiquer. Il faut lui offrir des alternatives en développant des activités fondées sur une économie productive plutôt que sur un tourisme n’enrichissant pas toujours directement la population.

Au-delà des intérêts, la Corse de cette époque ne cède pas, ou fort peu, aux appels totalitaires du communisme et du fascisme ; comme si les valeurs traditionnelles, notamment celles de l’Église, bridaient la montée des extrêmes. Elle est tout à la fois conservatrice dans ses mœurs, ce qu’exprime le bonapartisme avec son goût de l’autorité patriarcale, mais aussi très républicaine de par son tempérament égalitaire, ce qu’arborent les radicaux, souvent francs-maçons et affiliés au Grand Orient de France. Les ligues antiparlementaires n’auront jamais l’influence qu’elles ont pu avoir à Paris ou à Marseille, où c’est d’ailleurs un Corse, Simon Sabiani, qui représente le Parti populaire français de Jacques Doriot et devient maire de la ville, peu avant la Seconde Guerre mondiale.

À gauche, la radicalité idéologique se manifeste avec la Résistance, à travers la montée en puissance du parti communiste, la principale force insulaire dans la clandestinité et à la Libération. Entre les deux guerres, les radicaux et les socialistes incarnent la gauche en Corse, tandis que les communistes y sont peu nombreux. Mais ceux-ci deviennent très influents dans le courant de l’année 1941. En 1942, le communiste Arthur Giovoni prend en main le Front national tandis qu’Henri Maillot, le beau-frère du général de Gaulle, représente les gaullistes des Forces françaises libres. Compagnon de la Libération en 1945, Giovoni devient maire d’Ajaccio. Toutefois, la personnalité la plus emblématique de la Résistance en Corse est indéniablement Scamaroni qui, fait prisonnier par les Allemands, se suicide le 19 mars 1943. Il est aujourd’hui encore la figure révérée par tous les Corses qui ont de la mémoire.

Il nous faut raconter cette destinée hors du commun, qu’il n’est pas excessif de qualifier d’« héroïque ».

L’action de Scamaroni est comparable, à l’échelle de la Corse, à celle de Jean Moulin. L’homme fut un de ces preux dont la vie est marquée par une forme d’incorruptibilité qui outrepasse les limites humaines. Sa carrière et son parcours ont de troublantes ressemblances avec ce préfet adoubé par de Gaulle à Londres pour avoir unifié la Résistance intérieure. Comment peut-on qualifier le caractère d’un homme qui, après avoir été torturé par les Italiens du contre-espionnage le 19 mars 1943, réplique à qui lui promet la vie sauve s’il renonce à son combat : « Vous ne savez pas ce que c’est que l’honneur. » Enfermé dans sa cellule après avoir eu les ongles arrachés, il murmure à son voisin, peu avant de se suicider : « Tu diras à ma mère, à mes sœurs, que ce n’est pas très dur de mourir et que je meurs content. » Il écrit sur les murs de sa prison avant de se trancher la gorge avec un fil de fer : « Vive de Gaulle, vive la France. »

Comment ne pas s’incliner devant un tel courage, quasiment surhumain ? Scamaroni fait aujourd’hui encore l’unanimité en Corse, il transcende les clivages et les mesquineries idéologiques. Quand la grandeur d’un seul homme fait honneur à l’idée d’humanité…

Scamaroni est l’expression de la méritocratie républicaine dans ce qu’elle a de plus noble. Après des études de droit, il devient l’assistant du sous-préfet du Doubs quand la mobilisation survient. Comme son propre père, il s’oriente vers la carrière préfectorale. Mobilisé en 1940, il est blessé lors d’un combat aérien et décoré de la Croix de guerre. Ayant entendu l’appel du 18 juin, il embarque à Saint-Jean-de-Luz sur un navire polonais, le Sobieski, et gagne l’Angleterre où il rejoint les Forces françaises libres. Participant à l’expédition de Dakar, il est chargé de remettre au général Boisson, qui représente Vichy, une lettre de de Gaulle. Il tente de convaincre les soldats de Vichy de rejoindre la France libre, en vain. Après l’échec cinglant de cette expédition durant laquelle de Gaulle aurait songé au suicide, il est emprisonné et condamné à mort pour trahison puis rapatrié en France. Hospitalisé à Clermont-Ferrand, il ne peut rejoindre la carrière préfectorale. Marginalisé, il fonde alors le réseau de Résistance Copernic, visant à libérer la Corse. Il est ensuite affecté à la section « Action » qui s’occupe de sabotage. Il devient l’émissaire de la France libre dans l’île après que les Italiens du régime de Mussolini ont investi la Corse. Ils sont environ 80 000, installés dans les villages et les villes, et se comportent globalement correctement avec la population, hormis les chemises noires.

En novembre 1943, le régime fasciste s’écroule et Mussolini est destitué : les soldats italiens, dont la présence n’a plus de sens, sont livrés à eux-mêmes. Certains d’entre eux aideront même la Résistance corse.

De Gaulle reproche au général Giraud d’avoir laissé le pouvoir aux communistes, ce qui est très paradoxal quand on sait que ce dernier reprochait à de Gaulle d’avoir fait alliance avec eux dans la Résistance intérieure en 1942. Mais en Corse, rien ne se passe comme ailleurs. Les communistes, entrés dans la clandestinité dès 1940 après avoir été accusés de traîtrise à la suite du Pacte germano-soviétique, ont l’expérience du maquis et de l’organisation militaire. Cependant, sans l’aide extérieure, la Résistance – forte de plus de 10 000 hommes plus ou moins bien armés en 1943, ce qui est beaucoup pour un pays si peu peuplé – n’aurait pu exister de manière significative.

Deux facteurs permettent d’expliquer le dynamisme de la Résistance en Corse : tout d’abord l’action cruciale du sous-marin Casabianca – commandé par le capitaine Jean L’Herminier, il ravitaille depuis l’Afrique du Nord la Résistance corse en armes et matériel radio ; ensuite, le rôle décisif de Scamaroni lui-même, qui crée avec Giacobbi le réseau R2 Corse, totalement voué à de Gaulle et indépendant du parti communiste. Après l’exécution de Scamaroni, le gaulliste Paul Colonna d’Istria prend la tête du réseau en avril 1943. Malgré la mainmise du parti communiste sur le Front national, il se résout à rejoindre cette organisation, par réalisme.

Au fur et à mesure que la Résistance corse se manifeste, la répression s’accroît, même si les Italiens n’y mettent guère de zèle. Le chef communiste Jean Nicoli, fait prisonnier par les Italiens le 27 juin 1943, refuse d’être fusillé de dos. Il écrit une lettre en forme de testament avec cette formule : « La Tête de Maure et la fleur rouge, c’est le seul deuil que je vous demande. »

Le 9 septembre 1943, l’insurrection débute par l’occupation de la mairie d’Ajaccio. Le 11 septembre, le général Giraud, qui dirige les troupes de l’armée française basées en Afrique du Nord, apporte son soutien au Front national et permet l’envoi de plusieurs centaines d’hommes. Il rejoint la Corse le 21 septembre, où se trouvent 6 500 militaires français et 400 soldats américains. Les combats sont rudes avec les Allemands qui, débarqués dans l’île en octobre 1943, remontent jusqu’à Bastia par la côte orientale. Bombardée par les Alliés, la ville de Bastia est sévèrement endommagée. Des combats acharnés ont lieu notamment au col de Teghime, au-dessus de Bastia : un canon allemand y est toujours en place, en souvenir d’une bataille durant laquelle les goumiers marocains, que craignaient particulièrement les soldats de la Wehrmacht, notamment pour leur habilité à manier le couteau, avaient escaladé le col depuis la plaine orientale.

La formule du général de Gaulle qui arrive en Corse en 1943 sur la « premier morceau de France libéré en Corse par les Corses » est devenue célèbre. De Gaulle, accueilli dans la liesse à Ajaccio le 5 octobre, en veut secrètement au général Giraud de s’être fait manœuvrer par les communistes, devenus majoritaires en Corse à la Libération. Le 7 octobre, il prononce un discours dans une ville de Bastia en partie détruite. Les victimes sont très nombreuses : un millier d’Allemands sont tués ou blessés, plus de 600 Italiens, 170 résistants corses et près de 90 soldats français. On déplore aussi la mort de 300 civils victimes des bombardements.

Extrait du livre de Paul-François Paoli, « Une histoire de la Corse française », publié aux éditions Tallandier

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