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Vêtements de seconde main : ce qui est à l’origine de cette tendance massive de consommation
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Bon plan

Les soldes ont commencé et les chiffres de l'économie nous apprennent que depuis plusieurs années déjà, le marché des vêtements de "seconde main" est en pleine croissance. Sous cette donnée économique se cachent peut-être des changements de comportement et de consommation.

Danielle Rapoport

Danielle Rapoport

Danielle Rapoport est psychosociologue et dirige le Cabinet d’études DRC, spécialisé dans l’évolution des modes de vie et de la consommation, via une approche ethno-qualitative, auprès des consommateurs et d’équipes managériales en entreprises.

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Atlantico : Il y a encore quelques années, acheter un vêtement de seconde main relevait d'une forme de "honte", était circonscrit à certains magasins spécialisés, dont certains à vocation caritative. Aujourd'hui, cette barrière semble avoir sauté. Comment expliquez-vous ce changement dans les comportements de consommation ? 

Danielle Rapoport : Les changements de consommation ont débuté début des années 90 et se sont renforcés par la crise de 2008 . Défiance vis-à-vis des institutions, des entreprises, des prix trop élevés liés à une baisse perçue de qualité : la chasse à la bonne affaire et à la grande débrouille a commencé et ne s'est pas arrêtée, mais elle s’est appuyée sur d’autres modalités. Acheter pour acheter a perdu de  son sens si l'acte n’est associé à des « bénéfices secondaires », une récompense matérielle et morale qui justifie sa dépense. L’arbitrage entre pouvoir, vouloir et savoir d’achat, a montré que les consommateurs ont fait leur apprentissage des rouages d'un marketing mal pensé dont ils se méfient : ils ont opté pour des stratégies d'astuces,  de détournements des objets et de leurs usages, de contournement de l’achat classique. Payer le prix fort des marques est devenu trop coûteux pour des budgets (perçus) en berne, et surtout, devenir un consommateur non seulement exigeant mais aussi habile et intelligent, est devenu la norme. Voyant cela, les marques ont multiplié les promotions en plus des soldes officielles, et les bons plans de l’e-consommation ont contribué à donner aux achats plus de plaisir et moins de culpabilité. De ce fait, les achats d’occasion sont entrés naturellement dans la boucle. Pour leur prix, pour l’idée même que de l’acte de consommation a des effets délétères mal perçus - déchets, gaspillage, futilité dans intérêt, fausses innovations  etc. - et couplé à cela, c’est bon pour l’environnement, pour son sens moral et pour sa bonne conscience !

Un vêtement de seconde main acheté est un vêtement qui a été produit une fois et consommé deux fois. Pensez-vous qu'il existe aussi une dimension écologique dans l'acte d'achat de vêtements d'occasion ? 

Je me méfie un peu de la seule dimension écologique dans le vêtement de l’occasion, même si elle existe, et sûrement amplifiée par toute la sensibilité environnementale actuelle. Acheter une marque d'occasion, donc un vêtement plus qualitatif, plus original que  les offres courantes, et ce à un prix déflaté, fait montre de plus « discernement » et de capacité de distanciation qu’une réponse pulsionnelle à des stimuli consommatoires. Il faut rajouter une dimension ludique à ce type d'achat, à ne pas négliger, fouiller dans des friperies des occasions vraiment pas chères, faire les vide-greniers et dénicher la « super occasion ». Il ne faut pas oublier non plus que les vêtements d’occasion ne sont (presque)pas abîmés, voire quasi remis à neuf , et surtout que l’offre de l’occasion s’est multipliée et diversifiée. Internet là encore en est un acteur majeur, mais pas seulement. Acheter d’occasion, c’est entrer, indirectement, dans la vie, le choix, les goûts des autres, et cet acte s'inscrit  dans le besoin d’appartenance à une « communauté » de mode de consommation et de mode de vie.

Acheter d'occasion est-il non seulement devenu un mode de consommation mais aussi un mode de vie ? Quel sont les piliers de ce mode de vie ? 

C’est un mode de vie très complexe, paradoxal, dans son rapport au temps - valorisation du temps long, plus lent, et en même temps course à l’instantanéité et impatience - Le temps de l’occasion s’inscrit dans le passé, le présent et le futur, c’est intéressant de voir combien il répond à ce besoin de retrouver une origine, un sens et un but ! Mettre à la consommation en soi à (légère) distance, même si l’on n’en est pas forcément le sujet mais plutôt l’objet, fait appel au désir d’autres valeurs, dont l’acte gratuit. Tout ne devrait pas être soumis aux règles de la consommation - j’obtiens si je paye - à ce titre, l‘échange, le troc, qui ont aussi leur cote, ajoutent à ces valeurs. Un mode de vie qui souhaite allier un choix de vie à sa capacité de réalisation, et pour ce faire, acheter moins et mieux est un moyen de garder son énergie pour des actes plus essentiels. Il est intéressant de voir un courant, encore mineur, d’un choix professionnel de « seconde vie », plus manuel, plus proche du « faire » et de réalisations concrétisées dont on peut être fiers. Ne pas oublier, dans tous ces processus, la nécessité qu’ont les individus de reconnaissance et de valorisation, et cela commence aussi par l’estime de soi, y compris dans ses choix et modes de consommation.

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