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Vers un grand tremblement de terre ? Et si les deux verrous allemands et français qui bloquent l’Europe étaient en train de céder...
©Odd ANDERSEN / AFP

Avenir de l'Union européenne

Le verrou allemand à toute évolution de l’Union européenne qu’incarne Angela Merkel est-il toujours aussi grippé ? Le verrou français concerne la gestion de l’euro et son impact néfaste pour toute une partie de l’économie française. Un grand tremblement de terre pourrait bien se préparer.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Atlantico.fr : Alors que l’Eurogroup se réunit et semble achopper sur la question de dettes mutualisées, le verrou allemand à toute évolution de l’UE qu’incarne Angela Merkel est-il toujours aussi grippé ? Un éditorial du Spiegel invitait ainsi hier le chancelière à changer de pied et à aider l’Europe. 

Bruno Alomar : La réalité est que l’Allemagne, comme la France, reste partagée par rapport à l’euro et à l’Europe. En France, les élites politiques et économiques restent persuadées du bien-fondé de l’euro, et ont trop longtemps ignoré à quel point l’euro, parmi d’autres choses (impôts de production excessifs, dysfonctionnements des services publics, grèves, instabilité législative, immigration non contrôlée, violence civile tolérée, 35 heures etc.), contribuait à la crise politique, sociale, territoriale très forte que nous connaissons, en ce qu’il autorise trop de dépenses.

Les élites allemandes, elles, comprennent bien qu’un effondrement l’euro et de l’UE serait un désastre pour leur pays. L’Allemagne, depuis que les trois piliers de son rapport au monde depuis 1945 se sont lézardés (atlantisme, européisme, réunification), est perdue. Mais, comme en France, les dirigeants ne sont pas l’Allemagne toute entière, et doivent composer avec une population qui a aussi ses difficultés (question migratoire lamentablement imposée en 2015, travailleurs pauvres etc.), et qui voit l’euro comme une machine de plus en plus grippée.

Plus généralement, il ne faut pas surestimer la capacité des uns et des autres à comprendre leur intérêt : si c’était le cas, il n’y aurait pas de guerres etc.

Enfin, je pense que Mme Merkel a perdu toute réelle capacité d’action, la scène politique allemande était – elle en responsable, et les gérants de l’euro aussi -totalement fracturée.

Edouard Husson : Il y a un petit débat en Allemagne. Mais il n’atteint pas encore le coeur du système. Joschka Fischer et Sigmar Gabriel, deux anciens ministres des affaires étrangères, ont publié une tribune dans laquelle ils protestent contre le manque de vision du gouvernement allemand. C’est surtout le parti des Verts qui est en pointe dans cette discussion. Les arguments utilisés sont de bon sens et ils émanent d’une partie du patronat, en particulier de certaines voix dans l’industrie qui se rendent compte que la récession de la Lombardie et du Piémont, régions les plus riches d’Italie, va être une catastrophe pour l’économie allemande: pensons par exemple aux sous-traitants italiens de l’industrie automobile allemande. Perdre l’Espagne ou l’Italie, c’est, disent certains observateurs, annuler le gain net que tire chaque année l’Allemagne du Marché unique européen (estimé à environ 90 milliards d’euros dans une étude de la Bertelsmann Stiftung parue en 2019). Perdre l’ensemble de l’Europe du Sud, cela revient, en gros, à annuler le gain annuel estimé de l’euro pour l’Allemagne (selon le chiffre du Centre d’études de la Politique Européenne de Fribourg (217 milliards d’euros en 2017). Mais le coeur du système politique n’en démord pas: Wolfgang Schäuble est comme d’habitude intransigeant. Heiko Maas, ministre des Affaires Etrangères, récite bien sagement le catéchisme ordo-libéral (« Chacun doit assumer les conséquences de ses décisions »), pas question de mutualisation des dettes qui serait un blanc-seing à l’irresponsabilité. Et à Bruxelles Madame von der Leyen tâche de faire diversion en parlant d’un « plan Marshall pour l’Europe ».

N’y a-t-il pas aussi un autre verrou côté français avec des élites françaises qui ne veulent pas reconnaître que l’euro -ou du moins sa gestion- s’est révélé mauvais pour toute une partie de l’économie française et notamment l’industrie ? L’UE pourra-t-elle changer aussi longtemps que les gouvernements français prendront l’euro comme une assurance-vie permettant toutes le dérives budgétaires de l’État, même au prix d’une asphyxie de l’économie tricolore ? Mais là aussi, la posture est-elle tenable ?

Bruno Alomar : Les élites françaises, ou plutôt ceux qui occupent des postes de responsabilités dans l’État et les entreprises – et dont beaucoup, par leur incompétence, n’ont rien qui correspond à l’idée que nous nous faisons d’« élites » - ont souvent abdiqué toute forme de pensée à l’égard de l’euro, et plus généralement de l’Europe, au bénéfice d’une sorte de prêt-à-penser idéologique que l’on peut résumer ainsi « toujours plus d’Europe ». 

Leur idée initiale était que l’euro permettrait de « discipliner » les français en empêchant la dévaluation, et, mécaniquement, contraindrait à la discipline budgétaire. Ces deux idées se sont fracassées sur une réalité : l’incapacité des dirigeants politiques à maintenir les finances publiques en ordre, c’est à dire, car c’est la même chose, à réformer l’économie française. Reste une mythologie de l’euro, soigneusement entretenue dans ces cercles, qui est que, sans l’euro, avec un peuple aussi lamentable que les français, le pays irait à vaux l’eau. C’est le contraire qui est vrai : le principal effet négatif de l’euro, nourri par les accommodements de M.Draghi, c’est d’avoir précisément dispensé les français (et d’autres) de se réformer, et de continuer à bénéficier d’un argent facile. Gare au réveil…

Edouard Husson : Je ne pense pas que la prise de conscience de ce que vous dites soit très avancée en France. En gros, le débat sur l’euro, depuis le référendum sur Maastricht, s’est, à quelques exceptions près, polarisé entre les partisans, qui pensent que l’euro aide la société française à se discipliner et ceux qui crient à la cure d’austérité insupportable. En fait, ces deux façons de formuler les choses sont inexactes. L’euro a non pas discipliné mais protégé indument la société française de la compétition internationale. A l’abri des taux d’intérêt « allemands » notre pays a pu réaliser le rêve inassouvi de la gauche en 1981: un endettement indolore, la semaine de 35h. Il faut tout de même se rappeler que c’est le même homme, Dominique Strauss-Kahn, le même gouvernement, celui de Lionel Jospin, qui ont mis en place l’entrée dans l’euro et EN MEME TEMPS les 35 heures (la mesure la plus terrible des ces trente dernières années tant elle a changé la mentalité des Français au travail, en faisant de chaque salarié un petit syndicat à lui tout seul). Contrairement aux espoirs de quelques germanolâtres, l’euro a été un moyen de dissimuler la perte de compétitivité française. Dans un cercle vicieux, il a lui-même renforcé son propre effet premier: la surévaluation de la monnaie européenne pour notre économie lors de l’entrée dans l’euro menait naturellement, si l’on ne réagissait pas, à la désindustrialisation; et le laxisme budgétaire qu’a permis l’euro a renforcé cette tendance. Nous avons aujourd’hui une France largement désindustrialisée et dont l’Etat prélève 57% du PIB, en partie pour rembourser un endettement qui s’élève lui à 100% du PIB. Il est difficile de regarder cette réalité en face sans crier à la faillite intellectuelle et morale de nos dirigeants politiques et des grandes entreprises qui ont laissé faire depuis une génération. Donc je ne suis pas sûr que notre classe dirigeante ait envie de regarder cette réalité en face.

Que ces deux verrous cèdent et que l’Europe retrouve une chance d’avancer et de se préserver dans le monde de l’après CoronaVirus ou qu’ils demeurent et que les chances de survie de la zone euro et de l’UE s’amenuisent, un grand tremblement de terre pourrait bien se préparer : selon vous, dans quelle direction ?

Bruno Alomar : Je ne partage pas votre idée d’un tremblement de terre, que l’on entende un saut dans le fédéralisme européen, ou, au contraire, une désintégration, pour plusieurs raisons. 

Personne n’est prêt à un saut fédéral, et il est illusoire de l’envisager alors que les dissensions entre les européens n’ont jamais été aussi fortes sur presque tous les sujets : immigration, frontières, politique commerciale, élargissement, mœurs etc. J’ajoute qu’approfondir l’UE dans la panique d’une telle crise, c’est faire le lit d’une approche à la Mao Zedong de l’Europe « si l’Europe n’avance pas elle tombe ».

En ce qui concerne la désintégration, je crois que si tout est possible – peu ont vu venir le Brexit – personne n’est prêt ni à quitter l’UE, ni  à quitter l’euro. L’Italie, par exemple, ne veut absolument pas quitter l’euro…elle veut que sa gestion change ! C’est totalement différent.

Par ailleurs, il y a une sorte de mythologie de l’« explosion de la zone euro ». Je ne comprends pas vraiment de quoi il s’agit. L’euro, comme monnaie, n’a pas été remis en cause dans son existence sur les marchés, même au temps de la crise Lehmann, puis avec la crise du souverain. Vient ensuite la question de la possibilité pour un État de la zone euro de faire faillite. Ceci est jugé impossible, mais je ne vois pas en quoi. Si l’Italie, ou la France fait faillite, il y aurait des pertes, sans doute énormes du fait des liens économiques et financiers, c’est sûr, mais cela ne signifie pas automatiquement la fin de la zone euro. Enfin, si un État estime qu’il est son intérêt absolu de quitter la zone euro, malgré les risques et les difficultés, ce doit être une décision souveraine.

Donc, ce que j’envisage plutôt, ce sont des sparadraps financiers dans les années à venir, qui ne règleront pas les problèmes internes des États, et une UE qui progressivement s’affaiblira des dissensions et des disparités de ses membres. Une chose m’apparaît certaine : les dirigeants continueront de donner à l’euro une importance disproportionnée, ne comprenant pas que l’essentiel de leurs difficultés économiques vient d’ailleurs (baisse de la productivité du travail liée à l'effondrement du système éducatif, gaspillages, instabilité réglementaire et fiscale, réformes destructrices comme les 35 heures ou les nationalisations de 1981 etc.).

Edouard Husson : Le COVID 19 est comme un « Mene Tekel », cet avertissement biblique qui vient s’inscrire sur le mur où Nabuchodonosor et les dirigeants babyloniens festoyaient en toute quiétude. Soit les responsables de la zone euro vont à bout de la création d’une monnaie, avec mutualisation des dettes, émission directe par la BCE du crédit et transfert de la fiscalité au niveau européen; soit l’on va inéluctablement vers un éclatement de la zone euro. Nous n’avons pas su créer une vraie monnaie européenne quand l’économie se portait bien. Je crains donc que l’éclatement soit proche. Quand bien même le monde dirigeant allemand deviendrait lucide, il est bien tard.

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