Vers un biais cognitif « vaccin contre le Covid » : comment mesurons-nous vraiment la réalité des dangers qui nous menacent ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Vers un biais cognitif « vaccin contre le Covid » : comment mesurons-nous vraiment la réalité des dangers qui nous menacent ?
©SILVIO AVILA / AFP

Abstrait

La perspective de l’arrivée d’un vaccin contre le Covid-19 ne doit pas nous détourner de mesures de protection. Et pourtant c’est typiquement le genre d’information qui peut mener notre cerveau à baisser la garde face à la menace en considérant que la solution est déjà là.

Sylvie Droit-Volet

Sylvie Droit-Volet

Sylvie Droit-Volet est professeur des universités en psychologie. Elle est membre du  Laboratoire CNRS (UMR 6024) de psychologie sociale et cognitive à l'université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand où elle dirige une  équipe CNRS "Emotion, affect et cognition". Depuis sa thèse de doctorat en psychologie, elle étudie la perception du temps chez l'être humain et les mécanismes à l'origine de ses distorsions du temps, de ce qu'on appelle les illusions temporelles. Ses études portent notamment sur les variations des conduites temporelles tout au long de la vie,  chez les enfants plus particulièrement, mais aussi chez les jeunes adultes ou les personnes âgées.

Voir la bio »

Atlantico : Selon Antonio Fauci, le directeur l'Institut national américain des allergies et maladies infectieuses, la perspective de l’arrivée d’un vaccin ne doit pas nous détourner de mesures de protection. Et pourtant c’est typiquement le genre d’information qui peut mener notre cerveau à baisser la garde face à la menace en considérant que la solution est déjà là. Sommes-nous véritablement capables d’apprécier la réalité d’un danger à sa juste mesure ? Entre ceux chez qui la peur l’emporte ou ceux chez qui le refus des contraintes amènent à minimiser la réalité de la menace, comment fonctionnons-nous ? 

Sylvie Droit-Volet : La peur dans des situations menaçantes a beaucoup été étudiée en psychologie. On considère qu’il y a plusieurs composantes dans l’émotion de peur, avec différents niveaux de traitement, allant d’un niveau de traitement bas, automatique, à un niveau de traitement plus élevé, plus cognitif et conscient.

Prenons un exemple. Une personne croise un individu bizarre dans la rue qui lui lance un regard noir et hausse la voix. Chez cette personne, ceci déclenche automatiquement des réactions physiologiques que l’on peut mesurer. Ses yeux sont grands ouverts, ses pupilles se dilatent, son rythme respiratoire s’accélère, ses muscles se contractent. Tout son corps est prêt pour détecter le moindre signal d’agression et agir, réagir, au plus vite : se défendre ou s’enfuir. Il s’agit donc de réactions physiologiques, très rapides, devant une situation de menace, qui sont automatiquement déclenchées pour assurer la survie.

Ensuite, intervient la composante cognitive, évaluative, de l’émotion. Et cette évaluation détermine finalement l’expression de l’émotion sur le plan du comportement. Si on évalue que cette personne n’est pas dangereuse, qu’elle est saoûle et qu’à la moindre bousculade elle tombera, alors la peur est furtive et disparaît vite. Si, au contraire, on ressent sa détermination et sa force, alors la peur persiste et on tente de s’enfuir.

La peur dépend donc de l’évaluation de la situation de menace. Cette évaluation dépend de plusieurs facteurs : de la situation rencontrée, bien entendu, mais aussi de nos connaissances et de nos croyances. Elle dépend aussi de qui nous sommes, si nous avons une personnalité anxieuse, si nous avons des réels problèmes de santé. Cela dépend aussi de la perception du contrôle que l’on pense avoir sur la situation. La peur n’est effectivement pas de même intensité si l’on se sent plus fort ou moins fort que la personne qui nous agresse. Cela dépend également de la perception de la norme sociale (pression sociale), si l’on pense qu’il est bien d’agir de telle ou telle manière.

Concernant le coronavirus, la menace n’est pas perceptible, on ne la voit pas. On la perçoit que si l’un de nos proches tombe gravement malade. Aussi, dans le cas d’une menace non perceptible, l’intensité et la nature de nos émotions vont essentiellement dépendre de la composante cognitive de l’émotion, de nos connaissances, de nos croyances et de facteurs psychologiques intra-individuels, et leurs interactions. Par exemple, une personne à risques, qui considère que la maladie du COVID-19 est très grave, est plus anxieuse que les autres et respecte tous les gestes barrières, tant qu’il n’existera pas un vaccin efficace avec la garantie de l’absence d’effets secondaires. Si, en revanche, la personne adhère aux Fake news qui proclament que le nombre d’individus décédés de la COVID-19 est bien inférieur à ce que disent les médias, alors celle-ci n’a pas peur et adopte des comportements à risques. Pour elle, il n’y a pas de menace réelle. Elle peut même contaminer les autres. Il y a aussi la difficulté dans le temps de toujours respecter les gestes barrières, de toujours respecter le confinement très mal vécu. On a besoin des autres, besoin du contact social, surtout en situation de menace. Ainsi, le besoin irrépressible des autres, de les voir, de leur parler, peut faire oublier le risque, peut atténuer la peur le temps d’une étreinte, d’un peu de bonheur. En conclusion, en tant que psychologue, je dirais que le fait de savoir qu’un vaccin va être disponible ne fait pas comme dit Antonio Fauci baisser la garde. C’est plus compliqué que cela ! Tout dépend du poids des facteurs psychologies et sociologiques et de leurs interactions.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !