Vent de révolte anti-Immigration : mais que se passe-t-il dans la paisible Irlande ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le drapeau irlandais - AFP / Paul Faith
Le drapeau irlandais - AFP / Paul Faith
©AFP / Paul Faith

"Ireland is full"

Les rues de Dublin accueillaient, ce lundi 5 février 2024, un nombre conséquent de manifestants s'opposant à la politique migratoire de leur nation. Ce qu'il faut savoir.

Nicolas Pouvreau-Monti

Nicolas Pouvreau-Monti

Nicolas Pouvreau-Monti est co-fondateur et directeur de l'Observatoire de l'immigration et de la démographie.

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Atlantico : Une manifestation record contre l'immigration aux cris de « Ireland is Full » a eu lieu à Dublin le lundi 5 février. Comment expliquer ce phénomène ? Une partie des Irlandais a-t-elle voulu exprimer son mécontentement face à la politique migratoire du pays ?

Nicolas Pouvreau-Monti : Il apparaît clairement que, plusieurs décennies après d’autres nations d’Europe occidentale (comme la Grande-Bretagne ou la France), la société irlandaise se trouve confrontée à l’émergence spectaculaire d’une « question migratoire » dans son débat public. 

Ce basculement est d’autant plus radical dans un pays qui fut longtemps une terre d’émigration et non d’immigration : environ 10 millions d’Irlandais ont quitté leur île au cours des deux derniers siècles – notamment en direction de l’Amérique du Nord – soit une ampleur unique en Europe. Or depuis trente ans, l’Irlande est passée d’une société traditionnelle et relativement pauvre à une économie parmi les plus prospères du monde occidental : son PIB par habitant est désormais le 2ème plus élevé des Etats de l’OCDE (immédiatement derrière le Luxembourg).

Cette réussite spectaculaire a résulté en une attractivité migratoire tout à fait nouvelle, qui s’est d’abord traduite par l’arrivée d’immigrés en provenance d’Europe centrale et orientale dans les années 2000. Mais la nature des flux migratoires a changé depuis un peu plus d’une décennie, avec une prévalence croissante de profils originaires du continent africain ou du Moyen-Orient. 

L'Irlande est-elle confrontée à des difficultés réelles sur le plan migratoire et fait-elle face à un flux migratoire important ?

L’accélération rapide et forte des flux migratoires vers l’Irlande n’est pas une vue de l’esprit. Cette dynamique spectaculaire se retrouve notamment dans le champ de l’asile. Entre 2012 et 2022, le nombre annuel de premières demandes d’asile enregistrées en République d’Irlande a été quasiment multiplié par quinze (+ 1 350%) selon les données d’Eurostat. 

Cette immigration nombreuse concerne des profils de nouveaux arrivants extérieurs à l’Union européenne, issus de sociétés plus violentes et dont le niveau global de qualification se trouve nettement décorrélé des besoins de l’économie irlandaise – laquelle a bâti ses succès récents sur un secteur tertiaire florissant, en devenant une plateforme mondiale dans le domaine des nouvelles technologies.

Pour ce qui est de l’immigration dans son ensemble, les dynamiques sont aussi spectaculaires : les entrées annuelles en Irlande d’immigrés originaires de pays extérieurs à l’UE et autres que le Royaume-Uni, l’Amérique du Nord ou l’Australie ont été multiplieés par dix depuis 2010. Elles se sont élevées à 76 000 personnes entre mai 2022 et avril 2023 selon l’Office central irlandais des statistiques, dans un pays qui ne compte que 5 millions d’habitants. S’il était rapporté à la population de la France, ce flux entrant équivaudrait à un million d’immigrés en un an.

Cette marche a commencé juste en face de l'endroit où, il y a quelques mois, un migrant algérien naturalisé a poignardé des enfants et la personne qui s'occupait d'eux. L'immigration est-elle devenue l'une des préoccupations et des inquiétudes de la population irlandaise ? Comment expliquer cette évolution ?

Une récente enquête menée par l’institut Ipsos établit en effet que l’Irlande figure désormais parmi les pays les plus inquiets du monde au sujet de l’immigration, et 6 électeurs irlandais sur 10 se déclarent en faveur d’une politique « plus restrictive » en matière d’immigration.

L’accélération fulgurante et le changement d’origine géographique des flux migratoires expliquent largement cette évolution. Le sujet de l’immigration se trouve désormais associé à ceux de la « diversité culturelle », de la délinquance et de la criminalité. Dans un pays qui a longtemps compté parmi les plus homogènes d’Europe, le choc ne peut être que brutal.

Par ailleurs, l’ampleur de ces flux joue un rôle d’aggravation dans la crise du logement qui frappe durement les ménages natifs du pays, rendant l’immobilier de moins en moins accessible. Cette réalité nourrit puissamment les colères relatives à l’immigration en Irlande, avec des manifestations remarquées contre l’installation de centres d’hébergement.

Des partis politiques en Irlande tentent-ils d'apporter des réponses face à la colère et la demande de la population en matière d'immigration ?

Les deux grands partis qui structurent la vie politique irlandaise depuis l’indépendance et la guerre civile des années 1920, le Fianna Fail et le Fine Gael, apparaissent dépassés par les évènements, et ce d’autant plus qu’ils exercent actuellement le pouvoir ensemble dans le cadre d’un gouvernement de coalition. Le Sinn Fein, force en pleine ascension depuis plusieurs années (issue du combat pour la réunification de l’île mais capitalisant surtout sur le mécontentement social), tient quant à lui un discours « d’ouverture » sur ce thème qui risque de lui coûter au plan électoral.

L’absence d’un mouvement politique favorable à une réduction significative des flux migratoires en Irlande constitue aujourd’hui une exception en Europe de l’Ouest. Ce décalage entre « l’offre électorale » déjà installée et les aspirations de reprise en main formulées par l’opinion irlandaise paraît rendre probable l’émergence prochaine d’un parti de ce type.

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