Vague de froid et voitures électriques ne font pas bon ménage<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon Jean-Pierre Corniou, "la plage optimale de températures extérieures pour les véhicules électriques se situe entre 15° C et 30° C".
Selon Jean-Pierre Corniou, "la plage optimale de températures extérieures pour les véhicules électriques se situe entre 15° C et 30° C".
©ODD ANDERSEN / AFP

Autonomie réduite

La croissance du parc de véhicules électriques a mis en relief la vulnérabilité particulière des voitures électriques à batteries qui voient leur autonomie réduite par le froid alors que l’efficacité des bornes de recharge est également moindre.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Selon le New York Times, les conditions climatiques particulièrement difficiles et froides de cet hiver entraînent des difficultés pour les utilisateurs de véhicules électriques dans le Nord des Etats-Unis, notamment pour recharger leurs véhicules. Avec un temps glacial, les batteries des véhicules électriques sont-elles moins efficaces et ont-elles une autonomie plus courte ? Le temps de recharge est-il plus long par temps froid ? Comment expliquer ce phénomène ? 

Jean-Pierre Corniou : La vulnérabilité au froid des batteries est un phénomène connu dans les voitures thermiques qui sont toutes équipées d’une batterie 12 v pour le démarrage. Selon la Fédération norvégienne de l’automobile, la baisse de la charge des batteries lithium-ion d’un véhicule électrique est de l’ordre de 20%. Mais c’est une perte temporaire qui n’a pas d’incidence sur l’autonomie du véhicules en conditions courantes. La plage optimale de températures extérieures pour les véhicules électriques se situe entre 15° C et 30° C. En période froide, les ions se déplacent plus lentement de l’anode vers la cathode car l’électrolyte est plus visqueux. Par ailleurs, le froid ralentit aussi la vitesse de circulation des ions, de la cathode vers l’anode, pendant la phase de recharge, qui prend donc plus de temps. En revanche, une température plus  élevée améliore l’autonomie. De plus, le froid conduit les conducteurs à accroitre le chauffage de l’habitacle ce qui accroit la consommation électrique. Ce sont des pratiques bien connues des conducteurs de véhicules thermiques dans les pays ou régions froides qui doivent être transposées dans le nouveau monde du véhicule électrique où les contraintes sont différentes. Le gaspillage thermique propre aux véhicules à combustion interne peut certes être exploité l’hiver mais est une faiblesse structurelle de ces véhicules en condition normale d’utilisation.

Les voitures électriques sont-elles adaptées aux hivers rigoureux ? 

Les hivers rigoureux rendent la mobilité beaucoup plus difficile et aléatoire, quel que soit le moyen de transport choisi, avion, train ou voiture et chacun a pu déjà en faire l’expérience déplaisante. Mais la croissance du parc de véhicules électriques a mis en relief la vulnérabilité particulière des voitures électriques à batteries qui voient leur autonomie réduite par le froid alors que l’efficacité des bornes de recharge est également moindre. Le froid glacial qui frappe les Etats-Unis et le Canada cet hiver - on a atteint -35° C dans le Midwest mi-janvier - a mis beaucoup de conducteurs de véhicules électriques en difficultés et alerté l’opinion sur cette faiblesse manifeste des véhicules électriques. Cette mauvaise publicité pour les véhicules électriques est malvenue alors que beaucoup de conducteurs sont encore rétifs à troquer leur moteur thermique bien connu pour les aléas du monde électrique ; néanmoins, le parc se développe rapidement et est appelé à croitre encore plus fortement dans les prochaines années. Il faut souligner que d’ores et déjà la Norvège, pays du Nord, est le pays au monde qui détient dans son parc automobile la plus forte proportion de véhicules électrique, et où les VE représentent 80% des ventes en 2023, ce qui en fait un banc d’essai idéal, comme certaines régions de Chine.

Alors que les véhicules électriques doivent permettre d’accélérer la transition énergétique, de réduire nos émissions de CO2 et de lutter contre le réchauffement climatique, comment expliquer que le froid soit l’ennemi des véhicules électriques, réduise l’autonomie et provoque de telles pagailles pour les usagers, notamment en quête des précieuses bornes de recharge ? 

L’histoire du véhicule électrique est très courte -15 ans - par rapport à celle du véhicule thermique, qui a plus de 130 ans. Les chroniques du début du XXe siècle fourmillent d’anecdotes sur toutes les pannes des premiers véhicules thermiques, sur leur faible autonomie, la difficulté à trouver de l’essence, leurs crevaisons fréquentes et l’inconfort et la dangerosité des routes. Ces problèmes ont tous été résolus, point par point, tout au long de l’évolution technique de cette industrie mais aussi grâce aux progrès de l’infrastructure routière et des services. L’écosystème du véhicule électrique qui se met en place va connaitre une courbe d’apprentissage beaucoup plus rapide, s’appuyant sur l’expérience acquise avec le véhicule thermique et les progrès du numérique.

Plusieurs difficultés sont imputables au système de recharge. La disponibilité des bornes, la qualité de l’information qu’elles diffusent,  la multiplicité des systèmes de paiement et les prix jugés aléatoires sont très souvent relevés par les utilisateurs. Lorsque les conditions météorologiques créent une tension sur la demande de recharge, ces dysfonctionnements sont très douloureux pour les utilisateurs. Une étude récente menée par UFC-QueChoisir et publiée en décembre 2023 dénonce la « grande confusion » qui règne sur la tarification  de l’électricité, totalement décorrélée de la qualité du service. L’étude note des écarts de 830% sur une borne de faible puissance, 380% sur une borne de moyenne puissance et 190% sur une borne rapide. Or la transparence des tarifs est absolument indispensable pour créer la confiance du consommateur car ces variations sont jugées fantaisistes et aléatoires. Par ailleurs, l’objectif est de disposer de 400 000 bornes publiques en 2030 alors que le premier plan de 2015 prévoyait 100 000 bornes installées en 2020, objectif seulement atteint en mai 2023. Aussi le gouvernement s’est engagé sur le financement, à hauteur de 200 millions d'euros, d’un programme d’accélération de l’équipement de nouveaux points de recharge, notamment rapides.

Ceci ne consolera pas les « adopteurs précoces » qui doivent faire l’expérience, parfois amère, des limites actuelles intrinsèques du véhicule électrique comme des imperfections des systèmes de recharge.

Les véhicules hybrides ne sont-ils pas également fragilisés par temps froid ? La capacité kilométrique est souvent réduite à 20 kilomètres dans des conditions extrêmes. Les véhicules étant plus lourds, ils vont également plus consommer. Quoi qu’en disent les constructeurs, est-ce que cette réalité liée au temps froid ne réduit pas l’intérêt de posséder des véhicules hybrides dans certaines régions du monde confrontées à d’intenses vagues de froid en hiver, notamment aux Etats-Unis ?

Tous les véhicules sont fragilisés par le froid. Une batterie 12 v perd 33% de sa capacité au-dessous de 0° C. Tous les automobilistes ont été confrontés aux difficultés de démarrage l’hiver avec une batterie ancienne. Les fluides voient leur propriétés se dégrader et il faut utiliser les huiles, les réfrigérants, les liquides de lave-glace appropriés... Un véhicule hybride qui dispose d’une ensemble thermique complet et d’un système électrique est doublement vulnérable. Néanmoins, la complémentarité de ses deux systèmes de propulsion offre une sécurité d’usage puisque le système thermique offre une autonomie supérieure au système électrique.   

La question de l’avenir des véhicules hybrides est posé ; en principe, ils ne devraient plus être vendus en Europe en 2035. Et il est évident que le double système créée une complexité technique et implique pour le conducteur un engagement à recharger les batteries pour fonctionner en mode électrique qui ne se justifie que si l’autonomie des batteries reste insuffisante. Or chaque nouvelle génération de VE étend l’autonomie.

L’industrie automobile peut-elle mieux s’adapter face à cette réalité ? Des efforts peuvent-ils être faits sur l’autonomie et sur les batteries face aux conditions climatiques extrêmes ? Et quels sont les bons conseils à adopter pour préserver son autonomie par temps froid avec un véhicule électrique ?

L’industrie automobile, avec le développement rapide des véhicules électrique à batteries comme à pile à combustible, doit se réinventer. Elle sort, malgré elle, de sa zone de confort en devant maîtriser la chaine électrique et son écosystème comme elle est parvenue à le faire pendant des décennies avec l’industrie pétrolière. Il est certain que les constructeurs et les fabricants de batteries travaillent de façon prioritaire sur l’amélioration de la tenue en charge des batteries, et donc sur l’autonomie. Cela fait partie de leur feuille de route pour contribuer à convaincre les automobilistes de basculer vers le véhicule électrique. Chacun des composants de la batterie fait l’objet de programmes de recherche pour optimiser leur fonctionnement individuel et la performance globale. La batterie lithium-ion actuelle fait régulièrement l’objet d’améliorations tant sur ses composants physiques et chimiques (anode, cathode, électrolyte) que sur le système électronique de gestion de la batterie, le BMS (Battery Management System). Mais l’industrie pense que c’est avec l’électrolyte solide, envisagée pour la fin de la décennie, que la batterie fera un saut en avant majeur sur l’ensemble des performances énergétiques et la plage des températures de fonctionnement optimal.

Les conseils pour préserver l’autonomie sont les mêmes hiver comme été. Il faut limiter les sollicitations intempestives du moteur grâce à une conduite douce, sans accélérations brutales, ce qui est conseillé depuis toujours sur toutes verglacées et enneigées. Il faut utiliser les accessoires avec modération, notamment essuie-glaces, radio et chauffage. Les voitures électriques les plus performantes sont équipées pour le chauffage de l’habitacle d’une pompe à chaleur indépendante de la batterie de traction. Par ailleurs, il vaut mieux utiliser les accessoires très utiles que sont les sièges et le volant chauffants qui procurent un confort immédiat avec un minimum de consommation électrique plutôt que le chauffage général de l’habitacle. Enfin, il faut mettre en route le véhicule quand il est encore branché sur le réseau électrique, solution idéale pour ceux qui rechargent à domicile, et, luxe ultime, ne pas le garer à l’extérieur. Il faut noter que depuis toujours les conducteurs des états et provinces les plus froids d’Amérique du Nord, la "snow belt", mettent en œuvre ces pratiques pour leurs véhicules thermiques.

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