Va-t-en guerre ou réticents : la gauche est-elle devenue plus interventionniste qu'il y a 30 ans ?<!-- --> | Atlantico.fr
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62% des sympathisants socialistes sont favorables à une intervention militaire internationale en Syrie.
62% des sympathisants socialistes sont favorables à une intervention militaire internationale en Syrie.
©Reuters

La septième compagnie

Un sondage CSA pour Atlantico indique que 45% des Français sont favorables à une intervention en Syrie. Ce chiffre grimpe à 62% chez les sympathisants socialistes (55% pour l'ensemble de la gauche).

Yves-Marie Cann et Marc Crapez

Yves-Marie Cann et Marc Crapez

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA

Marc Crapez est politologue et chroniqueur (voir son blog). Il est chercheur en science politique associé à Sophiapol (Paris - X). Il est l'auteur de La gauche réactionnaire (Berg International Editeurs), Défense du bon sens (Editions du Rocher) et Un besoin de certitudes (Michalon).

Yves-Marie Cann est Directeur adjoint du Pôle Opinion Corporate de l'Institut CSA
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A (re)lire sur ce sujet : 45% des Français favorables à une intervention militaire de l'ONU en Syrie mais la part de ceux qui y sont opposés augmente

Atlantico : Selon un sondage CSA pour Atlantico (à voir ici), 62% des sympathisants socialistes sont favorables à une intervention militaire internationale en Syrie. La gauche était traditionnellement jusque-là peu favorable aux interventions de ce genre, notamment au Moyen Orient. Comment expliquer ce chiffre si élevé aujourd'hui ?

Yves-Marie Cann : La gauche et plus particulièrement les sympathisants du Parti socialiste sont en effet nettement plus favorables que ceux de la droite et de l’extrême droite à une intervention militaire en Syrie. Il est vrai que par le passé, l’électorat de droite manifestait une propension plus élevée à ce type d’intervention. Un seul exemple : quelques semaines à peine après le 11 septembre 2001, 64% des sympathisants de droite se prononçaient en faveur d’une participation de la France à des opérations militaires en Afghanistan contre seulement 44% à gauche (Sondage CSA / L’Humanité, octobre 2001).

Les chiffres observés aujourd’hui pour la Syrie peuvent pour partie s’expliquer par une sorte de "réflexe partisan" de la part des sympathisants de gauche : l’exécutif national étant à gauche, ceux-ci sont davantage enclins à soutenir les initiatives qu’il pourrait prendre en la matière. Un objectif "humanitaire" dans cette intervention militaire peut aussi être perçu et favoriser ces soutiens.

Marc Crapez : La gauche est traditionnellement partagée à l’endroit des interventions militaires. Il faut distinguer schématiquement une gauche subversive, classiquement pacifistes, d’une gauche modérée, fréquemment belliciste. Les socialistes modérés n’ont jamais répugné à lancer des corps expéditionnaires. Guy Mollet et François Mitterrand furent va-t’en-guerre lors des évènements d’Algérie. Etrange fascination des socialistes réformistes pour la chose militaire, voire la soldatesque…

Le socialisme entretient des connexions inconscientes avec le bellicisme, qui repose lui-aussi sur une sorte d’embrigadement ou d’enrégimentement. De l’interventionnisme économique à l’interventionnisme militaire, il n’y a qu’un pas, franchi par l’idée de « droit d’ingérence ». C’est lié au constructivisme d’une idéologie qui se donne pour mission d’éradiquer les maux sociaux. Ce sont des gens qui vous veulent du bien.

La solidarité de gauche forge a contrario une forte exclusion. Dans les années 1930, Albert Thibaudet soulignait le sectarisme des socialistes vis-à-vis de certains de leurs concitoyens. Il observait que leur prétendu pacifisme tourne « à un bellicisme intérieur » lorsque les « disponibilités bellicistes qui demeurent en circulation » sont « reportées sur les ennemis intérieurs ». La gauche est prompte à courir sus à l’ennemi.

Le socialisme idéologique se traduisait historiquement par un certain antimilitarisme. Peut-on en déduire que le "socialisme d'aujourd'hui" n'a plus grand chose à voir avec les idéaux qu'il est censé défendre ?

Yves-Marie Cann : Les dernières décennies ont été marquées par le déclin des idéologies, à gauche comme à droite. L’antimilitarisme n’a pas pour autant disparu à gauche mais il a certainement perdu en intensité, notamment depuis l’effondrement du bloc soviétique. Sans doute est-il d’ailleurs encore assez marqué à la gauche du Parti socialiste. C’est davantage la dimension humanitaire que peuvent recouvrir de nombreuses interventions militaires qui favorise un a priori plus favorable de la gauche que par le passé. Dans l’hypothèse d’une intervention en Syrie, il ne s’agirait pas de déclarer la guerre à une population mais au contraire de lui porter secours ou de la défendre face aux abus du régime en place.

Marc Crapez : Vous touchez du doigt la question des idéaux que le socialisme est « censé défendre ». C’est justement cette propension congénitale à la palinodie qui fait que le socialisme est considéré par certains comme démagogique. De Gaulle et Raymond Aron le regardaient comme un vain étalage de bons sentiments, voire une escroquerie intellectuelle.

Dans un livre publié en 1871, intitulé Révolution, République et socialisme, un socialiste mettait dans le même sac « le cléricalisme, le fonctionnarisme et le militarisme ». Il n’y a donc pas toujours eu de lien organique entre les partis de gauche et les fonctionnaires. Actuellement, le clientélisme de la gauche envers les fonctionnaires est devenu si puissant que la réforme Ayrault des retraites renonce à rapprocher les régimes du public et du privé, contrairement à ce que lui conseillait le rapport Moreau.

Ce chiffre de 62% contraste avec la moyenne de tous les Français qui n'est que de 45% en faveur de l'intervention. Les sympathisants de gauche – si ce n'est la gauche elle-même – ne montre-t-elle pas là sa déconnexion avec le reste de la population française ?

Yves-Marie Cann : Nous ne sommes clairement pas dans ce registre. La moyenne observée à l’échelle nationale est le résultat de la combinaison des différentes sensibilités exprimées. Si les sympathisants de gauche apparaissent comme les plus favorables à une intervention militaire sous l’égide de l’ONU, une majorité relative de sympathisants de droite se prononcent eux aussi en faveur de cette intervention (46% contre 44%).

Marc Crapez : Une partie de la gauche est perméable au chantage moral du slogan « on ne peut pas laisser faire ». Cette tendance à verser dans le pathos et la grandiloquence droit-de-l’hommiste découle de la thématique du « silence des intellectuels face à la montée du fascisme ». Soit dit en passant, cette théorie est fausse : les intellectuels ont, au contraire, souvent jeté de l’huile sur le feu en parlant trop.

Le conflit syrien est une guerre civile propice à la circulation de folles rumeurs. De par sa résonance médiatique, l’utilisation de gaz de combats est un enjeu de propagande entre les deux camps. Difficile de savoir ce qui est avéré. Les deux camps sont peut-être coupables, comme en ce qui concerne le fait, moins connu mais aussi atroce, des disparitions d’enfants : eux-mêmes victimes de kidnapping de leurs filles contre rançons, les notables du régime semblent avoir orchestré à Damas la disparition de jeunes filles des quartiers populaires en vue de détruire le mental adverse (les jeunes filles étant garantes de l’honneur des familles).

Cet exemple rappelle, en pire, celui des bébés volés sous le régime argentin de Videla, qui fut le pire régime d’extrême-droite de la seconde moitié du 20e siècle. Le pouvoir en place en Syrie est un régime capable de tout, qui s’adjoint les services de milices supplétives zélées (les chabbiha, composées de certaines tribus nomades dans la région d’Alep).

Alors que la gauche est pour l'intervention à 62%, ce chiffre ne tombe qu'à 46% chez les sympathisants de l'UMP. La popularité de l'intervention en Syrie n'est-elle finalement qu'un réflexe partisan lié la politique intérieure ? Les Français se positionnent-ils encore politiquement aujourd'hui sur des questions internationales ?

Yves-Marie Cann : L’hypothèse du réflexe politique ne peut être écartée mais j’observe qu’une courte majorité de sympathisants de droite se prononcent en faveur d’une intervention militaire en Syrie, notamment à l’UDI (51% contre 44%) et à l’UMP (46% contre 43%).

Plus globalement, le fait que les Français sont partagés sur ce sujet, avec des niveaux d’opposition non négligeables au sein de chaque camp politique, doit aussi beaucoup à la complexité de la situation en Syrie (les responsabilités ne semblent pas clairement établies) et aux doutes qui peuvent exister quant à l’efficacité d’une éventuelle intervention militaire en Syrie.

Marc Crapez : La « discipline de gauche » force l’esprit critique à s’arrêter aussitôt qu’il pourrait faire le jeu de l’adversaire de droite. Les socialistes n’ayant pas de prise sur la crise française, ils donnent le change avec le mariage gay, le non-cumul des mandats et la guerre extérieure, trois gadgets dont le rapport coûts/bénéfices est intéressant.

Ce ne serait pas la première fois où la politique intérieure parasite la diplomatie ou la stratégie. En mars 2012, le renseignement français avait localisé les principaux chefs d’AQMI, réunis dans une maison à Tombouctou et suggéré de les frapper. Mais en pleine campagne électorale, l’ex-président de la République eut semble-t-il peur des représailles contre les otages Français au Sahel. Cela rappelle l’épisode où l’armée américaine avait manqué Ben Laden en décembre 2001.

En Syrie, ce serait un non-sens de soutenir le régime en place qui est incapable de ramener la paix autrement qu’en massacrant ses opposants. On ne peut donc que soutenir les opposants, même si la proportion de djihadistes dans leurs rangs augmente puisque l’islamisme fournit les secours d’une discipline héroïque. J’ai soutenu la position française d’aide sans intervention sur le terrain, mais critiqué l’idée de faire du départ du dictateur un préalable à la négociation. Au lieu de faire de grandes déclarations, il aurait fallu livrer des armes à l’opposition sans le claironner et faire à Bachar el-Assad une guerre de l’ombre.

Propos recueillis par Damien Durand

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