Université : la réforme qui se fout de l'utilité réelle de l'enseignement dispensé<!-- --> | Atlantico.fr
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La loi Fioraso ne s'attaque pas au problème principal de l'université française : l'évaluation de la pédagogie
La loi Fioraso ne s'attaque pas au problème principal de l'université française : l'évaluation de la pédagogie
©DR

Master en bêtise

Toujours aussi mal classée, l'université française n'a pas su exploiter son autonomie nouvelle pour progresser. L'heure est à présent au retour en arrière, quitte à compliquer encore plus les choses. Des hésitations qui coûtent une petite fortune au contribuable.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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S’il est bien un sujet, en France, qui devrait échapper à la polémique politicienne, c’est l’université. L’enseignement supérieur est en effet devenu, au fil des années, et sous l’impulsion d’outils comme le classement de Shangaï, un espace d’affrontement et d’affirmation de la puissance internationale. Dans le faisceau d’éléments qui font le rayonnement d’un pays, l’efficacité et l’attractivité du système universitaire sont devenus des dimensions essentielles.

La loi dite LRU (liberté et responsabilité des universités) promulguée sous Nicolas Sarkozy visait à répondre à ce défi en armant les universités françaises pour faire face à la concurrence internationale. Pour atteindre cet objectif, Valérie Pécresse, qui était la ministre en charge du dossier, s’était assez courageusement attaquée à quelques aspects fondamentaux du dossier.

Elle avait d’abord rendu possible les regroupements d’université, sous des formes plus ou moins souples. La France compte en effet plus de 80 universités, dont certaines ne doivent leur existence qu’à des préoccupations d’aménagement du territoire : on crée une université dans une ville de taille moyenne pour encourager le maintien sur place des jeunes et éviter la désertification.

Elle avait aussi remanié en profondeur l’organisation même de l’enseignement supérieur, en déconcentrant fortement les pouvoirs régaliens. D’un côté, le ministère proprement dit perdait un grand nombre de ses prérogatives au profit d’une autonomie des universités, notamment dans le domaine budgétaire. D’un autre côté, le président de l’université bénéficiait de véritables marges de manoeuvres pour insuffler des projets et des dynamiques.

Dans la pratique, ces évolutions ont suscité beaucoup de réticences et restent encore mal vécues dans la communauté scientifique. En particulier, l’accroissement de pouvoir dont les présidents d’université ont bénéficié continue d’être vécu dans la douleur. Il faut dire que l’on ne devient pas, du jour au lendemain, un manager de talent, quand on a baigné toute sa vie dans la culture de l’autorité.

Dans de nombreux cas d’ailleurs, faute d’un modèle différent, les présidents d’université ont eu tendance à reproduire sans beaucoup de distance le modèle centralisé qu’ils avaient subi pendant des années. Le passage à l’autonomie, loin de susciter une culture du partage et de la responsabilité, a dans des cas fréquents conduit à transférer au président d’université le pouvoir fort peu partagé des services centraux du ministère de l’enseignement supérieur.

Comme le président d’université est brutalement devenu responsable de son budget, qui peut atteindre plusieurs centaines de millions d’euros, les résultats produits par la loi ont également pu se matérialiser par un gonflement des effectifs administratifs au détriment des moyens consacrés à l’enseignement. La crainte des sanctions en cas de déficit de l’université (cas actuel de 8 établissements) a incité certains présidents à s’entourer d’une armada de conseillers budgétaires, allègrement financés sur les heures de cours.

Dans cette phase de mise en place d’une loi pourtant utile, la grogne a inexorablement monté. Non seulement l’autonomie des universités ne s’est pas forcément traduite par une amélioration de l’enseignement, mais le classement de Shangaï continue d’être un no-man’s-land pour les universités françaises. Il n’en fallait pas plus pour nourrir les appétits d’abrogation de la loi Pécresse.

Dans ce climat hostile, la ministre Fioraso ne disposait guère de larges manoeuvres pour agir, tant les problèmes de l’université française sont lourds.

Le trop grand nombre d’établissements disqualifie en effet la France par rapport à ses concurrents internationaux. Une petite université qui conduit au mieux, dans certaines disciplines, à la licence, sans structure de recherche reconnue internationalement, sans véritable moyen pour faire "grandir" ses étudiants, n’a plus aucun avenir dans la vaste compétition mondiale où s’affrontent les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Australie, l’Espagne, et dans une certaine mesure l’Italie.

Si la loi Fioraso s’attaque à ce sujet, elle y fait encore preuve de timidité. Là où 20 universités suffiraient, on parle de 30 regroupements, qui ne signifient pas encore des fusions.

D’autres sujets font l’objet d’un traitement moins heureux dans la nouvelle loi.

Là où la loi Pécresse avait cherché à rassembler les pouvoirs autour des présidents d’université, la loi Fioraso revient en arrière, en créant un conseil académique, qui sera le lieu où se décideront les politiques de formation de l’université. Ce conseil ne sera pas forcément présidé par le président de l’université. Autant dire que l’introduction de cette dichotomie dans la gouvernance, dont on voit bien qu’elle vise à affaiblir les présidents pour apaiser la grogne, aura des effets dévastateurs sur les projets universitaires selon le principe bien connu : deux chefs égalent pas de chef.

La loi pose ici les jalons d’une neutralisation de toute politique universitaire, dont les étudiants seront les victimes finales.

Là où la loi Pécresse avait permis aux universités de créer leurs propres diplômes, la loi Fioraso revient aussi en arrière, en proposant de diviser par 15 le nombre de licences en France. On voit là encore la logique qui est à l’oeuvre : cette belle nostalgie jacobine qui vise à remettre dans les services centraux du ministère des politiques qui avaient été déconcentrées au niveau local. 

On regrettera surtout que la loi Fioraso ne s’attaque pas, enfin, au sujet essentiel de l’université : l’évaluation de la pédagogie, grâce à quoi il est de notoriété publique que beaucoup d’universitaires français passent infiniment plus de temps à chercher qu’à enseigner. Et qu’ils ne se préoccupent que marginalement de la qualité de leur enseignement.

Rappelons ici les pratiques des universités anglo-saxonnes, qui leur valent leur notoriété et leur prestige : les étudiants paient leurs études très cher et exigent en contrepartie un enseignement de qualité qui leur permet de s’insérer dans la vie professionnelle. Cette arme radicale contre le chômage des jeunes s’appuie sur une évaluation des enseignants à chaque leçon, par les étudiants. Combien d’universitaires français chargés d’enseignement aux Etats-Unis n’ont-ils pas fait l’amer apprentissage de ces séances où l’étudiant, méprisé avec tant d’arrogance en France, remet l’enseignant à sa place sur les faiblesses de ses cours?

La France a fait le choix absurde de se complaire dans une culture de la lamentation sur le sort de ces pauvres étudiants issus de quartiers défavorisés, en partant du principe qu’ils étaient évidemment à plaindre, mais surtout pas à écouter. Pas question de leur donner la faculté d’évaluer leurs enseignants, même si certains d’entre eux arrivent en amphithéâtre sans avoir préparé leurs cours, en bâclant les séances, et en évitant soigneusement de corriger avec soin les copies qu’ils demandent aux étudiants de produire. Il est tellement plus facile d’incriminer le manque de moyens budgétaires, l’injustice sociale et la fatalité pour expliquer l’échec du système !

Moyennant quoi les taux d’échec dans l’enseignement supérieur dépassent les 50%, ce qui constitue une gabegie effroyable : un étudiant à l’université coûte au moins 10 000 euros. Une année perdue par l’un d’entre eux revient donc à investir 10 000 euros en pure perte dans une année. Voilà un beau gâchis que la France, dont les performances universitaires baissent dangereusement, ne peut plus guère s’offrir.

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