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Uniforme à l'école : "C'était une bonne méthode, alors gardons la !"
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Old school

Une proposition de loi de l'UMP veut réinstaurer l'uniforme à l'école. A force d'être tournée vers le passé, l'école s'interdit-elle d'avancer ? Aucunement, selon Natacha Polony qui considère que "depuis 30 ans, les méthodes mises en place à l'école sont moins efficaces que les précédentes".

Natacha Polony

Natacha Polony

Natacha Polony est directrice de la rédaction de Marianne et essayiste. Elle a publié Ce pays qu’on abat. Chroniques 2009-2014 (Plon) et Changer la vie (éditions de L'Observatoire, 2017).

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Atlantico : L’UMP a récemment proposé une loi visant à rétablir l’uniforme à l’école. Pourriez- vous nous expliquer le pourquoi de cette nostalgie ambiante dans les réformes envisagées pour l’Éducation nationale ?

Natacha Polony : La question de la nostalgie ne se pose qu’en rapport avec un problème actuel : les élèves, lorsqu’ils sont dans une classe, n’ont pas conscience d’être dans un lieu spécifique. Depuis 20 ou 30 ans, nous avons décidé que l’école n’était plus un sanctuaire, et qu’il fallait au contraire que la société entre dans les classes par tous les moyens. On s’aperçoit aujourd’hui que les enfants, en classe, font des concours de vêtements de marque, et sont préoccupés par à peu près tout, sauf le fait d’apprendre. C’est dans cette logique qu’une certaine nostalgie, et le débat correspondant sur l’uniforme, se replace. Dans certains pays d’Europe, qui ne sont pas spécialement rétrogrades (Angleterre, Espagne), l’uniforme est quelque chose de tout à fait classique.

Mais on a parfois l’impression, non que les anciennes règles ne soient forcément mauvaises, que l’Éducation nationale a tendance à « faire du neuf avec du vieux » dans ses réformes… Ce processus n’empêche-t-il pas le progrès et l’évolution de l’école ?

Mais une évolution vers quoi ? On nous sert du neuf depuis 30 ans, et il est inefficace ! Je suis pour les bonnes évolutions, mais lorsqu’on s’est trompé, il est inutile de continuer.

J’ai été consternée, plusieurs fois, d’entendre des instituteurs me dire : « Enfin, vous ne voudriez pas qu’on enseigne comme dans les années 1950 ? » Mais peu importe, si cela fonctionne ? C’est une dictature de la modernité, une sorte de « bougisme », c’est-à-dire qu’il faut absolument changer parce que le changement serait bon par essence. Je suis pour une école qui garde ce qui marche, et qui change ce qui ne va pas.

En l’occurrence, depuis 30 ans, les méthodes mises en place sont moins efficaces que les précédentes. Dans ce cas revenir en arrière n’est pas un défaut. Quand le capitaine du Titanic a crié « Marche arrière toute » parce qu’ils fonçaient dans un iceberg, je ne pense pas qu’il ait eu un réflexe réactionnaire.

Tant qu’on sera dans une idéologie qui consiste à approuver tout changement parce que c’est un changement, et donc moderne, sans vouloir regarder les résultats, alors l’école continuera dans l’état où elle se trouve actuellement, à savoir que les élèves arrivent en sixième sans savoir lire, écrire ou compter.

L’uniforme, dans l’idéologie collective, va souvent de pair avec l’image militaire, une forme de discipline. Bien que l’objectif avoué de cette proposition de loi soit de réduire les inégalités sociales, n’est-ce pas en même temps un but de restauration disciplinaire ?

Les raisons profondes des auteurs de cette proposition me sont inconnues, mais je ne doute pas qu’il y ait des instrumentalisations politiques et des arrière-pensées. En revanche, quelle que soit la raison, je pense que cette idée est bonne.

La question d’une discipline militaire est une obsession et un vieux réflexe de soixante-huitards attardés : les militaires ne sont pas les seuls à porter un uniforme. Un uniforme est le signe qu’on est dans un statut, une fonction, une tâche précise. A l’instar de la blouse qui montre qu’on est dans un travail précis. On adapte le vêtement à la tâche et à la fonction. C’est une idée très saine, en ce qu’on sépare les espaces. En dehors de l’école, les enfants exercent leur « liberté vestimentaire » et s’habillent comme ils veulent, mais au sein de la classe, ils portent une tenue spécifique pour signifier que c’est un lieu spécifique. En outre cette tenue a l’avantage de masquer, partiellement parce qu’elles ne disparaîtront jamais, les inégalités sociales ; d’éviter l’obsession de l’apparence qui malheureusement fait des ravages chez les jeunes gens ; de suspendre un peu cette société de consommation qui en train de nous bouffer.

C’est au contraire la plus grande liberté ! J’entendais Jean-Michel Apathie, face à un Luc Chatel peu convaincant dans la défense d’un uniforme auquel au fond il ne croit pas, évoquer le libéralisme comme la liberté de s’habiller comme on veut. Voilà une conception de liberté d’une pauvreté absolue, parce que justement, pour enseigner à des jeunes ce qu’est la liberté, on doit leur faire comprendre qu’ils ne vont pas l’exprimer par une tenue vestimentaire à la mode ! Si vous les habillez tous dans un vêtement commun, c’est par leur pensée, leur culture, leur esprit qu’ils vont se distinguer. La vraie liberté se situe là.

L’uniforme est en vigueur dans plusieurs lycées des DOM-TOM, et le proviseur de l’un d’entre eux déclarait que l’uniforme permettait de ressusciter quelque peu la fierté de l’école et de l’écusson…

Je ne suis pas forcément pour un cocardisme appliqué à l’établissement scolaire. L’intérêt principal de l’uniforme n’est pas là. En revanche ce n’est pas négatif non plus : si ça peut éviter un tribalisme au sein des établissements scolaires, alors oui. On voit aujourd’hui au sein des établissements des formes de clivage, parfois en fonction de l’ethnie d’origine, ce qui est terrible. Si l’uniforme peut, même partiellement, gommer cela, pourquoi pas, mais je n’en suis pas sûre.

Le fait de revenir à d’anciennes méthodes ne consacre-t-il pas l’échec de l’Éducation Nationale, et a contrario le succès de certaines écoles privées, voire même hors-contrat ?

En effet, ce constat consacre l’échec des méthodes suivies depuis des décennies. Mais il n’y a pas besoin d’être grand clerc ou de voir les résultats des enquêtes pour le comprendre : chaque parent le sait. Il suffit de regarder les carences dans la maîtrise du langage chez la plupart des jeunes… On ne peut continuer à se voiler la face au nom de la modernité. Il ne s’agit pas non plus de rétablir l’école à l’ancienne avec coups de règles sur les doigts ! Ceux qui brandissent ce spectre refusent tout simplement d’admettre leurs erreurs, et la seule façon pour eux de changer leur idéologie noyée de toute part est de caricaturer les solutions alternatives.

Quant aux écoles privées, sous contrat ou non, elle peuvent être très positives. Mais le principe même de défendre la libéralisation du système me gêne. C’est l’éclatement de l’Éducation nationale, et donc de la formation citoyenne. Les écoles hors contrat attirent tant parce qu’elles fonctionnent, contrairement aux établissements publics. Néanmoins je reste fidèle à l’idéal des Lumières, à savoir que la puissance publique doit l’instruction au peuple, c’est alors qu’on émancipera les individus et formera une nation qui choisira collectivement son destin. La souveraineté nationale n’existe que si le peuple est éduqué dans une culture commune.

Propos recueillis par Romain de Lacoste

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