Une impasse nommée UE : la nouvelle Communauté politique européenne pourrait-elle sauver l’Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, la présidente moldave Maia Sandu et Emmanuel Macron posent pour une photo lors du sommet de la Communauté politique européenne à Bulboaca.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, la présidente moldave Maia Sandu et Emmanuel Macron posent pour une photo lors du sommet de la Communauté politique européenne à Bulboaca.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Diplomatie

La nouvelle Communauté politique européenne, pensée par Emmanuel Macron, tient sa seconde réunion en Moldavie ce vendredi. La CPE pourrait-elle être à l’origine d’un nouveau moment européen et permettre à la France de retrouver une centralité avec de nouveaux alliés ?

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat est professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire Jean Monnet ad personam.

Il est l'auteur de Histoire de l'Union européenne : Fondations, élargissements, avenir (Belin, 2009) et co-auteur du Dictionnaire historique de l'Europe unie (André Versaille, 2009).

 

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Mathieu Droin

Mathieu Droin

Mathieu Droin est chercheur invité dans le cadre du programme Europe, Russie et Eurasie du Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS), où il se concentre sur la sécurité et la défense européennes transatlantiques. Avant de rejoindre le CSIS, Mathieu Droin a occupé le poste de chef adjoint de l'unité des affaires stratégiques au ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères (MAE), où son travail s'est concentré sur l'OTAN, la politique de sécurité et de défense commune de l'UE et les questions de sécurité maritime.

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Atlantico : Même si la crise Covid et la guerre en Ukraine lui ont redonné de la vitalité, l’Europe semble demeurer dans une forme d’impasse. L’incarnation technocratique, rigide et manquant de démocratie a du mal à évoluer. Quelle est la profondeur de l’ornière actuelle et que peut la CPE face à cela ? 

Gérard Bossuat : L’ornière est profonde. Les modèles d’union politique qui ont été mis à l’épreuve, en Europe, ont tous échoué. Il y a d’abord eu la communauté politique européenne, entre 1950 et 1952, puis l’incapacité à construire une constitution européenne après le traité de Maastricht. Ces tentatives d’unions et d’organisation sur le plan politique n'ont mené à rien, ou presque. Bien sûr, il existe désormais un Parlement européen, et c’est très bien, mais il n’y a pas que cela qui compte… D’autant plus que rien ne permet d’identifier, à ce jour, une quelconque logique d’approfondissement européen. 

Quand on parle d’union ou de communauté politique, on aborde mécaniquement des questions extrêmement importantes qui mettent en cause la souveraineté des nations. C’est, à certains égards, l’identité de chacun qui est mise en cause. La plupart des pays, y compris la France, ne semblent pas très ouverts à une logique d’abandon de la souveraineté nationale.

C’est précisément pour cela qu’il n’est pas possible, aujourd’hui, d’affirmer que nous sommes dans une logique de construction européenne. 

Mathieu Droin : Je crois qu'il est important de souligner que la CPE n'est pas destinée à réformer l'Union européenne ou l'OTAN. Ce n'est ni un substitut ni un palliatif à l'une ou l'autre de ces deux organisations. De plus, je dirais que la guerre en Ukraine a plutôt renforcé la légitimité et l'utilité de ces deux organisations. Dans l'ensemble, l'OTAN et l'UE ont montré qu'elles pouvaient répondre de manière complémentaire à la guerre. La CPE n'a donc aucunement vocation, ni maintenant ni à l'avenir, à se substituer à l'une ou l'autre. Son rôle principal est plutôt de compléter ce que l'OTAN ou l’UE  ne peuvent tout simplement pas faire, en raison du format qui permet d'inclure d'autres membres qui ne sont pas parties prenantes de l'une ou l'autre de ces organisations. 

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L’Union européenne paie-t-elle le prix d’une intégration qui s’est majoritairement faite sur des critères économiques depuis les années 1990, au détriment de la dimension politique de l’UE ?

Gérard Bossuat : Entre 1952 et 1954, l’Europe s’est retrouvée face à une impasse politique. Nous n’avons pas érigé la communauté politique européenne, pas plus que nous n’avons construit la communauté européenne de défense. A l’époque, il y avait la volonté de créer une communauté politique en Europe, mais les Français (y compris parmi les pro-européens) n’en voulaient pas. Quiconque souhaite une réelle Europe politique doit se rendre à l’évidence : il faudra accepter un abandon, partiel au moins, de la souveraineté nationale. Aujourd’hui encore, c’est quelque chose de très difficile à entendre.

Est-ce à dire que l’Union européenne paye le prix d’une intégration plus économique que politique ? La question est intéressante, quoiqu’un peu piégeuse. Bien sûr, nous avons commencé par l’Europe économique, mais à l’époque il y avait alors un absolu besoin de ce type d’alliance. C’est pour cela que nous avons mis en place une union douanière à l’issue de la Seconde guerre mondiale… et même celle-ci n’a pas été immédiate. La construction de la Communauté économique européenne, il faut encore le rappeler, a engendré des politiques communes (dont certaines sont des réussites, comme cela peut être le cas de la politique agricole commune) qui relèvent de l’abandon d’une partie de la souveraineté nationale. En cela, elles ont aussi quelque chose de politique. Cela représente donc une phase intéressante de la construction européenne, y compris sur le plan politique. 

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Ce n’est d’ailleurs pas la seule marque d’abandon d’autonomie que l’on pourrait mentionner : la création d’une monnaie commune en fait également partie. Mais rien de tout cela n’engendre le moindre enthousiasme pour une communauté politique ; soit une représentation commune à l’idée de ce qu’est l’Europe. Peut-être faudra-t-il un gouvernement européen pour en arriver là, ainsi que l’envisageait Jean Monnet.

La nouvelle communauté politique européenne pensée par Emmanuel Macron tient sa seconde réunion (la première depuis son lancement en octobre dernier), en Moldavie ce vendredi. Ce nouveau groupe pourrait-il réussir à sortir l’Europe de l’ornière dans laquelle elle est ?

Gérard Bossuat : Je ne vois pas très bien comment. La proposition d’Emmanuel Macron, si bien intentionnée puisse-t-elle être, n’apporte rien de très neuve : il n’innove pas et se contente de se placer dans une certaine constance avec ses prédécesseurs. Jacques Delors avançait déjà des idées comparables.

Qui, aujourd’hui, entend parler de la Communauté politique européenne ? Elle ne laisse pas - ou si peu ! - de traces sur le paysage politique européen. Bien sûr, elle est aujourd’hui évoquée par les médias, en raison des récents sommets dont elle a fait l’objet (et auxquels participait la Grande-Bretagne, ce qui n’est pas sans manquer d’ironie !). En dehors de cela, je ne suis pas sûr que cela suffise à déclencher une entente inter-européenne au niveau politique. Je parle de la capacité de l’Union à prendre des décisions politiques sur les grandes questions contemporaines qui font régulièrement l’actualité. 

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Si les peuples européens étaient capables de laisser une structure inter-européenne décider sur un certain nombre d’enjeux politiques importants, on pourrait éventuellement parler d’une communauté réellement politique. Là ce serait intéressant. Or, sur un certain nombre des enjeux actuels - comme dans le cadre de l’Ukraine - il peut y avoir des positions européennes mais ce n’est pas pour autant qu’on identifie celle-ci comme une seule et unique voix. Il n’y a qu’à voir ce que fait Vladimir Poutine : il s’en prend aux Etats-Unis… et aux pays de l’Union plutôt qu’à l’Union elle-même.

Mathieu Droin : Tout d'abord, permettez-moi de rappeler ce qu'est la Communauté politique européenne. Il s'agit d'une initiative qui a été conçue avec pour objectif principal la création d'une plateforme à l'échelle du continent, ciblant prioritairement les pays qui aspirent à rejoindre l'Union européenne et/ou l'OTAN, mais qui n'ont pas de perspectives d'adhésion à court terme. Cela concerne en particulier la Moldavie et l'Ukraine, ainsi que les pays qui n'ont tout simplement pas l'intention de rejoindre l'Union européenne, mais qui sont importants pour un dialogue à l'échelle de l'Union. Je pense, par exemple, à la Norvège, une puissance énergétique majeure, ainsi qu'à la Suisse. Il s’adresse également à des pays qui ne sont plus membres de l'Union européenne, dans le cas unique et particulier du Royaume-Uni, qui revêt une importance fondamentale. Depuis le Brexit, le président Macron avait l'idée d'un format permettant de réintégrer les Britanniques dans le dialogue européen. Dans le passé, il avait évoqué l'idée d'un Conseil de sécurité européen qui n'a pas abouti. La CPE, quant à elle, a suscité beaucoup de débats, car on la considérait comme une voie de garage à l'élargissement de l'Union européenne, une sorte de zone d'attente pour les pays qui aspirent à rejoindre l'Union mais qui ne le feront pas à court, voire à moyen terme. Cependant, je pense sincèrement que c’était l'idée d'avoir un forum réunissant tous les acteurs, et notamment le Royaume-Uni, qui occupait une place importante dans la vision du président Emmanuel Macron. 

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A défaut d’être la solution parfaite, cette communauté pourrait-elle, a minima, permettre de donner l’élan ou l’étincelle à un nouveau moment européen ? 

Gérard Bossuat : Je le pense, oui. Mais j’essaie de ne pas faire d’illusions, ce qui explique pourquoi j’ai un peu de mal à y croire. Je ne vois pas des chefs d’Etat ou de gouvernement s’investir véritablement dans cette communauté politique européenne. En 1950-1952, après le plan Schuman, il y avait incontestablement un grand élan en faveur d’une Union européenne politique.

Rappelons tout de même ce qu’est (ou ce que serait) une réelle union politique : il s’agirait d’une Europe unie derrière un gouvernement commun. Il ne me semble pas que ce soit l’objet de la CPE. L’important, y compris dans ce cas là et aux yeux de nombreux Etats, cela reste les affaires économiques et financières… 

Mathieu Droin : Il est important de comprendre que la CPE n'a pas pour vocation, et même si elle l'avait, elle n'a pas les moyens de transformer en profondeur l'Europe. Tout d'abord, elle ne dispose pas de capacités militaires, qui sont gérées de manière coordonnée par l'OTAN. De plus, la CPE, qui reste un format informel, n'a pas les moyens de prendre des décisions politiques contraignantes pour les États participants, contrairement à ce qui peut être le cas au sein de l'Union européenne. Par ailleurs, la CPE ne dispose pas de ressources financières propres, ce qui limite globalement son ambition.

La France et l'Allemagne sont divisées sur la demande d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. La France souhaite une feuille de route claire, tandis que l'Allemagne appelle à la prudence. De manière plus large, le couple franco-allemand semble à la peine. La guerre en Ukraine a fait évoluer le centre de gravité de l’UE vers l’Est et les pays du nord. La CPE pourrait-elle permettre à la France de retrouver une centralité avec de nouveaux alliés? 

Gérard Bossuat : Je ne crois pas qu’il faille poser le problème ainsi. La France joue déjà un rôle central, quand bien même elle n’est pas leader de l’Union européenne aujourd’hui. Elle le fut, rappelons-le.

Ceci étant dit, poser le problème de cette façon, c’est avant tout considérer l’Union européenne comme un outil ou un relais pour gonfler sa propre influence ou sa puissance. Construire l’Europe, sa communauté politique, ce n’est certainement pas dégager un Etat puissant capable de diriger l’Union. Dès lors, me semble-t-il, la CPE constitue une voie bloquée si elle cherche à répondre à ces objectifs.

Mathieu Droin : En ce qui concerne le couple franco-allemand et les équilibres avec les pays d'Europe de l'Est, il est évident que, étant une initiative française, la CPE offre une certaine centralité à la France et au président Macron. Cette initiative est généralement bien accueillie, en particulier par les pays directement ciblés qui se sont réellement appropriés cette démarche. Nous pouvons le constater avec la Moldavie, qui est le deuxième pays à accueillir un sommet de la CPE, et le Royaume-Uni qui sera le quatrième pays à le faire. Il y a un réel enthousiasme du côté de Londres à l'égard de cette initiative, et ces pays ciblés jouent pleinement le jeu.

Cependant, on ne peut pas en dire autant des pays qui sont traditionnellement sceptiques vis-à-vis des initiatives françaises ou qui ont une approche atlantiste. Ils se sentent quelque peu mal à l'aise lorsque des initiatives européennes sont mises en place sans inclure les Américains. Je pense notamment à l'Allemagne et aux pays d'Europe de l'Est qui seront présents lors des sommets, mais qui, à mon avis, restent encore à convaincre de la véritable valeur ajoutée d'une telle initiative.

Quelles sont les limites de la CPE à l’heure actuelle ? Comment ne pas tomber dans les mêmes pièges qu’avec l’UE ?

Gérard Bossuat : En tant qu’historien, et non politiste, il est difficile de d’ores et déjà tirer des leçons de la CPE. Cependant, force est de constater qu’il existe, dans l’histoire de l’Europe, des moments forts où l’on a pu penser qu’une Union européenne politique allait finalement voir le jour. Elle ne s’est finalement pas faite, précisément parce qu’elle met en jeu des forces contradictoires. Peut-on vraiment, en tant que gouvernant, se donner l’objectif de l’égalité avec les autres pays au nom de la justice européenne ? 

Je ne pense pas ! Chaque nation demeure intéressée par ses succès politiques, son influence.

Mathieu Droin : Le président Macron a qualifié dans son discours la CPE de laboratoire géopolitique. Il s'agit donc d'un forum informel, ce qui constitue à la fois sa faiblesse et sa force. En effet, cela permet des discussions libres sur différents sujets, où chaque État peut venir avec ses priorités et discuter sur un pied d'égalité. C'est particulièrement important pour les pays qui ne sont membres ni de l'OTAN ni de l'Union européenne, car cela contribue à établir ce que le président français appelle une "intimité stratégique" entre tous les Européens.

Dans le cas de la Moldavie, qui accueille le forum, cela permet de prendre des engagements en soutien à ce pays, par exemple en matière de connectivité. Cela offre également un espace de dialogue pour aborder les crises et les tensions du continent, notamment dans les régions les plus sensibles, les "hotspots". Je pense notamment aux Balkans occidentaux avec les tensions renouvelées entre la Serbie et le Kosovo, ainsi qu'au Caucase avec l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Ces pays ne font ni partie de l'UE ni de l'OTAN, et donc avoir un format européen qui les inclut est une réelle valeur ajoutée de la CPE.

De plus, cela permet de favoriser des initiatives spontanées. Ces initiatives n'auraient pas pu être prises ni au sein de l'UE ni de l'OTAN en raison des contraintes liées au cadre institutionnel. Par exemple, hier, le président français a annoncé l'extension de la réserve cyber européenne aux pays de la CPE. C'est un point positif attribuable à la CPE, qui n'aurait pas nécessairement pu se concrétiser autrement.

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