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Une faille juridique du dispositif des aides publiques aux entreprises pourrait bien finir par en fragiliser les bénéficiaires
©Thomas SAMSON / AFP

Eureka

Pour l’économiste Jean-Yves Archer, membre de la société d’économie politique, il existe pourtant un dispositif comptable qui permettrait de les sécuriser.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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En France, le lundi 11 mai 2020 va rimer avec la réouverture de près de 400.000 entreprises. Au plan opérationnel, c'est évidemment un défi majeur pour les entrepreneurs et leurs équipes. Le coût des protections sanitaires que la situation impose ne va pas être négligeable tout comme le recul de la productivité issue des nouveaux aménagements obligatoires des postes de travail. Des estimations convergentes situent la chute de la productivité à hauteur de 15% ce qui est l'équivalent de ce que les 35 heures avaient coûté au pays.

Face à des tensions de trésorerie survenues pendant la période de confinement et du " shut-down ", nombre d'entreprises se sont tournées vers la formule dite du PGE : prêt garanti par l'État. Autrement dit, elles ont contracté des dettes financières auprès de leurs banques, celles-ci bénéficiant via BPI France d'une garantie de l'État qui s'élève à 70% du montant du prêt. Pour les PME, elle peut couvrir 90% du prêt.
En général, ce prêt pourra représenter jusqu'à 3 mois de chiffre d'affaires.

Mais le diable se cachant dans les détails, ce mécanisme bien pensé est parfois sorti de sa trajectoire juridique. Faute d'avoir gardé à l'esprit la jurisprudence constante de la Cour de cassation en cas de " poursuite illicite d'exploitation irrémédiablement compromise ", l'État a placé dans l'embarras plusieurs établissements financiers. En effet, confrontés à des demandes de prêts émanant de structures d'ores et déjà déficitaires, les banques ont été conduites à refuser des prêts en première intention malgré la garantie de l'État. Cette crainte du " soutien abusif " a été sous-estimé par les concepteurs de quelques 300 milliards d'aide aux entreprises. On aurait pu penser que le format total de cette aide aurait dû s'accompagner d'une vive clairvoyance en matière de Droit des affaires. Hélas…

Forte de son mandat tacite de soutien à l'économie, qui n'est pas sans rappeler celui que François Mitterrand avait confié au Crédit Lyonnais de Jean-Yves Haberer en 1993, BPI France a eu l'audace ( ou le réflexe ? ) de prendre en direct des dossiers de prêts initialement repoussés par les établissements financiers. En clair, cette montée en première ligne n'est pas dénuée de risque pour le contribuable consécutivement à des perspectives de contentieux futurs largement prévisibles. Pour employer un vocable récent, quid du soutien, par BPI France, d'entreprises zombies c’est-à-dire de canards boiteux tirant avantage facial du faible niveau des taux d'intérêt.

Concrètement, une fois cette vague de prêts accordés, cela signifie – en terme d'analyse financière – que bien des bilans d'entreprises vont présenter une structure déséquilibrée. Autrement dit, que le " gearing " ( ratio Endettement financier net rapporté au Total des capitaux propres ) va être médiocre voire répulsif pour des fournisseurs, pour la cote de crédit Banque de France, etc.

Afin de parer de possibles déconvenues, le Gouvernement vient de confier très récemment à Jean Lemierre, président de BNP Paribas, une mission dont l'objet est d'émettre des propositions en matière de renforcement des fonds propres, notamment des PME.

Le serpent de mer du fléchage d'une partie de l'assurance-vie vers la recapitalisation des entreprises risque de refaire surface dans un contexte difficile tant les épargnants sont pris d'une réelle aversion au risque.

On peut aussi concevoir de stimuler les opérations de conversions de compte-courant d'associés en dette obligataire notamment s'il s'agit d'ORA, c'est-à-dire d'obligations remboursables irréversiblement en actions.

Ce chemin de recapitalisation en deux étapes ( souscription de l'ORA puis débouclage ) permet de générer ce que l'on nomme des QFP : quasi-fonds propres qui, de ce fait, améliore la situation nette de l'entité concernée.
D'autres chemins peuvent être empruntés : ainsi, il peut être fait appel à la notion de dette mezzanine. Autrement dit, on assortit la dette de conditions strictes qui rendent son rang de remboursement le plus risqué pour le créancier.    

Pour bien des praticiens, cette technique est opportune et je voudrais ici rendre hommage à Patrick Ponsolle, récemment disparu, qui fût un remarquable pionnier de l'ingénierie financière lorsqu'il était président d'Eurotunnel alors en situation de péril.

Par sa gestion active de la dette et par les restructurations obligataires, il a sauvé – autant que faire se pouvait alors – les mises des petits épargnants. C'est un exemple instructif en matière d'activation du poste des Quasi-fonds propres.

Pour aller plus loin, étant précisé ici que j'ai exercé un peu plus de dix ans les fonctions de commissaire aux comptes, il est fort utile de se rapporter au PCG : plan comptable général.

Les AFP ( Autres fonds propres ) sont définis par l'article 934-1 du PCG et visent le montant des émissions des titres participatifs, les avances conditionnées.

Comme l'indique le Francis Lefebvre comptable, " le contenu de la rubrique " autres fonds propres " fourni  par le PCG n'est, à notre avis, pas limitatif : voir article R 123-190 §2 du Code de commerce. " ( voir définition dans une note Banque de France )

Il y a un vrai sujet autour de la notion d'avances conditionnées dans la mesure où " ce terme n'est défini dans aucun texte ".

Pour ma part, j'ai vu, à plusieurs reprises, une célèbre banque d'affaires recourir à cette notion pour compenser une créance ( compte-courant d'associés ) en sorte de compte-courant bloqués ( compte 167 du PCG ) sous le vocable d'avances conditionnés du fait des clauses juridiques qui accompagnaient cette novation. " La novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu'elle éteint, une obligation nouvelle qu'elle crée. " ( article 1329 du Code civil ).

La physionomie prévisible des bilans de milliers d'entreprises suppose de faire preuve d'imagination financière dans le respect des prescriptions comptables. A défaut, la valeur des entreprises ( approche par l'actif net ) sera lourdement altérée par le stock de dettes et laissera place à des repreneurs potentiels plus ou moins opportunistes voire clairement prédateurs en cas d'incidents de paiement.

Avant de verser près de 7 Mds à Air France, nul doute que l'État aura intégré la plénitude de son champ des possibles et été imaginatif. Ou pas.

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