Une étude sur 65 ans d’histoire le prouve : ni les baisses, ni les hausses d’impôts n’ont d’impacts directs sur la croissance <!-- --> | Atlantico.fr
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Selon une étude, "l'économie ne se résume pas à augmenter ou à baisser les impôts et une baisse des impôts ne garantit pas une accélération de la croissance économique"
Selon une étude, "l'économie ne se résume pas à augmenter ou à baisser les impôts et une baisse des impôts ne garantit pas une accélération de la croissance économique"
©Reuters

Fin d'un mythe

Une étude réalisée sur les 65 dernières années démontre qu'une baisse des impôts n'a pas de lien de cause à effet sur la croissance économique.

Et si le taux d'imposition et la croissance économique n'avaient aucun lien de cause à effet ? Pis, et si des taux d'imposition faibles avaient un effet néfaste sur la croissance ?  Avant que la crise ne frappe les Etats-Unis, fin 2007, l'économie américaine se portait mal et prenait d'ores et déjà le chemin d'une croissance au ralenti. "Et quelle était la caractéristique principale de la politique économique des dix dernières années ?", se demandait David Leonhardt dans son éditorial du 15 septembre 2012 dans le New York Times. Sa réponse : les réductions d'impôts. En effet, à partir de 2001, George W. Bush et le Congrès ont mis en place des réductions d'impôts qui se sont accentuées à partir de 2003. Si l'objectif affiché de cette politique était le retour à la croissance et la prospérité, cela a été un échec puisqu'une croissance "décevante", d'autant plus plombée par la crise, s'en est suivie. 

Serait-ce là un défi aux théories du conservatisme moderne ? Peut-être bien. En tout cas, c'est ce que pourrait laisser supposer la relation entre taux d'imposition et taux de croissance sur les 20 dernières années aux Etats-Unis. Démonstration : en 1990, George Bush père augmente les impôts et la croissance du PIB s'accélère sur les cinq années qui suivent. Trois ans plus tard,  Bill Clinton augmente le taux d'imposition marginal supérieur et là encore, la manœuvre booste la croissance.  

Alors un taux d'imposition élevé permettrait-il une croissance plus forte alors qu'à l'inverse un taux d'imposition faible lui serait néfaste ? La réponse n'est pas si simple, peut-on lire sur le site d'informations The Atlantic. En effet, les conclusions d'une étude réalisée par le centre de recherches du Congrès (non-partisan) suggèrent que "l'économie ne se résume pas à augmenter ou à baisser les impôts et qu'une baisse des impôts ne garantit pas une accélération de la croissance économique"Le rapport, intitulé  Les impôts et l'économie : une analyse économique du taux d'imposition marginal depuis 1945, passe en revue des données sur les 65 dernières années pour en arriver à la conclusion que le taux d'imposition et les impôts sur les revenus du capital n'entretiennent pas de corrélations avec la croissance économique. "Réduire les taux d'imposition supérieurs n'a pas d'effet sur l'épargne, l'investissement et l'augmentation de la productivité", peut-on lire dans la conclusion de ce rapport.  

Alors pourquoi nombre de théories prônent toujours la réduction d'impôts pour renouer avec la croissance ? Pour David Leonhardt,  l'argument qui domine le débat politique est le suivant : à long terme, on suppose que les individus vont être poussés à travailler davantage dans la mesure où ils reverseront une part moins importante de leurs revenus à l'Etat. Mais une baisse d'impôts à d'autres effets... qui peuvent ralentir la croissance, rappelle l'éditorialiste du quotidien américain qui cite entre autres choses l'augmentation du déficit budgétaire de l'Etat. 

Si croissance et taux d'imposition ne sont pas corrélés, ces derniers seraient directement liés à l’accroissement des inégalités de revenus. Le taux d'imposition moyen des Américains les plus riches n'a fait que baisser en 50 ans alors même que leurs revenus n'ont fait qu'augmenter. Alors qu'en 1945, les 0,1% des Américains les plus riches accumulaient 4,2% des revenus, leur taux d'imposition était de 50%. En 2007, ces 0,1% concentraient 12,3% des richesses et leur taux d'imposition moyen était d'environ 25%. "La politique fiscale pourrait avoir une relation sur le partage des richesses économiques des taux d'imposition bas pouvant être associés à de plus grandes inégalités de revenus", avance ainsi le rapport.  

En somme, l'étude rappelle simplement qu'il ne faut pas donner aux impôts des pouvoirs qu'ils n'ont pas.

Atlantico a demandé son avis à Jean-Philippe Feldman, juriste. Il est professeur agrégé de la faculté de droit à Rennes et avocat à la Cour de Paris. Jean-Philippe Feldman est aussi maître de conférences à Sciences Po et a notamment publié "La famine menace-t-elle l'humanité ?", aux Editons JC Lattès. 

Atlantico : Quelles sont généralement les relations qu’entretiennent le taux d'imposition marginal supérieur et la croissance du PIB ?

Jean-Philippe Feldman : Pour schématiser, deux grandes thèses s’opposent. Pour les sociaux-démocrates, il n’y a pas de relation directe entre le taux d’imposition marginal supérieur et la croissance du PIB. Des taux élevés d’imposition ne dissuaderaient pas les individus de travailler et même pourraient-ils les inciter à le faire plus encore. Pour les libéraux, il existe une relation directe entre eux. Plus les impôts sont élevés, moins les individus sont incités à travailler et à investir, moins les impôts rapportent : "Les hauts taux tuent les totaux", selon une thèse qui a été popularisée par Laffer, mais qui remonte au moins à Jean-Baptiste Say, au tout début du XIXe siècle. Les libéraux ne croient guère que l’État puisse s’enrichir de la ruine des individus.

Au départ, quelle est la fonction première des impôts ? 

Dans la pensée fiscale classique, un impôt n’a d’autre fonction que de permettre à l’État de remplir ses attributions, par définition limitées. L’impôt est la simple contrepartie d’un service rendu par ce dernier : la protection intérieure et extérieure du pays avant tout. Comme le disait un grand fiscaliste du début du XXe siècle, il y a des charges, il faut les couvrir.

Théoriquement, l’impôt ne doit avoir aucune influence économique. Ce n’est que progressivement, sous l’influence de la pensée social-démocrate et socialiste, mai aussi républicaine, que l’impôt a rempli une autre fonction : redistribuer les richesses et permettre ainsi à l’État d’exercer des pouvoirs tous azimuts. La recherche de la neutralité fiscale a fait alors place à celle de l’égalité sous couvert d’une indéfinissable  "justice fiscale", voire de l’égalitarisme, ou de la "vertu" républicaine. L’objectif financier a fait place aux objectifs économiques et sociaux.

Ne donne-t-on pas trop d'importance à l'effet qu'une baisse ou qu'une hausse d'impôt peut avoir sur la croissance ? Quelle est l'importance jouée par d'autres facteurs ? 

Il est toujours difficile d’isoler un facteur, même s'il est important. Comment isoler mécaniquement le facteur impôts en dédaignant le poids des dépenses publiques ou celui des emprunts de l’État par exemple ? C’est la raison pour laquelle une vaste révision de la fiscalité ne peut se penser que dans le cadre d’un plan global des réformes.

Y a-t-il néanmoins des situations dans lesquelles une baisse d'impôts peut s'avérer payante en termes de croissance économique ? 

Vous me permettrez de formuler autrement la question. On a trop tendance à raisonner en termes utilitaristes. La question primordiale n’est pas de savoir si l’on devrait baisser les impôts parce que cela serait favorable à la croissance économique.Elle est de savoir s’il est légitime ou non de les baisser ou de les rehausser. A qui appartiennent les revenus d’un individu ? A lui ou à l’État ? C’est une question de principe. Si les revenus appartiennent à chaque individu, les impôts ne peuvent se concevoir que proportionnés aux missions bien définies de l’État. Au-delà, ils s’analysent purement et simplement en une spoliation.

Quels peuvent être les effets pervers d'une baisse d'impôts ? A l'inverse, quels sont les effets pervers d'impôts trop élevés ?

Si l’on baisse les impôts sans réduire les dépenses publiques, les déficits sont susceptibles de se creuser à court terme et il y a donc un risque de stigmatiser un "cadeau fait aux riches". Encore une fois, on ne peut isoler la question fiscale d’une réforme de la sphère publique.

Quant aux effets pervers d’une imposition trop élevée, ils peuvent se décliner à plus ou moins long terme : on pense à la "désincitation" généralisée bien sûr, mais il ne faut pas omettre l’insécurité en termes juridique et fiscal, la hausse de la fraude et de l’évasion fiscale ou encore la prospérité accrue du marché noir. J’ajoute que des impôts stratosphériques (et rappelons que la France détient l’une des fiscalités les plus élevées au monde) renforcent l’emprise du "marché politique", où les votes s’échangent contre des promesses plus ou moins démagogiques sur fond d’exploitation des sentiments les plus vils, à commencer par l’envie, et où la "tyrannie du statut quo" exerce son emprise.

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