Unanimité anti-Hollande : mais comment rassembler en France une majorité politique qui ne soit pas une coalition de "non" ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour 90 % des Français, François Hollande doit changer.
Pour 90 % des Français, François Hollande doit changer.
©Reuters

Emiettement social

Un sondage IFOP-JDD publié dimanche révèle que pour 90 % des Français, François Hollande doit changer. Mais si le président de la République cristallise tous les mécontentements, les Français ne plébiscitent aucun projet commun alternatif.

Atlantico : Hollande rallie une majorité de Français contre lui, mais cette majorité se retrouve-t-elle dans un projet politique commun, ou plutôt dans une multitude de projets, voire de simples revendications disparates ?

Jérôme Sainte-Marie : Le mécontentement à l'égard de François Hollande n'est pas surprenant en lui-même dans la mesure ou tous les derniers présidents ont connu une période d'impopularité. La nouveauté, c'est la rapidité de sa chute et le côté massif de cette  impopularité. Il apparaît que le fait d'être à la tête de l’État en période de crise est désormais promesse d'impopularité. L’État-providence  né de la Libération ne peut plus tenir les promesses sociales et catégorielles qu'il avait fait durant cette période. Aujourd'hui, c'est donc la coalition de toutes les demandes hétérogènes à l'égard de l’État social qui nourrit les mécontentement, et non pas la recherche d'un projet alternatif. L'accumulation de frustrations est statistique, mais ne s'incarne pas dans une alternative politique, comme le montre l'impopularité des principaux leaders de l'opposition et la répartition de celle-ci en trois segments : à la gauche du PS, à sa droite, et à l'extrême droite.

Alexandre Melnik : L’impopularité croissante de François Hollande résulte fondamentalement de son incapacité, qui devient de plus en plus évidente pour un nombre croissant de Français, à comprendre le monde global du XXIe siècle, dans lequel fonctionne la France, et à faire face à ses nouveaux défis. Coincé entre les vieilles lunes idéologiques de l’extrême-gauche, accrochée à sa vision trotskiste-léniniste de la lutte des classes, et une illusion social-démocrate, elle aussi mise à mal par la globalisation en cours, il n’arrive pas à se réconcilier avec la modernité qui implique une rupture avec le passé et un total changement de mode de pensée. D’où sa politique de bricolage permanent : boucher un trou par ci, mettre une rustine par là, alors qu’aucune réflexion de fond n’est engagée (et reste impossible tant que le « software of the mind » des socialistes français reste intact) ; aucune vision constructive d’ensemble ne se dessine, et, partant, aucun résultat tangible n’est obtenu. Faut-il s’étonner, dans cette situation de la fuite en avant, que la frustration des Français, confrontés aux difficultés croissantes du quotidien, augmente tous les jours ? Ils ont de plus en plus l’impression de se retrouver dans un avion sans pilote, rentré dans une zone de turbulence. Dans un pays à forte culture étatique, les Français, après avoir espéré et attendu, pendant un certain temps, un signal d’un haut qui n’est jamais venu, se sentent maintenant abandonnés, laissés à leur sort, privés de tout secours, déboussolés.

Cependant, cette France en déréliction qui prend conscience de l’échec de son gouvernement, n’est, pour le moment, pas capable de générer une alternative politique crédible et cohérente, car l’opposition actuelle, elle aussi, est en proie à une dramatique sécheresse conceptuelle. En panne d’idées, confrontée à des luttes intestines et au choc des égos de ses dirigeants, la droite française est aussi, hélas, inhibée par la peur d’affronter les réalités du monde d’aujourd’hui et de demain, incapable de proposer aux Français et à la France un nouvel horizon stimulant, positif et enthousiasmant dans la globalisation en cours, en s’enlisant dans des débats stériles (comme celui sur l’éventuelle révision du droit du sol), dont raffolent traditionnellement les élites françaises au-delà des clivages politiques. Une sorte de jeu hypocrite à somme nulle, avec des paramètres et des résultats connus d’avance, alors que la situation actuelle – tant sur le plan national qu’international - exige un bouleversement des codes existants, et l’avenir sera tout sauf une simple extrapolation des certitudes du présent.

Du coup, face à cette déplorable démission du politique et des politiques, la frustration des Français s’exprime de façon spontanée, sporadique, à travers des exutoires épars et émiettés, sans aucun projet d’avenir clair et mobilisant, à l’échelle nationale.

Vincent Tournier : Qu’un gouvernement soit confronté à une pluralité de revendications disparates, émanant de catégories sociales différentes, n’est pas en soi une nouveauté, c’est même assez logique car toute décision politique produit mécaniquement des mécontents. Les déceptions sont d’autant plus fortes que, depuis la fin des grands clivages idéologiques et sociaux, tous les grands candidats agrègent dans leur électorat des catégories sociales disparates. Seuls les dosages varient : il y a certes plus de jeunes, d’ouvriers, de chômeurs dans l’électorat de François Hollande, mais il y a aussi des jeunes, des ouvriers et des chômeurs dans celui de Nicolas Sarkozy. Du coup, mener une politique susceptible de satisfaire toutes les composantes de son électorat devient très difficile, surtout en période de crise économique, où la préoccupation première du gouvernement se résume finalement à une question : comment répartir les sacrifices ?

En tout cas, on voit bien que les mobilisations actuelles sont interclassistes. Pour le dire autrement, il était assez prévisible que certaines catégories comme les « pigeons » (les entrepreneurs) ou les catholiques opposés au mariage gay ne se retrouvent pas dans la politique du gouvernement. En revanche, il est plus surprenant de voir que le mécontentement touche aussi des catégories qui devraient logiquement être les bénéficiaires de cette politique, comme les ouvriers et les employés, mais aussi les fonctionnaires et les enseignants, qui sont encore plus au cœur de l’électorat socialiste traditionnel.

Cela dit, tout le monde ne descend pas dans la rue. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur le silence de certaines catégories : par exemple, les banquiers ou les grands industriels n’ont pas l’air de beaucoup se plaindre. Le Medef lui-même ne donne pas le sentiment d’être très en colère contre la politique du gouvernement ; quant aux pigeons, ils n’ont plus besoin de manifester, puisqu’ils ont obtenu gain de cause. Inversement, il y a des mécontentements ou des inquiétudes qui ne s’expriment pas de manière explicite mais qui sont tout aussi fortes, par exemple chez les retraités ou les petites gens. Le mal-être de ces catégories est peu visible socialement car celles-ci n’ont pas de relais dans les médias ou les associations.

Une autre originalité de la situation actuelle est que le gouvernement semble se couper des groupes qui servent traditionnellement de relais entre la gauche et l’opinion publique. C’est le cas avec les réseaux associatifs militants, qui ont manifestement été pris de court par les orientations gouvernementales sur l’immigration et la question des roms, mais aussi avec les artistes et les intellectuels, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils ne se précipitent pas pour défendre le pouvoir en place. Mais cela tient peut-être à une évolution plus profonde du monde intellectuel, où les certitudes morales d’autrefois concernant le combat du Bien contre le Mal s’effritent devant certaines réalités, comme l’a révélée l’affaire Leonarda.

Les images qui nous viennent de Bretagne, dont les revendications semblent n'avoir qu'un écho limité auprès de l'ensemble des Français, peuvent-elles être considérées comme une des illustrations d'une France morcelée ? Quelles en sont les autres manifestations ?

Jérôme Sainte-Marie : La situation en Bretagne touche, malgré tout, un point fédérateur : la protestation contre l'impôt, et surtout les taxes. En septembre 2000, le gouvernement Jospin avait connu une chute éphémère mais brutale de 20 points, précisément sur la taxation du carburant. L'univers symbolique était le même. Un refus des taxes et le sentiment d'un manque de sincérité fiscale de l’État.

Toutefois, au-delà du cas breton, il est, en effet,  frappant de constater qu'il n'y a pas de mouvement fédérateur. Il y a des protestations à l'occasion de la fermeture de sites de production, mais jamais au nom d'un idéal politique ou même d'une revendication commune. Le concept de grève par procuration utilisé en 1995 dans le cadre de la grève des transports n'existe plus. Chacun a ses propres revendications. Et s'il y a une exaspération, on ne voit pas d'éléments de rassemblement, plutôt des éléments d'émiettement social. Au fond, ce que vit le Gouvernement, c'est la crise de la social-démocratie. Il n'arrive pas à générer un mouvement fédérateur, même contre lui-même. Ce qui signifie que derrière cette impopularité se dessine une forme de crise politique. Par exemple, dans les sondages, on constate que la part des personnes ne se sentant proche d'aucun parti politique progresse fortement depuis un an.

Alexandre Melnik : La révolte en Bretagne des « bonnets rouges », en apparence à forte coloration régionale, révèle, avant tout, un profond malaise général qui frappe en ce début du nouveau millénaire  l’ensemble des Français, indépendamment des catégories sociales et professionnelles, des secteurs d’activités et des terreaux nourriciers régionaux. Hier, c’était déjà la Lorraine, aujourd’hui, c’est la Bretagne, demain ce sera peut-être la Normandie et  après-demain sans doute le Centre et ainsi de suite, tel un incendie, qui se déclare initialement dans un espace localisé, se propage – faute de riposte efficace des pompiers - partout dans une maison vermoulue. Aujourd’hui, ce sont les agriculteurs bretons, demain, éventuellement, les marins, les ouvriers… en attendant, pourquoi pas, les étudiants, les meilleurs, les plus dynamiques et ambitieux (ceux que je connais bien en travaillant dans une Grande Business School française), de plus en plus nombreux à quitter la France, sclérosée, à la recherche de leur premier emploi…

Non, la vraie dimension de ce malaise n’est pas régionale, ni professionnelle, elle est - nationale, française ! Et sa raison essentielle réside dans le fait que « le modèle français », qui repose, depuis les Trente Glorieuses, sur la gouvernance pyramidale « command & control », l’Etat-providence, le principe de précaution et les « acquis sociaux » (la liste n’est pas exhaustive), est entré en contradiction avec les impératifs du nouveau monde « plat » du XXIe siècle, où l’innovation, la permanente remise en cause, la constante prise de risques, l’horizontalité des relations humaines dans l’esprit « connect & collaborate » s’imposent comme solutions de survie à tous les acteurs désormais globalisés, dont la France fait inéluctablement partie. S’accrocher aux vestiges du « modèle français » et préconiser la « démondialisation », à savoir - le découplage de la France avec le monde, à l’instar de la majorité des actuelles élites françaises, cela revient à cacher la vérité aux Français, en repoussant sans cesse les échéances à cause des calculs électoralistes à très court terme. A mes yeux, cette démarche relève d’un déni de réalité. Elle est aussi anachronique que celle qui consistait à utiliser la traction animale à l’époque de la Première révolution industrielle ayant inventé la machine à vapeur.

Vincent Tournier : A ce stade, il faut rester prudent sur les sources profondes du mouvement breton. Certes, la logique régionaliste semble très présente puisque les "bonnets rouges" font directement référence à une fronde antifiscale qui a eu lieu en Bretagne sous l'Ancien régime, mais cette mise en scène n'est peut-être qu'une stratégie de communication permettant de masquer des intérêts plus classiquement matériels ou corporatistes.

Cela dit, je ne pense pas qu’une telle mobilisation s’explique seulement par le rejet de l’écotaxe. Le mouvement social breton intervient dans un contexte où la question des fractures territoriales est désormais posée. Comme l’ont souligné les géographes, la mondialisation génère des tensions qui, non seulement n'ont pas été anticipées par les élites, mais pour lesquelles les réponses n’ont pas encore été envisagées et discutées, par exemple sur l’aménagement du territoire. Au contraire, certaines politiques vont à l’encontre de ces objectifs, comme les restructurations dans l’armée et les coupes dans le budget de la Défense, qui vont amplifier les difficultés de certaines régions. Ces tensions posent aussi la question de la décentralisation : est-elle la bonne stratégie pour répondre à ces nouveaux défis territoriaux ?

Pour en revenir à la Bretagne, il faut souligner qu’il s’agit d’une région où la participation électorale a été la plus importante en 2012, donc où les attentes étaient fortes, et qu’elle fait partie des régions qui ont le plus soutenu le candidat Hollande (56% au second tour, ce qui la place au 4ème rang). Cela explique que la déception y soit assez vive, en plus des difficultés économiques.

J’ajoute qu’une question mérite réflexion : l’empressement avec lequel le gouvernement a fait marche arrière sur l’écotaxe, sans d’ailleurs que les alliés écologistes ne s’en formalisent beaucoup. C’est peut-être un signe inquiétant sur les risques de radicalisation ou de contagion du conflit. Le pouvoir a peut-être senti qu’il risquait d’être confronté à un mouvement plus large, comparable aux blocages routiers de 1984 ou 1992. Un nouveau blocage aurait évidemment des effets désastreux sur les élections à venir, qui seront de toute façon difficiles pour l’actuelle majorité, comme le sont toutes les élections intermédiaires.

Dans ce contexte, la France est-elle encore capable de dégager une majorité constructive ? Sait-on ce qu'attendent les Français en matière d'impôt, de politique économique, d'immigration, d'Europe et de mondialisation ?

Jérôme Sainte-Marie : La politique est une dialectique entre des attentes et aussi des offres. Les attentes sont innombrables, mais les partis de gouvernement semblent enfermés entre la gestion de leurs engagements européens et internationaux et leur rôle de garant du pacte social français.

Alexandre Melnik : Au vu de l’aboulie qui paralyse la droite républicaine, dont l’électorat est de plus en plus grignoté par le FN (celui-ci restant, néanmoins, toujours en dehors du champ républicain), je suis sceptique sur la possibilité de dégager une majorité constructrice et opérante à l’horizon du mandat de François Hollande. Aucune solution qui s’esquisse (remaniement gouvernemental, changement de Premier ministre, dissolution de l’Assemblé nationale) ne me semble adéquate par rapport à l’ampleur du nécessaire changement du paysage politique. Mon espoir n’est donc pas lié à l’hypothèse d’une évolution par le haut du système politique de la Vème République – son mécanisme est durablement grippé, bloqué - mais à l’esprit intrinsèquement créatif et fécond de la société civile française, surtout de ses jeunes générations éduquées, connectées et globalisées, pour lesquelles – prenons seulement cet exemple, parmi tant d’autres - l’anglais n’est plus une langue étrangère, mais un élément naturel de leur quotidien.   

La plus profonde attente de cette société concerne l’impératif de la réinitialisation du logiciel de fonctionnement de la politique, et ce, dans un pays où la politique domine historiquement l’économie. Cette attente s’étend à toutes les problématiques et à tous les domaines de la vie française : marché du travail, impôts, immigration, etc.  La particularité du moment présent est que la société civile - mobile, ouverte au changement et dotée de nouveaux outils de communication - évolue actuellement plus vite que l’establishment politique, en retard d’une époque à cause de ses pesanteurs institutionnelles. Ainsi, la société française comprend, à la différence de ceux qui sont censés la gouverner, que « penser monde » et « penser France » (en d’autres termes, « penser global » et « penser local ») n’est pas antinomique, mais complémentaire, et que la globalisation, la quintessence des décennies à venir, n’efface pas les identités nationales, mais, au contraire, peut les renforcer : c’est en s’adaptant à l’Autre qu’on comprend mieux soi-même, dans un univers où tout le monde est désormais lié à tout le monde.

Bref, il faut que cette société civile, en plein renouveau, mon principal motif d’optimisme, s’implique beaucoup plus fortement dans le processus décisionnel au niveau politique. La politique aujourd’hui, ce n’est pas « eux » et « nous », les deux séparés d’un fossé, mais c’est « moi » qui pense à « nous ». C’est « moi », engagé dans une « race to the top » individuelle,  indispensable, in fine, à l’intérêt général de la nation.

Vincent Tournier : Composer une majorité électorale devient de plus en plus difficile car les sociétés contemporaines, gagnées par les libertés individuelles et le règne du marché, se divisent et s’individualisent. Les attentes sont différentes selon les groupes sociaux et, en même temps, les possibilités pour les responsables politiques de proposer des réponses sont plus difficiles parce que les contraintes issues des réglementations diverses et variées (nationales, européennes, internationales) sont plus importantes. Nos démocraties contemporaines sont donc confrontées à une contradiction entre d’un côté un besoin de liberté et de l’autre un désir d’être gouverné et protégé face à un monde perçu comme chaotique et dangereux. Un sondage réalisé en janvier 2013 par Ipsos pour le Centre d’études de la vie politique française (CEVIPOF) révélait ainsi que 87% des Français approuvent la phrase « on a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre », ce qui invite à reconsidérer les idées à la mode chez les intellectuels selon lesquelles les Français demandent plus de démocratie et plus de participation. Le même sondage indique aussi que, pour 62 % des Français, « on ne se sent plus chez soi comme avant ». Il existe donc à la fois une demande de direction et un besoin de réponse face à une insécurité qui se situe simultanément sur le plan politique et sur le plan culturel. Il n’est pas sûr que François Hollande ait su trouver le style et les arguments pour rassurer sur ces deux points.

La France a-t-elle déjà connu des épisodes similaires ? Comment se sont-ils soldés ?

Jérôme Sainte-Marie : Non, depuis la Guerre, il n'y pas eu de période comparable à celle-ci, car la faiblesse de la croissance et la renonciation progressive au déficit public engendrent peu à peu des phénomènes de paupérisation de masse jusqu'alors inconnu.

Alexandre Melnik : Même si d’aucuns considèrent la situation actuelle comme « prérévolutionnaire », en arguant du fait que les changements en France se font habituellement à travers les révolutions, et non les évolutions, je ne crois pas ni à la faisabilité, ni à l’utilité, dans le monde moderne, d’un bouleversement révolutionnaire à l’ancienne. Ce ne sont que des fantasmes que taraudent inutilement la psyché collective.

Le premier parallèle historique que je dresse, pour mieux illustrer l’apparente impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui le pays, me ramène au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, lorsque la France dévastée a trouvé en elle, à un tournant de l’Histoire, la force de renaître, de renouer avec la croissance, de libérer l’énergie de ses talents, d’imprimer son empreinte positive en Europe, de rayonner dans le monde entier à travers son « soft power », ce rebond ayant été possible, en premier lieu, grâce à la formidable vitalité du peuple français, soudé par le « team spirit » au-delà des clivages politiques et ouvert au monde, et cela, à une époque encore plus difficile que la nôtre.

L’autre parallèle historique, c’est la Renaissance de la fin du XVe siècle où, au sortir du repli sur soi du Moyen-Âge,  la France a rebondi, une fois de plus, grâce à son ouverture, en valorisant la libre circulation des idées et des hommes. Aujourd’hui, comme alors, il s’agit d’une véritable renaissance, dans un environnement mondial qui change radicalement, et la France a toujours été la meilleure quand elle s’adaptait à cette évolution, en s’ouvrant résolument au monde !

Vincent Tournier : Il est toujours discutable de faire des comparaisons historiques, mais on peut remarquer que la situation actuelle présente quelques similitudes avec le début des années 1980, lorsque la gauche s’était hissée au pouvoir dans un contexte de difficultés économiques, en prenant la succession d’un gouvernement de droite modérée, mais qui était paré de tous les défauts. Il est frappant de constater que les slogans sont assez proches : « Changer la vie ici et maintenant », disait le Parti socialiste dans les années 1970 ; « Le changement c’est maintenant », disait François Hollande en 2012. Le problème avec ce genre de slogan, c’est que la mise en œuvre est difficile et que les déceptions sont inévitables. En 1981, il y a eu une vraie rupture initiale, mais assez rapidement, la gauche est revenue à des politiques plus classiques. C’est d’ailleurs à cette époque que la crise de confiance de l’opinion à l’égard de la classe politique est apparue dans les sondages, pour des raisons sans doute variées, mais qui traduisaient vraisemblablement une inquiétude générale sur l’impuissance de la parole politique (le chômage, la délinquance, l’immigration).   

En 2012, il n’y a pas eu de rupture avec l’ancienne majorité. Au contraire, les continuités sont très fortes, que ce soit sur l’Europe, sur la diplomatie et la lutte contre le terrorisme, la politique industrielle ou énergétique, l’enseignement, la réforme de l’État (où on se contente quasiment de changer les sigles, la MAP remplaçant la RGPP). La grande réforme fiscale tant annoncée n’a pas eu lieu. Certes, les ministres travaillent et font des réformes, mais ces réformes donnent le sentiment d'être a minima, sans ligne directrice claire. Quelles sont les grandes orientations sur la santé, les hôpitaux ? Même sur les retraites, les lignes directrices ne sont pas claires. S’ajoutent à cela les questions de style : François Hollande s’était présenté comme l’anti-Sarkozy. Il voulait être un « président normal », moins « bling-bling », moins diviseur, loin des affaires, et pas le président des riches. Le résultat n’est pas très probant. Le président est toujours hyper-réactif, la France s’est divisée sur le mariage gay, plusieurs ministres sont concernés par l’ISF et l’affaire Cahuzac interdit à la gauche d’utiliser l’argument de la morale. Toutefois, il ne faut pas se tromper : ces éléments sont secondaires ; ils ne prennent de l’importance que parce que le reste ne suit pas.

Que faudrait-il pour qu'émerge un projet commun ? Qui pourrait le porter ?

Jérôme Sainte-Marie : Pour l'instant ce sont les partis hors système, essentiellement le FN, qui ont le plus de facilités à proposer un projet ayant l'apparence de la cohérence. Pour le FN, les variations sur le thème unique du nationalisme lui permettent de surmonter les contradictions réelles de ses propositions.

Toutefois, il n'est pas exclu que l'aggravation de la crise et la pression des milieux financiers puissent aboutir à une formule d'union des partis centraux, même si le système électoral français s'y prête très mal.

Alexandre Melnik : L’émergence d’un projet commun français prendra du temps. Ressouder la France autour d’un concept consensuel, au diapason des impératifs du XXIe siècle, ne relève pas de la préparation d’un café instantané, mais s’apparente à un produit d’une maturation graduelle qui nécessite un effort conjugué de l’ensemble des acteurs du changement. De toute façon, le temps des hommes (ou des femmes) providentiels est révolu. Seule une prise de conscience collective peut déboucher sur un renouveau politique, dont la condition sine qua non, reste, à mes yeux, une véritable relève générationnelle qui propulsera aux manettes décisionnelles en France les nouvelles générations de décideurs responsables, dotés d’une perspective globale.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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