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Un virus totalement inconnu vient d’être identifié en Birmanie : faut-il s’en inquiéter ?
©CHRISTIAN KOENIG / AFP

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Les chercheurs du projet "PREDICT" ont identifié plusieurs virus ayant infecté des chauves-souris, et susceptibles de se propager à l'homme. Pourquoi la prévention des pandémies susceptibles d'affecter les populations humaines passe-t-elle aujourd'hui par une surveillance aussi minutieuse de la santé des animaux ?

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Les chercheurs du projet "PREDICT" ont identifié plusieurs virus ayant infecté des chauves-souris, et susceptibles de se propager à l'homme. En quoi ont consisté leurs travaux ?

Virus et bactéries : deux types d'agents infectieux radicalement différents

Stéphane Gayet : C'est l'occasion de préciser que tout oppose virus et bactérie. Une bactérie est un être vivant qui a donc un métabolisme. Un virus est une entité biologique sans vie, donc sans métabolisme. Une bactérie respire, se nourrit, grossit, effectue des synthèses, parfois se déplace, se défend, peut s'enkyster (borrelia) ou sporuler (clostridium), se divise et finit par mourir. Un virus ne respire pas, ne se nourrit pas, ne grossit pas, n'effectue aucune synthèse, est immobile, ne se défend pas, ne s'enkyste pas ni ne sporule, ne se divise pas et reste intact (persistance) ou se dégrade (inactivation virale, surtout thermique ou chimique). C'est pourquoi le terme "microbe" est à éviter, car il n'a pas de signification précise consensuelle.
Une bactérie est un être unicellulaire rudimentaire (Protiste) qui a un appareil nucléaire (noyau primitif sans membrane : Procaryote), un chromosome (ADN) et des ribosomes (ARN). Un virus n'est pas de nature cellulaire, n'a pas d'appareil nucléaire ni de chromosome (mais un simple génome : ARN ou ADN).
Une bactérie a une taille linéaire de l'ordre de quelques millièmes de millimètre (microns ou micromètres), ce qui permet de l'observer au microscope optique. Un virus a une taille linéaire de l'ordre d'un dix millième de millimètre, ce qui empêche de l'observer au microscope optique.

Malgré l'antibiorésistance des bactéries, ce sont les virus qui deviennent très préoccupants

La connaissance des maladies infectieuses a historiquement commencé par les infections bactériennes : diphtérie, scarlatine et autres angines streptococciques, méningite à méningocoque, pneumonie à pneumocoque, coqueluche, tuberculose, peste, typhus exanthématique, choléra, fièvre typhoïde, dysenterie bacillaire, colibacillose, syphilis, urétrite à gonocoque, gangrène gazeuse, tétanos, lèpre, infections nosocomiales ou liées aux soins… Les mesures d'asepsie ("hygiène"), les vaccinations et les antibiotiques les ont bien fait régresser (à part les infections liées aux soins dont la prévention est complexe). Aujourd'hui, on sait que les bactéries en général nous sont essentiellement bénéfiques, les bactéries pathogènes ne constituant que quelques exceptions au sein d'un monde bactérien immense.
A part les infections liées aux soins, la tuberculose, les maladies d'inoculation (Lyme), les infections sexuellement transmissibles (IST) et digestives, les infections préoccupantes sont surtout virales aujourd'hui. Infiniment petits, ubiquitaires et insensibles aux antibiotiques, les virus infectent tous les animaux et végétaux et bien sûr l'espèce humaine. Tantôt ils sont latents (herpès, infection à VIH, infections latentes chez l'animal…), tantôt ils donnent une infection aiguë bénigne (rhume, laryngite, trachéite, conjonctivite, gastroentérite, verrue…), tantôt ils donnent une infection plus ou moins grave (rougeole, poliomyélite antérieure aiguë, hépatite B, sida, fièvre jaune, dengue, fièvre Ebola, méningo-encéphalite virale à tique…).

Les réservoirs des virus pathogènes pour l'homme

On comprend que, les virus étant sans vie, ils ne peuvent pas avoir pour réservoir le milieu extérieur. Car ces entités biologiques inertes sont nécessairement hébergées par des cellules vivantes qui assurent leur réplication. Il est clair que le réservoir des infections virales humaines est l'homme (rougeole, rubéole, oreillons, herpès, varicelle-zona, hépatites B et C, grippes B et C…). Certains virus humains résistants sur le plan physico-chimique peuvent de surcroît persister plus ou moins longtemps dans le milieu extérieur hydrique (virus de l'hépatite A et de la poliomyélite antérieure aiguë). Relativement à un virus humain donné comme le virus de la rougeole, une personne peut avoir différents statuts : soit elle n'a jamais été en contact avec lui (statut de sujet indemne), soit elle est en cours d'infection apparente (statut d'infection symptomatique), soit elle est en cours d'infection inapparente (statut d'infection asymptomatique), soit elle est guérie à la suite d'une infection (statut de sujet guéri). Un sujet guéri peut être immun ou immunisé si l'infection virale est immunisante.

Les infections virales propres aux animaux : barrière d'espèce

Tous les animaux ont leurs virus. Il existe le plus souvent une "barrière d'espèce" qui fait qu'un virus animal n'infecte que cette espèce animale ou des espèces proches, mais de toute façon pas l'homme. Le virus de la maladie de Carré infecte le chien : éruption, hyperkératose, encéphalomyélite, névrite optique, choriorétinite ; c'est un paramyxovirus, proche du virus humain de la rougeole. Le virus de la péritonite infectieuse féline (PIF) infecte le chat : abattement, anorexie (perte d'appétit), pleurésie, péritonite ; c'est un coronavirus, proche des coronavirus respiratoires humains (rhinite et trachéite). Du fait de la barrière d'espèce, un chien atteint de la maladie de Carré et un chat atteint de PIF ne sont pas contagieux pour l'homme.

Les zoonoses virales : une quantité inouïe de bombes à retardement

Mais une barrière d'espèce pour un virus n'est pas une notion binaire (tout ou rien) : elle varie d'un virus à l'autre, d'une souche de virus à l'autre et d'un être humain à l'autre ; elle peut parfois être forcée par un inoculum (c'est le nombre de particules virales qui ont été amenées à la "porte d'entrée", c'est-à-dire au niveau de la brèche de notre corps par où l'infection pourrait commencer) important et une porte d'entrée facilitatrice. L'exemple typique est celui de la rage : le virus rabique est un virus du renard (en Europe) ; mais il peut infecter le chien ou un autre mammifère si les circonstances s'y prêtent ; le chien ou un autre mammifère peuvent infecter accidentellement l'homme, surtout par morsure.
Une zoonose ou maladie zoonotique est une maladie infectieuse de l'animal qui peut passer plus ou moins facilement à l'homme. On a d'abord employé le terme d'anthropozoonose, mais il est délaissé au profit de celui de zoonose pour bien indiquer que l'agent infectieux est d'abord un microorganisme de l'animal.
L'évolution de notre mode de vie a modifié nos rapports avec les animaux. Ces modifications concernent les animaux de boucherie et les animaux de compagnie. Une grande proximité avec un animal infecté par un virus peut favoriser la pénétration d'un grand nombre de particules virales dans le corps de l'homme. Si l'inoculum (quantité de particules virales présentes à la porte d'entrée) est important et si les circonstances sont favorables (plaie, état de fragilité), le virus animal peut parfois franchir la barrière d'espèce.

Les objectifs du projet PREDICT

En dehors de la possibilité de trouver des virus dans la banquise ou le pergélisol (en anglais permafrost) sibérien, le réservoir potentiellement dangereux de (nouveaux) virus pour l'homme paraît donc surtout constitué des animaux vertébrés (mammifères et oiseaux principalement).
Le projet PREDICT œuvre pour la lutte contre les maladies zoonotiques et l’amélioration de la biosécurité des laboratoires de microbiologie. Son principal objectif est de prévenir ou à défaut combattre à la source l’émergence des zoonoses. Sa stratégie scientifique, en matière de risque viral, associe la caractérisation élargie des virus à potentiel épidémique, connu ou non, et l’évaluation des risques y afférents. Les travaux de PREDICT procèdent par échantillonnage et dépistage de la faune sauvage, des animaux de boucherie ainsi que des humains, de façon à mieux définir et estimer les risques en matière d'agents pathogènes zoonotiques, tant chez les animaux infectés que chez les vecteurs déjà connus ou potentiels (insectes, tiques…) des agents infectieux. Il s'agit donc d'une surveillance ciblée qui repose sur les risques estimés. C'est ainsi que le projet PREDICT s'est naturellement intéressé aux chauves-souris (virus de la rage, virus des fièvres Ebola et Marburg, coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère ou SRAS et celui du syndrome respiratoire du Moyen-Orient ou MERS…).

Atlantico.fr : Pourquoi la prévention des pandémies susceptibles d'affecter les populations humaines passe-t-elle aujourd'hui par une surveillance aussi minutieuse de la santé des animaux ? Surveille-t-on certaines espèces en particulier ?

Les animaux susceptibles de transmettre des virus à l'homme

En dehors des vecteurs invertébrés (insectes, tiques…), ce sont surtout les oiseaux et les mammifères qui semblent constituer les principales sources de zoonoses à venir. Certes, toute morsure animale est susceptible d'inoculer un agent infectieux à l'homme (virus de la rage, bactérie de la pasteurellose…). Mais les vertébrés volants que sont les chauves-souris et les oiseaux sont des réservoirs et des disséminateurs particulièrement dangereux, en raison de leur grande mobilité tridimensionnelle, des distances qu'ils peuvent parcourir (oiseaux migrateurs), de leur nombre et de leur taille plutôt petite.

Les chauves-souris : les principaux mammifères dans le collimateur

On connaît plus de 1 240 espèces de chauves-souris ; beaucoup sont insectivores, d’autres frugivores et quelques espèces américaines sont hématophages. Ces mammifères peuvent héberger plus de 100 virus différents, en particulier des Rhabdovirus (dont le virus de la rage), des Paramyxovirus (dont les virus Nipah et Hendra), des Filovirus (dont les virus Ebola et Marburg) et des Coronavirus (dont les virus du SRAS et du MERS). Ces infections sont généralement asymptomatiques chez les chauves-souris, mais le mécanisme de cette tolérance n’est pas encore bien compris. Quoi qu’il en soit, les chauves-souris apparaissent pour ces virus comme des réservoirs et des disséminateurs efficaces ; elles représentent donc un risque important en santé publique humaine et vétérinaire, justifiant la mise en place d’une surveillance spécifique et de programmes de recherche portant notamment sur les mécanismes de l’immunité propres à ces animaux.

Le rôle des activités humaines dans la transmission de l'animal à l'homme

L'élevage intensif des oiseaux de boucherie favorise les épidémies au sein des cheptels et le passage de virus de l'animal à l'homme, du fait des contacts rapprochés et fréquents.
Le commerce d'animaux sauvages pour l'alimentation ou la compagnie est une activité dangereuse sur le plan du risque viral. Les marchés d'animaux vivants sont nombreux, notamment en Asie. On y vend et achète des animaux de tous types (volailles, poissons, reptiles, mammifères…). Certains animaux ont été élevés en captivité, d’autres capturés dans le milieu sauvage. Il est généralement difficile de connaître leur provenance exacte. Le fonctionnement de ces marchés est anarchique et favorise la promiscuité entre animaux différents et entre les animaux et l'homme : les cages sont empilées les unes sur les autres, il n’y a souvent pas de séparation entre les espèces différentes et on est en général à la limite de l'insalubrité.

Atlantico.fr :  Est-ce à dire que pour mieux protéger notre santé, nous devons davantage veiller à celle des autres espèces animales qui nous entourent ? On ne peut quand même pas ouvrir des hôpitaux pour chauves-souris ?

Le travail commun des médecins et vétérinaires

Quand bien même nous deviendrions tous végétariens, les animaux font partie intégrante de notre milieu. Ils partagent l'environnement avec nous et nous devons composer avec eux. D'où le concept de "Une seule santé" qui repose sur une approche globale – humaine et animale – pour la prévention des maladies infectieuses. Seul un travail en commun entre scientifiques, médecins et vétérinaires est capable d'intégrer tous les aspects des infections virales ainsi que les risques y afférents.
Il s'agit donc non pas de mettre des barrières entre les animaux et nous – il faut tout de même des protections et des règles de prévention -, mais de s'intéresser tant à la santé des animaux qu'à la nôtre. Car on s'est rendu compte, à travers l'étude des zoonoses et notamment des zoonoses émergentes, que la santé humaine et la santé animale étaient en fin de compte interdépendantes.

Les animaux malades symptomatiques et les animaux malades asymptomatiques

Nous avons naturellement tendance à nous méfier des animaux manifestement malades et à prendre des précautions vis-à-vis d'eux (ne pas les toucher, ne pas les manger, enterrer ou détruire leurs cadavres…). Mais le problème essentiel réside chez les animaux malades asymptomatiques : ils sont infectés par un virus et ne paraissent cependant pas malades. C'est notamment le cas des chauves-souris, d'où les difficultés pour mettre en place des protections et une prévention efficaces.

Que faire en matière de médecine vétérinaire pour protéger l'homme ?

Dans le cadre du concept de "Une seule santé", le rapprochement des médecins et des vétérinaires devrait s'intensifier, malgré certaines réticences corporatistes. Tout le monde a à y gagner et une vraie synergie pourrait s'instaurer. En France, les vétérinaires ont réussi l'exploit de vacciner les renards sauvages avec des vaccins oraux introduits dans des appâts largués par hélicoptère dans les zones à forte densité vulpine. C'est une action remarquable qui a fait régresser la rage animale de façon spectaculaire en France. Évidemment, il paraît utopique de vacciner les chauves-souris, mais de nombreuses actions préventives sont envisageables. On n'a pas fini de parler des chauves-souris.

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