Un tiers de Terriens n'ont pas accès à des toilettes... mais on un téléphone portable : pourquoi il ne sera plus jamais possible de penser à la très grande pauvreté de la même manière<!-- --> | Atlantico.fr
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Un tiers de la population mondiale n’a pas accès à des toilettes.
Un tiers de la population mondiale n’a pas accès à des toilettes.
©Pixabay

Petites et grosses commissions

Un tiers de la population mondiale, soit 2,5 milliards de personnes, n'aurait pas accès à des toilettes. Un problème sanitaire majeur qui est un marqueur de l'extrême pauvreté. Pourtant, il y a aujourd’hui plus de 3 milliards d’internautes, il s’est vendu 1,2 milliards de smartphones en 2014, et on compte environ 7 milliards d’abonnements mobiles à travers le monde.

Julien Damon

Julien Damon

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, enseignant à HEC et chroniqueur au Échos

Fondateur de la société de conseil Eclairs, il a publié, récemment, Les familles recomposées (PUF, 2012), Intérêt Général : que peut l’entreprise ? (Les Belles Lettres),  Les classes moyennes (PUF, 2013)

Il a aussi publié en 2010 Eliminer la pauvreté (PUF).

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Atlantico : D’après un rapport de l’OMS, un tiers de la population mondiale n’a pas accès à des toilettes. Dans quelle mesure cet indicateur est-il corrélé à la situation de pauvreté ? Par quels autres indicateurs peut-il être contrebalancé ?

Julien Damon : Le manque d’accès aux sanitaires est un problème absolument majeur dont le monde prend progressivement conscience. Les initiatives de l’OMS comme de la Fondation Bill Gates ou bien encore cette création d’une journée mondiale des toilettes (avec un sigle facétieux pour World Toilet Organization, soit WTO, comme l’OMC donc) illustrent cette préoccupation grandissante pour ce phénomène qu’un chiffre résume bien. En effet, un tiers de l’humanité n’a pas accès à des toilettes propres et sécurisés. Le sujet fait sourire en France, pays de Clochermerle, où maintenant la quasi intégralité des logements sont équipés ! Mais dans les pays en développement c’est un problème absolument majeur. Un problème de salubrité, de dignité et de sécurité. De salubrité, car on meurt d’être au contact d’eaux usées. De dignité car être obligé de faire ses besoins les plus basiques et les plus naturels devant tout le monde devient de plus en plus inacceptable dans un monde où, télévision aidant, le mode de vie occidental opulent est la référence. Sécurité, car si l’on veut s’éloigner un peu, on risque des agressions. Pour les femmes notamment. C’est indicateur – le non accès aux toilettes – est bien évidemment un indicateur de privation, de pauvreté, de précarité. Il n’y a pas de riches ni de classe moyenne sans toilettes ! Bien entendu ce n’est pas un indicateur de pauvreté monétaire (avec un seuil de revenus), mais c’est un indicateur – comme disent les spécialistes – de pauvreté en conditions de vie. Ne pas disposer de ces équipements d’aisance est signe d’absence de toute aisance. Attention cependant, ce n’est pas forcément parce que des équipements publics d’un coup d’un seul apparaîtraient que tout serait résolu. Il en va aussi des comportements. De traditions et d’idées à l’égard de ce qui est pur et impur. Et nos idées et révulsions françaises ne sont pas exactement les mêmes dans un contexte hindou par exemple.

Parmi ces personnes n'ayant pas d'accès à des toilettes, combien ont un téléphone portable ? En quoi cette donnée redéfinit-elle la nature même de la pauvreté ?

Je répondrai : la plupart ! Alors il faut tout de même être un rien rigoureux. En zones rurales le problème est moins pressant (si j’ose dire) que dans les villes. Et les zones rurales sont encore prédominantes. On y trouve d’ailleurs la majorité des pauvres aujourd’hui dans le monde, même si nous sommes à moitié urbains désormais. Il ne faut pas oublier que la plupart des pays en développement sont encore majoritairement ruraux. Et, répétons-le, l’accès à des espaces tranquilles pour se soulager est plus aisé et moins nocif. C’est à raison de l’urbanisation galopante que le problème devient encore plus embarrassant. Mais pour répondre à la question, je dis bien que ceux qui n’ont pas accès à des toilettes et pour lesquels ce non-accès est extrêmement problématique sont pour la plupart équipés de téléphone portable. Pourquoi ? Parce qu’ils sont majoritairement urbains, et parce que le téléphone portable est la véritable révolution qu’a connu le monde dans son ensemble ces dernières années. 700 millions d’abonnements dans la seule Inde ! Le téléphone portable permet de communiquer, de s’assurer, se bancariser. Il permet aussi de s’informer sur l’état du monde et les modes de vie ailleurs… Ce qui crée bien des attentes et frustrations. Mais pour avoir une réponse simple à la question il faut simplement avoir à l’esprit que le téléphone portable dans le monde est considérablement plus répandu que l’accès à l’eau potable, l’accès à des réseaux d’assainissement, l’accès à des toilettes.

Quelle combinaison d'indicateurs définit aujourd'hui la pauvreté ?

Il existe, à mon sens, quatre familles d’approches. Une approche subjective (est-ce que je me définis comme pauvre ?). Une approche administrative (suis-je pris en charge par des dispositifs de lutte contre la pauvreté ?). Une approche monétaire (mes ressources sont-elles inférieures à un certain plafond ?). Une approche en conditions de vie (suis-je privé de certains équipements et services de base ?). C’est de cette dernière approche que relève l’absence de sanitaires. Mais, bien entendu, ces quatre approches ne sont pas étanches !

Où se situent aujourd'hui les vraies poches de pauvreté ? Sont-elles exclusivement dans les pays pauvres ?

Les pauvres des pays pauvres sont encore majoritairement dans les zones rurales. Les pauvres des pays riches sont dans les villes. Mais si on prend une définition internationale de la pauvreté (seuil de 1,25 $ par jour en pouvoir d’achat), il n’y a pas de pauvres (ou presque) dans les pays riches. Si on prend une définition française de la pauvreté (avec un seuil proche de 1 000 € par mois pour une personne seule) alors 90 % de la population mondiale est pauvre. Ce petit exercice est là pour provoquer. Les gros sujets de la pauvreté relèvent de l’intensité, du ressenti et de la dynamique du phénomène. Le monde, dans son ensemble, voit baisser la pauvreté extrême. Mais la pauvreté, dans une définition européenne, s’étend dans les pays de l’Union (un peu moins en France qu’ailleurs).  Pour finir, il faut tout de même noter que l’absence de toilettes est – partout – un signe d’absolue pauvreté. Il en va ainsi dans les campagnes des pays pauvres (là où se trouvent les plus grandes « poches » de pauvreté). Il en va de même dans les villes des pays riches (là où les sans-abri sont, au premier chef, concernés par l’absence de toilettes !!!).

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