Un rapport officiel allemand souligne que l’agriculture biologique n’est absolument pas plus durable que l’agriculture conventionnelle<!-- --> | Atlantico.fr
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©MYCHELE DANIAU / AFP

Rendement

Selon une conclusion du dernier avis sur la durabilité rédigé par l'Institut fédéral allemand pour l'évaluation des risques, les soutiens publics sont trop focalisés sur l'agriculture bio. Existe-t-il un risque à plébisciter une agriculture bio en termes de rendement global sur l’agriculture ?

Léon  Guéguen

Léon Guéguen

Léon Guéguen est directeur de recherche honoraire de l'INRA, ancien directeur du laboratoire de nutrition et sécurité alimentaire et ancien membre de comités d'experts de l'AFSSA (Anses) et de conseils (Institut français pour la nutrition).

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 Atlantico.fr : Une conclusion du dernier avis sur la durabilité rédigé par l'Institut fédéral allemand pour l'évaluation des risques rappelle que les soutiens publics sont trop focalisés sur l'agriculture bio. Quels problèmes soulignent ce rapport sur l’agriculture bio ? Quels risques existent à plébisciter une agriculture bio en terme de rendement global sur l’agriculture ? 

Léon Guéguen : Certes, les conclusions du rapport du BrF sont iconoclastes, mais elles sont dictées par le bon sens et ne sont ni nouvelles ni isolées. En effet, depuis quelques années, plusieurs études étrangères (Etats-Unis, Canada, Suède, Grande-Bretagne...) dont une méta-analyse de l’université du Minnesota, les confirment. Le principal facteur limitant de l’AB est le plus faible rendement des cultures et de la production animale. Ainsi, pour les grandes cultures, le rendement du blé bio est plus de deux fois plus faible que celui du blé conventionnel en France. Il est évident qu’il faudrait de 25 à 30 % en moyenne de surfaces cultivées en plus pour obtenir la même production alimentaire, cela aux dépens des forêts, des jachères, des zones humides et des prairies permanentes. Est-ce ce que l’on souhaite pour la biodiversité et le stockage du carbone ?

Bien sûr, on peut choisir de produire moins, mais alors aussi de sacrifier la balance commerciale et la souveraineté alimentaire. Au niveau national, les exportations diminueraient et il faudrait importer davantage de produits de base. L’émission de gaz à effet de serre serait plus faible par hectare mais bien plus forte par kg d’aliment produit. Au niveau mondial, ce serait aggraver les pénuries alimentaires, notamment pour les incontournables céréales, alors que la FAO prévoit qu’il faudrait augmenter la production alimentaire de 50 à 70 % avant 2050.

L’AB n’est pas durable sans l’apport, pour remplacer les engrais minéraux interdits, de matière organique produite ailleurs ou provenant de l’élevage associé. Or, pour nourrir les animaux, il faut aussi des surfaces cultivées. L’AB ne peut être durable pour le revenu de l’agriculteur que sous condition du maintien de subventions et de prix de vente plus élevés. Qu’adviendrait-t-il si une forte expansion du bio ou des importations massives faisaient baisser les prix de vente ? L’AB ne serait alors plus rentable car les coûts de production, notamment en main-d’oeuvre, ne diminueraient pas.

Pour le consommateur, la justification du bio n’est pas non plus évidente. Quel est son intérêt d’acheter des aliments de 30 à 100 % plus chers alors qu’ils ne sont pas meilleurs pour la nutrition et la santé ? Ce système est sans doute durable pour les plus riches mais socialement inacceptable pour les autres. Pourquoi imposer 20 % d’aliments bio dans les cantines scolaires (si ce n’est par idéologie ou électoralisme) alors que cela ne représenterait qu’un repas tout bio sur la vingtaine de repas hebdomadaires ? Pour la santé des enfants, il serait préférable de veiller à la diversité, à l’équilibre et à l’appétence des menus.

Le projet d’atteindre 25 % de la SAU en AB en 2030 en Europe me semble irresponsable et probablement irréaliste. L’AB a sa place dans le système agricole et alimentaire puisque le marché existe et satisfait bon nombre de producteurs et de consommateurs (et les distributeurs !). Mais un seuil de 12 à 15 % me semble raisonnable pour ne pas trop pénaliser la productivité agricole. Quant au 100 % bio que d’aucuns prônent, c’est évidemment une pure utopie !

Y-a-t-il une solution pour que l’agriculture devienne plus responsable sans pour autant passer par le « tout bio » ?

Alors que faire pour produire mieux en protégeant l’environnement ? Ne pas focaliser les aides publiques sur l’AB mais soutenir aussi d’autres formes de production aussi vertueuses pour l’environnement, moins dogmatiques dans leurs principes et qui préservent les rendements : haute valeur environnementale (HVE), de précision, de conservation, voire raisonnée... Quoi qu’il en soit, la souveraineté alimentaire pour certains pays et la sécurité alimentaire pour la majorité des autres ne pourront pas être assurés sans une production agricole intensive et, de préférence, sur le moins possible de surfaces.

Pour l’environnement et peut-être pour la santé, il serait possible de manger moins de viande (mais pas moins de lait !), mais la fertilisation en AB est quasi-totalement tributaire des déjections animales et, pour de multiples raisons (n’en déplaise aux radicaux véganes ou antispécistes !), l’élevage doit être et sera maintenu, notamment les ruminants pour valoriser l’herbe, entretenir les paysages et produire du lait.

Léon Guéguen a notamment participé à l'ouvrage "Idées reçues et agriculture. Parole à la science", publié aux Presses des Mines, 2019.

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