Un jeune adulte Francilien sur deux vit chez ses parents : pourquoi les contraintes économiques sont loin d’être seules en cause<!-- --> | Atlantico.fr
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En Ile-de-France, un jeune sur deux reste vivre ses parents.
En Ile-de-France, un jeune sur deux reste vivre ses parents.
©Allo ciné

Derniers Tanguy à Paris

Né du cinéma, le héros Tanguy est devenu le symbole d'une partie d'une nouvelle génération de pré-adultes qui restent vivre dans la demeure familiale. Ce phénomène s'amplifie sous l'impact de multiples déterminations sociales.

Gérard  Neyrand

Gérard Neyrand

Gérard Neyrand est sociologue, est professeur à l’université de Toulouse), directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d’études et recherches en sciences sociales (CIMERSS, laboratoire associatif) à Bouc-Bel-Air. 

Il a publié de nombreux ouvrages dont Corps sexué de l’enfant et normes sociales. La normativité corporelle en société néolibérale  (avec  Sahra Mekboul, érès, 2014) et, Père, mère, des fonctions incertaines. Les parents changent, les normes restent ?  (avec Michel Tort et Marie-Dominique Wilpert, érès, 2013).
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Atlantico : En Ile-de-France, un jeune sur 2 reste vivre ses parents. Comment lisez-vous cette donnée sociologiquement ?

Gérard Neyrand : On n’est plus l’époque antérieure qui se caractérisait par des cycles de vie avec des états, des passages. On arrivait à 18 ans et on partait au service militaire. Après on se mariait et on entrait dans la vie active à peu près au même moment. On rentrait dans une autre carrière en quelque sorte avec, pour la plupart des personnes, une stabilité professionnelle et une stabilité conjugales fortes.

Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Il est devenu très difficile d’avoir un premier travail qui dure. Il faut souvent plusieurs années avant de bénéficier d’un CDI. Et c’est un peu la même chose pour la vie amoureuse : on peut être amené à faire des allers-retours assez  fréquents chez ses parents même si on tente de prendre une indépendance résidentielle, du fait de la précarité économique et professionnelle, mais aussi du fait de la précarité relationnelle et sentimentale.

Est-ce que, d’après vous, cette situation arrange les parents qui, en gardant leurs enfants plus longtemps, s’empêcheraient de vieillir ?

Je pense que cela les arrange et que cela les dérange à la fois. Beaucoup de parents sont assez ambivalents sur cette question. Il faut bien rappeler que l’enfant est devenu aujourd’hui un moyen de réalisation personnelle. On est dans une société individualiste qui prône la réalisation de soi à tout prix. Mais c’est aussi une réalisation de soi à travers les relations aux autres. C’est ce que j’ai appelé dans un article le « paradoxe de l’individualisme relationnel ». On est dans un type de relations assez paradoxales : on se réalise, mais à travers les autres, à travers les « autres significatifs » - pour reprendre l’expression du sociologue américain George Herbert Mead. Les autres significatifs, c’est d’une part le conjoint, - le partenaire conjugal – et d’autre part l’enfant. On entre d’abord dans une relation privilégiée avec un partenaire conjugal et, si on a des enfants avec lui, l’enfant devient un moyen d’investissement tellement fort qu’il participe à la réalisation personnelle de l’individu.

Aujourd’hui, l’âge minimum jusqu’auquel on suit des études est de 16 ans. C’est tardif par rapport aux périodes antérieures. Donc on fait moins d’enfants. On investit beaucoup sur eux. Ils contribuent à notre réalisation personnelle. Et finalement on n’a pas trop envie qu’ils partent parce que cela va faire un vide. Ce n’est pas seulement parce qu’on a envie de rester jeune.

On est dans cette contradiction que c’est quand même bien d’avoir ses enfants à la maison  parce qu’on a des relations qui sont particulièrement fortes avec eux. Mais en même temps on a envie aussi qu’ils prennent leur indépendance et qu’ils nous laissent un peu tranquille. On est dans cette ambivalence, je crois, quand on des parents avec des grands enfants chez soi.

Qu’est-ce qui fait que les jeunes ne sont pas adultes avant 30 ans ?

Les jeunes ont presque une nécessité à rester chez leurs parents jusque relativement tard à cause d’un grand nombre de déterminations sociales : les difficultés d’insertion professionnelle, un prolongement de la durée des études qui peut parfois qui peut parfois aller assez loin, l’instabilité de la vie sentimentale - donc une difficulté à envisager de se fixer -, un prix des loyers élevé – surtout dans les grandes villes et a fortiori à Paris. Il y a tout un ensemble de choses, une logique sociale très forte.

De plus, les grands enfants d’aujourd’hui ont en général avec leurs parents une relation qui est sans doute plus apaisée qu’autrefois, plus dans le dialogue – même si parfois le dialogue est perturbé. Ils sont aujourd’hui davantage dans la parole avec leurs parents et sont davantage aussi dans l’indépendance à l’intérieur-même de la maison. On le voit bien à travers le repas familial qui n’est plus forcément le rite d’autrefois. On peut manger un peu chacun de son côté. On peut être à la fois seul et avec les autres à l’intérieur du même appartement ou de la même maison. Les mœurs ont changé. La façon d’être avec les autres a changé. A la fois c’est une obligation, d’une certaine façon, - compte tenu des contraintes objectives –, et en même temps cette nouvelle façon de vivre permet de rester plus facilement plus longtemps avec ses parents même si on est adulte.

On n’est plus dans la même logique. La notion de conflit de génération a un peu disparu. Cà n’est plus comme autrefois où, arrivé à un certain âge, il y avait quand même une opposition aux parents. Il fallait alors nécessairement prendre son autonomie. On constate que les choses ont effectivement beaucoup changé.

Cet ensemble de déterminations sociales serait-il parvenu à repousser les limites de l’âge adulte ?

C’est clair et c’est ambigu en même temps. D’abord, qu’est-ce que c’est « l’âge adulte » ? Il y a eu une époque où la maturité physiologique et l’âge adulte coïncidaient. Au Moyen-Age ou sous l’Ancien régime, lorsqu’on arrivait à la puberté, en même temps on arrivait à l’âge adulte. Les adolescents - comme on les appelle aujourd’hui – étaient de petits adultes. Ils travaillaient beaucoup plus tôt. Ils allaient s’affirmer. Donc il y avait sans doute une conjonction entre l’entrée dans l’adolescence – qui était sans doute plus tardive à cette époque-là qu’aujourd’hui. Puis, l’âge de la maturité physiologique, et notamment sexuelle, a baissé entre le début et la fin du XXème siècle. La moyenne d’entrée dans la puberté a baissé de deux ans pour les garçons comme pour les filles. Effectivement, les mœurs et les conditions de vie bien meilleures à la fin qu’au début du XXème siècle font que le processus de maturation physiologique s’est accéléré.

Mais à l’inverse, le processus de maturité sociale s’est ralenti. L’indicateur évidemment le plus manifeste de ce ralentissement, c’est malheureusement la durée des études. On est passé de l’époque où tous les enfants devaient rester à l’école jusqu’à 14 ans, à 16 ans maintenant. Donc nous sommes dans des disjonctions de choses qui étaient autrefois liées. Les études peuvent se prolonger au-delà de 25 ans lorsqu’elles sont poussées. On est dans une espèce de désynchronisation de choses qui étaient autrefois synchronisées.

Dans la mesure où on est intellectuellement physiquement et mature, la société – ou du moins une partie de ses instances – a reconnu qu’il fallait peut-être donner à la maturité une reconnaissance symbolique. Donc on a descendu l’âge officiel de l’entrée dans l’âge adulte de 21 à 18 ans. Mais est-ce qu’à 18 ans est-on vraiment un adulte ? C’est la question qu’on peut se poser. Cela dépend évidemment de la définition que l’on va donner de ce qu’est un adulte. Est-ce que c’est un majeur ? Est-ce que c’est quelqu’un qui a son autonomie résidentielle, sexuelle, professionnelle ?

Selon le critère sur lequel on s’appuie, on va dire qu’on rentre par exemple dans l’âge adulte beaucoup plus tard. Certains sociologues parlent du prolongement de l’adolescence et certains, tel son inventeur François de Singly, emploie le terme d’ »adulescence » pour parler de cette transition qui s’allonge après l’adolescence vers l’âge adulte. Plus vraiment adolescents, mais pas vraiment adultes en somme.

On est dans une société des incertitudes. Et cette société, selon la manière dont on la voit, elle peut fédérer des angoisses – parce qu’on a perdu ses repères – ou des espoirs – parce qu’on vit une évolution, une évolution pouvant s’interpréter de différentes manières. Ce qui est sûr, c’est que l’on connaît une période de grandes mutations.

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