Un furieux désir de respectabilité : les libertés fondamentales dans une République fragile<!-- --> | Atlantico.fr
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©JACQUES DEMARTHON / AFP

Idéaux de transparence et de participation

Sébastien Boussois, Thomas Jesuha et Julien Tardif évoquent les questions des libertés fondamentales et de la morale à l'heure de la société de la transparence.

Sébastien  Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et consultant de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Il est l'auteur de Pays du Golfe les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019), de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient ? (Armand Colin) et Daech, la suite (éditions de l'Aube).

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Thomas Jesuha

Thomas Jesuha

Thomas Jesuha est agrégé de philosophie. Il enseigne en lycée et est chargé de cours à l’université de Grenoble. 

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Julien Tardif

Julien Tardif

Julien Tardif est Sociologue. 

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« Les idéaux de transparence et de participation offrent aux citoyens des démocraties de voir et de vouloir plus mais non de pouvoir plus » Gérald Bronner.

Avec la mini-série Netflix, « chambre 2806 : l’affaire DSK » qui retrace la chute politique du favori socialiste à la présidentielle 2012 en France on entre comme pour « l’affaire Griveaux » durant les municipales 2020, dans le champ des affaires de mœurs, cauchemar des spin doctor, Prince Machiavel du Storitelling. La stratégie récurrente consistant à dénoncer un puritanisme exacerbé, surtout lorsqu’il n’y a pas de poursuites d’infractions pénales pour des motifs sexuelles, c’est passer à côté de ce qui fait évènement, faute de l’historiciser.

Quand la morale n’a plus aucun fondement éthique, elle est alors une surestimation du bien de la respectabilité, dans une société de la transparence. Une société sans voile d’intimité préservable à l’heure de l’économie digitale mondialisée. Nous parlons de la compétition pour la conquête de la France ou de Paris, Ville monde. La société des égaux respectables, tue la liberté démocratique comme quête de singularité en intégrant dans la norme non plus seulement le légal, mais le respectable.

Alors comment lutter contre un tel fléau ? Peut-on généraliser les préceptes de « l’éthique minimale » du philosophe Ruwen Ogien, qui restera dans la postérité comme un apôtre de la liquidation de l’interventionnisme étatique sur les mœurs, depuis une philosophie pragmatique et libertaire. A chacun sa manière de rompre le jeûne des mœurs qui plaisent à « TOUTUNCHACUN ». Ruwen Ogien n’aurait jamais vu en cette créature, une divinité respectable.

Mais une telle analyse vaut pour une société idéale du régalien qui garantirait avec succès toutes les libertés fondamentales. Si seulement nous étions seulement épris uniquement de liberté ? « Jouisser jeunesse », nous propose, non sans sarcasme, l’influenceur et éditorialiste Laurent Alexandre dans son dernier livre. Interpelant une jeunesse dans l’égarement, estime-t-il, à s’occuper des affaires climatiques et d’écologie politique. Passion de classe s’il en est, comme le rappel les réquisitoires d’un avocat de la défense, Juan Branco, nouvel apôtre de la « société du spectacle » vendue au capital, en écho à l’international situationniste. Deux courants politiques aux extrêmes se rejoignent alors, comme deux affluents d’un même fleuve.

Nous sommes en effet loin d’avoir une vision réaliste, à en croire George Simmel, de ce qui fait société. Il faut alors y intégrer une analyse des « sociétés secrètes » qui la composent où des logiques d’assassinats contemporains sont à l’œuvre, non plus physiquement, mais avec pour arme ultime, ce poison de la morale de la respectabilité.

Le politique est ici une proie sacrificielle idéale, aux jeux et enjeux des règlements de comptes et basses œuvres mafieuses. Le risque de vivre une sexualité libérée devient l’instrument de chantage ultime d’une démocratie vulnérable ou d’une République aux pieds d’argile. L’exemplarité en politique portée aux nues est une stratégie de liquidation de la disputatio comme source d’arbitrage des affaires communes. On l’avait bien compris avec l’affaire (Patrick) Amoyel tout aussi contemporaine et française, dans le champ de l’action publique de la lutte contre la radicalisation. Où un discours stéréotypé sur l’islam radical passait pour scientifique là où il n’était de fait, qu’un allié objectif de la fabrique de la radicalité. C’est bien, là aussi, une affaire de mœurs avec une mineure, patiente dans un cabinet de psychanalyse, qui a été le seul examen en justice, capable d’écarter ce personnage des affaires publiques.

Mais dans l’affaire Griveaux, le personnage principal ne serait coupable aux yeux de la morale publique que de légèreté. Se libérer de ce furieux désir de respectabilité surtout lorsque le légal n’est pas en question, nécessite donc également, de combattre l’hypocrisie politique qui tend à voir d’un mauvais œil, certains corps intermédiaires entre l’Etat et le citoyen, pour tenter de préserver les seuls qui auraient grâces à leurs yeux. Sociétés que Georges Simmel ou plus récemment le chercheur suisse André Petitat avaient si bien décrites. 

Références bibliographiques :

Laurent Alexandre, Petit manuel à l’attention de ceux qui décideraient de ne pas croire à la fin du monde, JCLattès, 2020.

Fethi Benslama, un furieux désir de sacrifice, le surmusulman, Seuil, 2016.

Juan Branco, Crépuscule, au diable vauvert, 2019.

Gérald Bronner, les démocraties et la méfiance, revue commentaire, n°166, 2019.

François Hartog, Régimes d’historicité, présentisme et expériences du temps, Seuil, 2003.

Henri Hubert, Marcel Mauss, Essai sur la nature et la fonction du sacrifice, Presses universitaires de France 2016, 1ère parution dans l’année sociologique en 1899.

Roberto Merrill et Patrick Savidan (Dir.), du minimalisme moral, essais pour Ruwen Ogien, raison publique, 2/2017. 

Mohammed Nachi, Introduction à la sociologie pragmatique, préface de Luc Boltanski, Armand colin, 2015.

André Petitat, secret et formes sociales, Presses universitaires de France, 1998.

Georges Simmel, secret et sociétés secrètes, ed. Circé, 1998.

Julien Tardif est sociologue, Thomas Jesuha est philosophe, Sébastien Boussois est politiste.

Crédit photo © JulienTardif 

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