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Un flic en garde à vue : "une petite mort"
©Reuters

Bonnes feuilles

En octobre 2011, des policiers lyonnais et grenoblois sont placés en garde à vue pendant quatre jours et mis en examen dans le cadre de "l'affaire Neyret". Christophe Gavat, alors chef de la PJ de Grenoble est l'un d'entre eux. Il témoigne de cette expérience traumatisante. Extrait de "96 heures - un commissaire en garde à vue" (1/2).

Christophe Gavat

Christophe Gavat

Christophe Gavat est un commissaire de police d’origine lyonnaise. Il a exercé au cours de sa carrière en Seine-Saint-Denis, à Paris, à Lyon, Cannes, Perpignan et Grenoble. À la suite de "l’affaire Neyret", il a quitté la police judiciaire et occupe aujourd’hui le poste de directeur départemental adjoint de la police aux frontières à Cayenne.

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Quand votre famille apprend par la presse (quelle élégance !) que demain vous allez être placé en garde à vue dans le cadre d’une affaire de corruption, d’association de malfaiteurs et de trafic de stupéfiants, vous n’êtes pas seul à avoir des troubles vertigineux, c’est le socle familial tout entier qui est ébranlé. Votre fils vous regarde avec des grands yeux interrogateurs. « Je croyais que c’était toi qui mettais les gens en prison, pas toi qu’on enfermait ? » Votre mère vous questionne : « Tu as fait quoi comme bêtise, mon petit ? » Maman, j’ai 45 ans, ça fait 23 ans que je suis dans la police. Je suis commissaire de police. Je crois sans prétention avoir à peu près vécu tout ce qu’un flic pouvait vivre au cours de sa carrière. J’ai interpellé des braqueurs de banque, des voleurs, des violeurs, des escrocs, des tueurs d’enfants et des « homicideurs » de vieilles femmes. Parmi eux, il y avait des salopards, des trous du cul, des délin­quants « d’habitude » dont le métier est d’être voyou. Se faire arrêter est inscrit dans leur charte collective. Ça fait partie du jeu. Des risques du métier. Le passage obligé pour avoir une vraie crédibilité. Leur extrait d’écrou, c’est leur carte profes­sionnelle. Parmi toutes les personnes que j’ai arrêtées, maman, au risque de te choquer, j’ai rencontré des gens biens, lumineux même, qui un jour ont dérapé, à cause d’une crise : financière, familiale ou amoureuse. Et le pire, maman, c’est qu’ils m’ont fait grandir, avoir un autre regard sur l’humanité. J’ai dû voir 458 cadavres dans ma carrière, à 100 ou 200 près. Le suicide de collègues, la mort de détenus en prison, des coups de feu sur la voie publique, la blessure en service, le voyou qui meurt devant moi, mon collègue serré dans mes bras qui sanglote parce qu’il vient de prendre trois balles dans le corps et qu’il a mal. Très mal. Il ne sait pas s’il reverra ses deux petites filles ! Là, j’t’avoue maman, je n’y comprends plus rien. Je croyais juste avoir fait mon métier. L’avoir correctement fait, ce putain de métier, dans les méandres complexes du droit français. Tiens, je l’aimais tellement mon job que j’ai réussi deux fois le concours de commissaire de police. C’est rigolo, non ?

[…]

Ce jeudi 29 septembre 2011, quand j’apprends de cette façon délicate que je vais être placé en garde à vue, je crois que mon métier est mort en moi. Une petite mort.

Mon corps ne voulait plus être flic. Il me l’avait fait savoir quinze jours plus tôt, lorsque j’ai été pris de ces vertiges étonnants. Il paraît que lorsqu’on va mourir on voit défiler toute sa vie. À l’annonce de ma garde à vue, j’ai vu défiler tous les moments forts de ma carrière. Et puis plus rien.

Le vide, le néant. La chanson de Raphaël dans le crâne « et dans 150 ans, on s’en souviendra pas… » Relativiser, toujours relativiser, prendre de la distance. Ce n’est pas grave. Enfin, si, c’est grave, mais pas trop. Il n’y a pas mort d’homme. C’est juste une garde à vue. Tu en as notifié combien de gardes à vue, en 22 ans de carrière, 1000, 2326, 5345 ? Tu sais forcé­ment comment ça se passe, une garde à vue.

De l’extérieur, oui ! Mais de l’intérieur ?

[…]

Apprenant ma future garde à vue, je rappelle le numéro Un de la police judiciaire de Lyon. Je lui fais savoir que je n’y comprends rien. Il confirme que je suis convoqué le lendemain à l’Inspection générale des services à dix heures avec mon adjoint, le commandant de police Gilles G. Je suis abasourdi. Je ne comprends pas. On reproche quoi exacte­ment à Michel ? À moi ? À mon adjoint ? Pourquoi nous ? Est-ce que d’autres policiers sont convoqués ? Je n’obtiens aucune réponse. Ou plutôt une seule. Me rendre à la convo­cation le lendemain.

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Extrait de "96 heures - un commissaire en garde à vue" (Michalon) 11 avril 2013

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