Ukraine / Russie : les 3 clés pour comprendre qui pourrait désormais gagner la guerre<!-- --> | Atlantico.fr
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Quels sont les facteurs qui pourraient donner un avantage ou permettre de gagner la guerre pour les différentes forces en présence ?
Quels sont les facteurs qui pourraient donner un avantage ou permettre de gagner la guerre pour les différentes forces en présence ?
©Bertrand GUAY, Valery SHARIFULIN / AFP / SPUTNIK

Réalité du conflit

La Russie serait en "pause opérationnelle" en Ukraine, selon l'American Institute for the Study of War. Pourtant, les bombardements intensifs se poursuivent sur le front Est. Quels sont les facteurs qui pourraient donner un avantage ou permettre de gagner la guerre pour les différentes forces en présence ?

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Depuis quelques jours, la Russie est en "pause opérationnelle" en Ukraine, selon l'American Institute for the Study of War. Cependant, des bombardements intensifs sont effectués sur le front est et le 7 juillet, Vladimir Poutine a défié l'Occident dans un discours martial. Quelle est la situation actuelle sur le terrain ?

Michael Lambert : Sur le terrain, la situation ressemble de plus en plus à un format de Première Guerre mondiale avec une guerre de positions. Cette stagnation n'est pas un signe de faiblesse ni pour la Russie ni pour l'Ukraine. Au contraire, elle atteste du fait que les deux protagonistes ont des difficultés à poursuivre les combats.

Du côté russe, les hommes commencent à manquer malgré leur mobilisation dans toute la Russie (par exemple à Alakurtti près de la Finlande), tandis que les équipements plus modernes (non soviétiques) commencent à arriver de manière plus régulière. Ce schéma est inversé pour l'Ukraine, les hommes sont nombreux et disponibles, mais les équipements occidentaux ne le sont pas encore. En effet, les stocks de l'ère soviétique (provenant d'Ukraine mais également fournis par les alliés de Kiev, notamment la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, sont épuisés). Les équipements et munitions des pays occidentaux arrivent aléatoirement et à cela s'ajoute le manque de standardisation de ces derniers. La résistance ukrainienne doit ainsi apprendre à utiliser du matériel américain, du matériel français, du matériel russe (prises de guerre), du matériel allemand, etc. ce qui est pour le moins problématique. En effet, une armée utilise généralement un ou deux types de matériels, alors que les hommes en Ukraine doivent en manipuler plusieurs d'origines diverses en ce moment même, sachant que l'entraînement à la manœuvre d'un dispositif prend plusieurs mois. A cela s'ajoute l'absence de standardisation des munitions, qui rend la logistique encore plus complexe.

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Ces difficultés de part et d'autre expliquent la lenteur de la progression russe, qui est aussi une tactique, car Moscou a intérêt à faire durer la guerre. En effet, une guerre de plusieurs mois ou années joue en faveur du Kremlin dans la mesure où l'opinion occidentale commence à s'en lasser, et à détourner son attention vers d'autres sujets, comme la crise alimentaire au Moyen-Orient et l'inflation qui touche les ménages.

Cette stagnation, ou plutôt la lenteur des avancées russes sur le terrain, devrait changer avec l'arrivée de nouveaux équipements occidentaux. Citons par exemple le rôle des canons Caesar (avec plusieurs commandes et une nouvelle version mise en production), qui démontre l'excellence de la France dans ce domaine. De même, il est possible que l'arrivée des chars de conception allemande Leopard II, que l'Espagne souhaite envoyer en Ukraine, puisse jouer un rôle décisif pour les troupes ukrainiennes en leur donnant une supériorité indéniable. Du côté russe, l'organisation s'affine, les hommes se professionnalisent et la machine de guerre commence à produire du matériel de meilleure qualité. A cet égard, l'introduction d'équipements tels que l'avion Su-57 ou encore les chars T-14 Armata, pourrait influencer la guerre. Leur absence sur ce terrain est intrigante et montre que Moscou n'est pas encore prêt à tout engage pour de nombreuses raisons (espionnage, faiblesse des équipements en situation réelle).

Il est important de rappeler que l'Ukraine est un vaste pays (603 548 km²) avec une topographie variée qui va des régions montagneuses aux plaines centrales et à la mer Noire. Si certains analystes ont pensé que la Russie pourrait occuper l'Ukraine en quelques jours, cela paraissait tout simplement impossible, pour la simple raison que la traversée du pays au volant d'un char sur une route ukrainienne, sans combattre, prendrait déjà plusieurs jours.

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Ainsi, la guerre en Ukraine devrait durer plusieurs années, la vraie question est de savoir si elle se terminera par une victoire de Moscou comme en Syrie, ou sur un format afghan (1979-1989) avec une résistance qui épuisera Moscou à long terme. Pour l'Occident, un " second Afghanistan ", avec un effondrement de Moscou qui prendrait du temps mais qui ferait basculer la totalité du système russe, et pas seulement une victoire en Ukraine, semble plus intéressant.

Quelles sont les faiblesses et les avantages de chaque camp ? Les discours de Moscou ou de Kiev reflètent-ils une certaine réalité sur le terrain ?

Les discours ne reflètent en rien la réalité à ce stade, nous sommes dans un schéma de propagande de guerre des deux côtés, avec des chiffres qui ne peuvent pas être confirmés. Les Ukrainiens comme les Russes sont entrés dans cette phase de propagande pour eux-mêmes et pour l'extérieur qui est relayée par les réseaux sociaux.

Quant aux avantages des deux parties. La Russie bénéficie du temps, c'est-à-dire que plus le temps passe et plus les occidentaux se lassent de la thématique ukrainienne pour se recentrer sur ce nouvel ennemi du monde occidental qu'est l'inflation. Le temps permet aussi à la Russie de perfectionner sa machine de guerre et ses équipements, et de radicaliser la population russe avec l'utilisation de la propagande gouvernementale (la Russie est isolée depuis la fermeture des réseaux sociaux et des médias occidentaux). Un autre avantage de la Russie est la démographie. L'Ukraine a mobilisé tous ses hommes dans cette guerre, et chaque perte humaine est un homme en moins sur le terrain. Du côté russe, chaque perte peut être remplacée par un nouveau soldat car la guerre n'est pas totale. Il ne faut pas oublier non plus que la Russie avance, lentement mais sûrement. Dans ce contexte, même si elle n'avance que de quelques kilomètres par jour, cette progression va acculer l'Ukraine à un moment donné.

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Pour l'Ukraine, c'est la mauvaise santé de Vladimir Poutine qui joue en sa faveur. Ce n'est pas une grande nouvelle, la santé du président russe n'est pas optimale, et chaque mois qui passe laisse un nouveau doute sur la capacité de Poutine à diriger. Un autre avantage de l'Ukraine est que l'Occident commence à comprendre ce dont les Ukrainiens ont besoin en termes de matériel. Au début, les fournitures étaient un amas désordonné d'armes et de munitions. Maintenant, nous savons que pour assurer la victoire ukrainienne, nous avons besoin de fournir plus de canons Ceasar, si possible des chars Leopard II (les meilleurs au monde après le Panther KF51), et si possible de systèmes modernes comme le MAMBA. En bref, l'Occident, à travers la guerre en Ukraine, commence à réaliser quels sont les équipements militaires qui ont une réelle pertinence sur le terrain.

Compte tenu de la situation actuelle, peut-on anticiper certains mouvements de troupes ou certaines offensives de la part de Kiev ou de Moscou ? Y a-t-il une tendance dans l'un ou l'autre camp pour le moment ?

Outre la progression constante des Russes sur le flanc est, le rapprochement entre la Russie et la Biélorussie ainsi que la reconquête facile de la zone de Tchernobyl (région essentiellement vide ), laisse a envisager une nouvelle attaque de la Russie-Biélorussie au nord de l'Ukraine, afin d'exercer de nouvelles pressions sur la capitale. Plutôt qu'une attaque par la mer à Odessa, c'est le nord qui semble le plus probable. Toutefois, couper l'Ukraine de son accès à la mer (Odessa) reste la priorité absolue pour Moscou. Pour l'Ukraine, l'objectif est de tenir Odessa, de ralentir la progression des troupes russes dans l'Est, ce qui est déjà impressionnant vu les moyens dont dispose la résistance.

Quels sont les facteurs qui pourraient donner un avantage ou même gagner la guerre pour les différentes forces en présence ? Des erreurs tactiques ou des livraisons d'armes supplémentaires pourraient-elles changer le cours du conflit ?

La victoire de l'Ukraine serait simple si un pays occidental comme la France ou le Royaume-Uni (les deux puissances nucléaires) se décidait à intervenir. Cette inaction est d'ailleurs singulière car une intervention militaire de la France permettrait d'accomplir le rêve de De Gaulle et de donner à Paris la légitimité nécessaire pour se positionner comme le protecteur de l'Europe, avant même l'OTAN. Une intervention militaire directe permettrait également d'augmenter significativement les ventes d'armes françaises dans le monde et de restaurer sa crédibilité sur la scène internationale.

Cependant, comme Paris ne semble pas privilégier cette option (ni les autres pays occidentaux), la fourniture de matériel haut de gamme pourrait changer la dynamique. Comme mentionné précédemment, les canons Caesar jouent un rôle fondamental dans cette guerre. D'autres équipements comme le système MAMBA (français), le Léopard II (allemand), ou le Saab JAS 39 Gripen (suédois), s'ils sont envoyés à l'Ukraine, pourraient lui permettre de gagner la guerre. Il faut aussi voir ce conflit au niveau industriel, la majorité des armées européennes devront renouveler leur équipement dans la prochaine décennie. A ce titre, il serait pertinent d'envoyer tous nos équipements anciens et de commander les nouveaux sur une base unique. L'Europe pourrait se prononcer sur un type d'avion de combat (Aero Vodochody pour la formation et F-35 pour le combat), un type de char (Panther KF51), un type de canon (Caesar nouvelle génération), un type de système anti-missile (MAMBA) et un type de fusil (Swiss Arms et Glock). La guerre en Ukraine est l'occasion d'utiliser tous nos équipements plutôt que de les stocker ou de continuer à les utiliser alors que nous savons que ceux-ci ne sont pas optimaux.

Pour la Russie, la victoire sur le terrain sera rapide si le président ukrainien meurt, car cela entraînerait un manque de leadership. La Russie pourrait également gagner en envoyant ses avions Su-57 et chars T-14. Leur absence en Syrie était déjà suspecte, en Ukraine, elle l'est encore plus.

Une intervention armée du Belarus permettrait également d'affaiblir l'Ukraine, voire de gagner la guerre. Cependant, la Biélorussie est beaucoup plus réticente à cette idée, et si une insurrection devait émerger à Minsk, cela signifierait la perte du seul allié du Kremlin en Europe. Un pari risqué pour une victoire incertaine.

Au final, la guerre en Ukraine ressemble beaucoup à la Première Guerre mondiale, avec des positions qui évoluent peu ou lentement, en attendant l'intervention d'une grande puissance. Il est juste dommage de voir que des pays comme la France et la Grande-Bretagne sont passifs dans cette guerre, fournissant au mieux quelques équipements, alors que leur présence directe sur le terrain leur permettrait de réapparaître sur la scène internationale. 

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