Trump défie les lois de la gravité électorale et voilà l’arme secrète qui le lui permet<!-- --> | Atlantico.fr
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Malgré ses erreurs et ses condamnations, Donald Trump ne coule pas dans les sondages
Malgré ses erreurs et ses condamnations, Donald Trump ne coule pas dans les sondages
©MANDEL NGAN / AFP

Élections américaines

Le plus surprenant, c’est que ça n’est même pas lui qui l’emploie…

Nicole Bacharan

Nicole Bacharan

Nicole Bacharan est historienne et politologue, spécialiste de la société américaine et des relations transatlantiques.
Elle a co-écrit avec Dominique Simonet  "11 septembre le jour du chaos" (Perrin, à paraître le 18 août 2011).

Son prochain livre est Le guide des élections américaines de 2012, co-écrit avec Dominique Simmonet,  à paraître aux éditions Perrin.

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Atlantico : Comment Trump, malgré ses erreurs et ses condamnations qui pourraient le desservir, transforme cela en or ? Plus ses opposants et certains médias s’attaquent à lui, plus il semble grimper dans les sondages, est-ce propre à Trump ? Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Nicole Bacharan : Je crois qu'on peut parler de phénomène sectaire à l'égard de Donald Trump, comme une prise de contrôle de l'esprit d'un certain nombre de gens.

Lorsqu’il s'est lancé dans sa première campagne présidentielle en 2015-2016, il a réussi à se présenter comme un fils du peuple, malgré le fait qu'il ait grandi dans un milieu extrêmement fortuné et qu'il ait toujours vécu dans l'opulence. De nombreuses personnes issues des milieux populaires se sont identifiées à cet homme sans aucune réprobation pour son style de vie extrêmement tapageur. Elles avaient le sentiment, je crois, que Trump leur faisait croire que ce mode de vie était accessible à tous.

En 2016, Trump disait : « Les démocrates vous méprisez parce que vous avez peu d'éducation et affirmait : « J’aime les gens peu éduqués ». Au lieu de dire « On va vraiment faire de grands projets pour améliorer l'éducation », il disait surtout « Ne changez pas ». Pour lui, c'était très bien de ne pas être éduqué.

Ainsi, il laissait comprendre « Je suis l'un d'entre vous, et au fond, tout ce que j'ai, vous pourriez l'avoir ». Majoritairement, ce ne sont pas les plus pauvres (qui votent démocrate ou souvent ne votent pas) qui soutiennent Trump, mais plutôt les cols bleus, les gens de milieux ruraux. Ils constituent le gros des troupes dans dans les meetings politiques. Mais tous les gens qui votent Trump ne vont pas dans les meetings. Il y en a qui sont beaucoup plus calmes, et ne veulent tout simplement pas voter démocrate, ils se méfient de Washington, et des débordements de l’Etat.

Trump recueille aussi un soutien très fort chez les évangéliques, des protestants très pratiquants et très rigoureux, avec des opinions très tranchées. Pour qui n’en fait pas partie, la cohérence de leurs points de vue n’est pas évidente. Ils sont pour l’interdiction de l'avortement au nom de la vie mais sont favorables à la peine de mort pour les criminels et au port d’arme. Que des gens très croyants approuvent quelqu'un comme Trump reste tout de même très surprenant. Trump a affiché une personnelle  très dissolue, d'une manière très visible, toujours entouré de femmes qui ressemblaient un peu à des call-girls, même si elles ne l'étaient pas. Mais pour les évangéliques, il a tenu ses promesses. Ils disent : « il nous a donné ce qu'on voulait. Pour nous, c'est cela qui compte ». Ils le décrivent souvent comme un pêcheur repenti, l’élu de Dieu pour sauver l'Amérique. Ils ne sont pas découragés par sa brutalité, sa cruauté même, sa manière d'exprimer son hostilité à certains groupes, à certaines personnes, et de se moquer de manière très destructrice. Mais comme il soutient des points de vue anti-avortement, cela lui confère un tampon de sainteté et de bon chrétien. Il puise aussi dans les ressources d'un véritable nationalisme chrétien, une vision de l'Amérique blanche et chrétienne, où, au fond, ce sont les anglo-saxons d'origine européenne qui ont les bons gènes, et les autres restent toujours un peu des étrangers, même s'il y a des minorités qui soutiennent Trump. Ils servent d'alibi, comme les personnes issues de l’immigration pour le Rassemblement national.


Pourquoi les lois de la gravité électorale ne s'appliquent pas à Trump ?

Il y a des gens - des dizaines de millions - qui croient en cet homme, qui lui pardonnent tous. Lorsque Donald Trump leur dit : « Je suis une victime, j'ai gagné l'élection de 2020, les procès sont orchestrés par l'État profond et par Joe Biden pour m'empêcher de parler, de porter votre voix », cela devient une conviction. Ces citoyens y croient. Tout ce qui, au fond, pourrait leur sembler déplaisant chez Trump, ils ne le croient pas.

Les attaques dont il fait l'objet, ils ne les croient pas. Ils sont souvent enfermés dans les fameuses bulles informationnelles. Chacun a de moins en moins confiance envers les médias traditionnels. Une des forces de Donald Trump est qu'il est le porte-voix des colères et des ressentiments, répercutés à l’infini par les algorythmes.

Est-ce que le fait qu'il se victimise lui permet toujours d'avoir sa base électorale ?  

Exactement. Il y a des fanatiques de Trump. Mais beaucoup de gens prévoient de voter pour lui tout en voyant ses  défauts. Ils disent : « D'accord, il n'est pas très correct, c'est un peu un voyou, mais au moins, il est de notre côté ». Ces électeurs apprécient le fait qu'il exprime ce qu'il pense.

Cette franchise est souvent mise en avant. Ils apprécient qu'il ne parle pas le langage policé habituel en politique. En outre ils disent souvent : « sous Trump, on vivait mieux ». Les baisses d'impôts ont beaucoup stimulé l'économie. Cela n’aurait pas forcément duré, mais la crise est venue de la pandémie, et ce n'était pas la faute de Trump.

Il a laissé une nostalgie d'une époque où, économiquement, de nombreuses familles modestes vivaient mieux. D'autres électeurs font un tout autre calcul : les grandes fortunes qui le soutiennent.

Les pétroliers, les fonds financiers, les grands fonds d'investissement votent Trump pour les baisses d'impôts et la dérégulation. Par exemple, il a tenu une réunion de levée de fonds à Mar-a-Lago début mai avec les grands pétroliers. Il leur a même dit – ce qui devrait normalement être un motif de poursuite, mais il y a tellement de scandales que l'un chasse l'autre sans conséquences – « Si vous me donnez 1 milliard pour ma campagne, ce sera un très bon deal. Vous les récupérerez largement à travers les baisses d'impôts et les profits que vous allez accumuler grâce à la dérégulation en matière de climat ». Ces gens-là soutiennent Trump. Ils donnent beaucoup d'argent à sa campagne et votent pour lui, car il n'y a pas que des personnes de milieux modestes parmi ses électeurs.

Comment finalement arrive-t-il à s'en sortir ? Dans le scénario du pire, puisque l’offre politique n’est pas forcément d’un meilleur niveau aux Etats-Unis ?

Oui, effectivement. Cela s'ajoute à ce que nous savons déjà. Pendant les premiers mois de la campagne des primaires, 70% des Américains disaient « On ne veut ni de Trump, ni de Biden ». Il y a une très grande déception face à ce match-retour, face à cette offre politique.

Il n'y a pas d'enthousiasme pour soutenir Biden, même si son bilan économique et climatique est bon. Il reste un choix par défaut. C'est toujours un peu le cas lors des élections, mais cette fois-ci, c'est vraiment prononcé.

Et au final, ce qui compte, comme c'est souvent le cas, c’est le pouvoir d'achat. Les démocrates espèrent que d'ici octobre les gens ressentiront vraiment Des effets positifs sur le plan économique. En faveur de Trump, il reste une forme de nostalgie d’un boom économique. Nostalgie, désillusion par rapport à la politique en général lui permettent encore de s’en sortir.

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