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Trouver des projets rassembleurs : y a-t-il encore des sujets de concorde nationale dans l’avion France ?
©FRANCK FIFE / AFP

Destin commun

Emmanuel Macron prononcera ce dimanche soir un discours solennel. Le chef de l'Etat pourrait y chercher dans l'opinion la concorde nationale qui lui fait tant défaut.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Quels sont les enjeux du discours présidentiel prévu ce soir ?

Bruno Cautrès : Le discours de ce soir sera la cinquième prise de parole solennelle du chef de l’Etat depuis le 12 mars. Comme toujours, pour un chef d’Etat, la prise de parole solennelle répond à plusieurs enjeux et objectifs et présente pour nous plusieurs plans d’analyse. Le premier enjeu est celui du style de parole qu’adoptera Emmanuel Macron : si la référence à la « guerre contre le virus » avait dominé les premières prises de parole, elle a été moins présente ensuite. Le chef de l’Etat va néanmoins prolonger cette référence quitte à moins l’appuyer : nous sommes trois mois après le début du confinement et le chef de l’Etat va vouloir tirer un bilan, rendre hommage à nouveau aux Français pour leur respect des règles du confinement et déconfinement, aux soignants et aux personnels de l’Etat. Une grande bataille a été gagnée, mais la guerre n’est pas finie, en somme…Un second enjeu est celui des questions du redémarrage économique et de l’emploi : ces derniers jours des indicateurs inquiétants ont été publiés, sur le front de la récession et des suppressions d’emplois. Les mesures de soutien à l’offre et à la demande vont-elles se poursuivre, pendant combien de temps ? Le chef de l’Etat doit rassurer, notamment les jeunes qui commencent à ressentir les effets de la crise (stages et jobs d’été supprimés, offres d’emploi en berne) et montrer aux Français une posture de confiance dans les grands paramètres économiques, expliquer que sans la crise sanitaire ces paramètres auraient été en pleine ascension positive. Un troisième enjeu est celui des leçons que le chef de l’Etat retient de la crise : il va sans doute commencer à instiller quelques indications sur l’après-crise. Emmanuel Macron avait indiqué vouloir se « réinventer » : il devrait avoir à cœur, ce soir, de prolonger un peu le suspense sur cette question…. Je ne crois pas qu’il parlera ce soir des questions de remaniement gouvernemental, mais sans doute va-t-il continuer à passer, entre les lignes, des messages politiques.

Sur quels thèmes Emmanuel Macron peut-il chercher dans l'opinion la concorde nationale qui lui fait tant défaut ? Peut-il y parvenir ?

Toutes les enquêtes d’opinion réalisées pendant la crise sanitaire ont montré que rien de fondamental n’avait bougé pour la perception d’Emmanuel Macron dans l’opinion publique.  Il est aujourd’hui moins populaire qu’Edouard Philippe, son image est toujours clivée fortement dans l’opinion et il a eu plus de mal à trouver sa tonalité et sa place pendant la crise que son premier ministre. Les appels à l’unité nationale, qu’il a multipliés, sont une posture classique de chef d’Etat en période de crise et l’on ne voit pas très bien le contenu qu’Emmanuel Macron met dans cet appel, pour le moment. On a vu, ces derniers jours, des regains de tensions sociales et politiques en France : la controverse sur les l’usage des techniques d’intervention des policiers, l’impact de ce qui s’est passé aux Etats-Unis, le cas d’Adama Traoré en France, on voit qu’un potentiel de protestation existe en France. Le chef de l’Etat n’oublie certainement pas que la pays est en crise presque permamente depuis plus d’un an et demi (Gilets jaunes, retraites, Covid-19) : les chiffres et la réalité du chômage, des pertes d’emplois, l’expérience différenciée et inégalitaire de l’exposition à la crise sanitaire, vont accroître les ressentis sur les inégalités. Le climat de l’opinion est à la fois au relatif soulagement sur les conditions du déconfinement et l’évolution de l’épidémie et aux inquiétudes et angoisses sociales.

Le chef de l’Etat, doit, me semble t’il, tout faire pour apaiser et « positiver » sans naïveté car la situation va fortement impacter les plus précaires, les moins qualifiés. Le pire, pour son image dans l’opinion, serait que s’impose progressivement l’idée que la « réinvention » d’Emmanuel Macron était une posture de communication et un leurre. A cet égard, Emmanuel Macron doit essayer de sortir de l’impasse suivante : se  « réinventer » sans se renier. Si je ne doute pas que c’est ce que lui conseillent ses équipes et communicants, il y a, qu’ils le veuillent ou non, un côté « oxymorique » dans cette tentative. Par définition, se « réinventer » c’est admettre que l’on a fait fausse route à un moment donné. L’unité nationale autour de thèmes fédérateurs serait une option pour sortir de ce dilemme en forme d’impasse ; mais l’unité nationale ne se décrète pas, elle doit se traduire rapidement et empiriquement, concrètement pour les Français. Il faut y mettre des contenus précis, des mesures à impact rapide qui se traduisent sur les bulletins de salaires, la possibilité de s’extraire des difficultés, et expliquer aux Français en quoi la « réinvention » dont cette unité s’inspire amène le chef de l’Etat à porter un regard rétrospectif critique sur lui-même. Faute de quoi, les Français risquent de ne pas adhérer au message et de n’y voir que de la communication, le bilan qu’ils ont déjà tiré du Grand débat national après les Gilets jaunes…..

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