Trente ans après Maastricht, nous pourrions nous acheminer en 2022 vers une partition de la zone euro et peut-être, enfin, trente ans après la disparition de l’Union Soviétique, vers la véritable fin de la guerre froide<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président Emmanuel Macron et le président russe Vladimir Poutine donnent une conférence de presse après un sommet sur l'Ukraine à l'Elysée, le 9 décembre 2019.
Le président Emmanuel Macron et le président russe Vladimir Poutine donnent une conférence de presse après un sommet sur l'Ukraine à l'Elysée, le 9 décembre 2019.
©LUDOVIC MARIN / PISCINE / AFP

2021 - 2022

L'avenir de la zone euro et les relations diplomatiques vis-à-vis de la Russie face à la crise ukrainienne pourraient perturber le calendrier européen des mois à venir après une année 2021 riche en décisions majeures sur ces enjeux.

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard est économiste, conseiller de banque centrale. Il exprime ses vues personnelles dans Atlantico.

Twitter : @SebCochard_11

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Les équilibres issus des années 1990 pourraient dramatiquement bouger en 2022. Le continent européen est actuellement miné notamment par deux corsets contre-nature : d’une part les besoins et logiques économiques de développement de la France et l’Italie n’ont rien à voir avec ceux de l’Allemagne, et ainsi le partage d’une politique monétaire commune a définitivement atteint ses limites -ce que l’Allemagne clame de plus en plus haut et fort. D’autre part l’antagonisme entre les grandes nations de l’Europe de l’Ouest et la Russie, division artificielle qui participe d’un suicide collectif du continent européen, pourrait être réduite grâce à des propositions audacieuses de Moscou, qui cherche à mettre à profit la concentration américaine sur la Chine.

1 – 2022 :  30 ans après Maastricht, vers une partition de la zone euro ?

Alors que certains Etats membres comme l’Italie et la France font mine de s’inquiéter de la réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance (les règles budgétaires maastrichtiennes) avant la fin en 2023 de sa suspension temporaire pour cause de pandémie par la Commission européenne, un péril bien plus grand menace le périmètre de la zone euro que nous connaissons : que se passera-t-il réellement au moment de l’arrivée à échéance annoncée pour mars 2022 des politiques de rachats massifs de dette publique par l’eurosystème (la BCE et les banques centrales nationales) dans le cadre du programme pandémique de la BCE ?

Entendons-nous bien : au-delà de ses propres effets d’annonce destinées à calmer les ardeurs des faucons qui cherchent à influencer la BCE, l’intention réelle de Mme Lagarde est bien de faire en sorte que les rachats de dette puissent continuer. En particulier, les « réinvestissements », c’est-à-dire les rachats de nouveaux titres de dette du même Etat émetteur pour les titres arrivés à échéance vont se poursuivre, avec la même flexibilité, c’est-à-dire en continuant de s’affranchir des limites par pays imposées en théorie par l’actionnariat de la BCE et par les limites d’emprise sur les émissions.

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Pour faire simple, alors que la BCE est supposée ne pas dépasser 33% des encours de dette de chaque pays, France et Italie par exemple voient la BCE/eurosystème détenir près de 40% de leur dette publique, ce qui revient à une monétisation (annulation de fait) de cette dette publique, puisqu’elle ne sera jamais remise sur les marchés avant échéance –Mme Lagarde y a fait clairement allusion lors de sa conférence de presse du 16 décembre. Cette poursuite des réinvestissements permettra à la BCE de continuer à racheter jusqu’à 80% des nouvelles émissions obligataires françaises et italiennes et à détenir ces titres jusqu’à échéance, en contradiction totale des règles de Maastricht d’interdiction de financement monétaire des déficits publics.

Ces politiques de rachats de dette pourront même, dit Mme Lagarde, être accrues en cas de risque de « fragmentation » de la politique monétaire de la BCE, c’est-à-dire en cas de montée des « spreads » entre certains Etats membres et le benchmark allemand. La BCE est donc pleinement « victime » (et je dirais les Etats membres comme la France et l’Italie sont pleinement bénéficiaires) d’une forme aggravée de « domination fiscale ». La BCE ne peut interrompre en réalité ses achats nets de titres de dette publique française et italienne sans que ces pays ne se retrouvent sans une situation intenable de leurs finances publiques, incapables de se financer sur les marchés dans des conditions acceptables si la BCE n’est plus présente pour tout racheter sur le marché secondaire comme elle le fait depuis deux ans (et en réalité depuis 2015).

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Or l’Allemagne ordolibérale, obsédée par l’inflation même quand cette dernière semblait avoir structurellement disparu de l’économie mondiale (notamment pour cause de globalisation du marché du travail, dans un contexte de circulation complètement libre des capitaux, qui entretenaient avant la crise Covid les pressions déflationnistes sur les coûts de productions), l’Allemagne dont les épargnants ne supportent pas de voir la valeur réelle de leur comptes en banques rognés de plus en plus rapidement par des taux d’intérêts réels de plus en plus fortement négatifs, l’Allemagne est près de claquer la porte. Son nouveau ministre des finances, Christian Lindner, n’hésite pas à faire ouvertement pression sur la politique monétaire de la BCE, appelant à sa « normalisation », en infraction de la sacro-sainte (pour l’Allemagne) règle Maastrichtienne de l’indépendance de la Banque Centrale.

Comme l’on dit, « de deux choses l’une » : soit l’Allemagne a gain de cause et la BCE met effectivement fin à ses politiques de rachat de dette publique ; dans ce cas France et Italie ne parviennent plus à se financer dans des conditions acceptables sur les marchés, à moins que ces deux pays ne « renationalisent » leurs politiques de rachats de dette (qui sont d’ailleurs réalisées déjà à 80% par leurs banques centrales nationales respectives) ; soit l’Allemagne claque la porte de la politique monétaire commune (comme il avait été déjà question qu’elle le fasse en application du jugement de Karslruhe du 5 mai 2020).

Dans les deux cas, l’on s’achemine vers une partition de la zone euro en deux sous-zone, chacune plus proche d’une « zone monétaire optimale » et chacune dotée de sa politique monétaire commune : un euro-Sud, autour de la France et de l’Italie, qui continuerait à mener, à la japonaise, la monétisation progressive de la dette publique ; et un euro-Nord ordolibéral autour de l’Allemagne et des Pays-Bas, qui poursuivrait (ou tenterait de poursuivre, dans un contexte des chaînes de valeurs globales qui semblent profondément modifiées par la crise Covid) ses politiques de désinflation compétitive imposées à l’UE depuis trente ans.

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2- 2022 : Trente ans après l’effondrement de l’URSS, la vraie fin de la guerre froide ?

La Russie est une grande nation européenne. Elle l’a toujours été et a toujours été perçue comme tel, y compris après la révolution de 1917. Certes la guerre froide et le rideau de fer ont habitué à une partition, mais l’Europe restait l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural -ou à Vladivostok. Et puis, dans une évolution typique de la propagande totalitaire décrite par Orwell, les termes de « Europe », « européen », ont été accaparés artificiellement par l’ancienne « communauté économique », renommée « Union Européenne » à partir de 1992. Dorénavant, tout ce qui n’est pas dans l’UE ne serait pas « européen ». Cette séparation artificielle du continent, entre l’UE et le reste, sied bien entendu à la politique américaine qui cherche à diviser pour régner, et a toujours craint (à la suite de la politique constante de l’Angleterre du 17ème au 20ème siècle) une alliance des nations européennes continentales, de la France à la Russie.

L’on ne peut qu’imaginer avec regret et envie ce que serait la puissance collective des grands Etats européens, France, Allemagne, Italie, Russie, s’ils étaient pleinement alliés : arme nucléaire, industrie, énergie, agriculture. Au lieu de cela, nous nous en remettons l’OTAN, dont la raison d’être devrait avoir disparu avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, OTAN qui sert d’outil de domination militaire par les Etats-Unis et de vecteur de la division artificielle du continent, et nous sommes soumis aux initiatives législatives de l’Union Européenne, dont l’extension permanente de l’acquis communautaire réduit comme peau de chagrin l’indépendance législative des Etats membres et accroît en proportion la pénétration par les multinationales américaines, qui n’ont plus à s’adapter aux spécificités nationales des Etats membres.

Notre politique extérieure, dans l’antagonisation hystérique de l’UE contre la Russie, ne sert au total, outre les Etats-Unis, que les affaires de politique intérieure des Etats baltes (qui cherchent tous les prétextes pour maintenir en dehors du jeu démocratique leurs populations russes) et l’enrichissement personnel des élites corrompues Ukrainiennes. Mais les cartes vont peut-être être rebattues, grâce à un mouvement audacieux du Président Poutine, né des exaspérations russes depuis la fin des années 1990 et qui cherche à prendre appui sur la volonté américaine de se concentrer sur sa politique « d’endiguement » de la Chine. Alors que la politique américaine d’opposer les Etats membres de l’UE avec la Russie empêche une alliance du continent Européen, elle a également pour effet de rejeter mécaniquement la Russie dans une alliance politique économique et militaire accrue avec la Chine. Les Etats-Unis doivent donc choisir, et c’est ce choix que la Russie leur a proposé en décembre 2021.

Qu’est-ce qui est donc sur la table ? La Russie a proposé deux textes, deux propositions de Traités, l’un avec les Etats-Unis et l’autre avec l’OTAN. Pour n’en citer que les points les plus importants, ces Traités prévoient l’interdiction de déploiement de troupes de l’OTAN (et un gel de l’extension de l’alliance atlantique) au sein des anciennes républiques de l’URSS, visant en particulier bien sûr l’Ukraine et la Géorgie, que la déclaration de Bucarest d’avril 2008 cooptait comme futurs membres de l’OTAN. Les deux Traités interdiraient également le déploiement des armes nucléaires américaines et russes en dehors de leurs territoires nationaux respectifs –armes nucléaires américaines qui seraient ainsi bannies du reste de l’Europe (resteraient bien sûr la dissuasion française et britannique). Il n’y a là en substance rien de très différent de la politique de long terme américaine qui avait par exemple empêché le déploiement de missiles soviétiques à Cuba en 1962 : pas de menace nucléaire dans les Etats voisins. Une deuxième étape pour la Russie sera d’obtenir l’application effective des accords de Minsk, bloqués depuis 2014 par l’Ukraine.

Disons-le clairement, la Russie n’a évidemment jamais considéré une seule seconde « envahir l’Ukraine » : pour quoi faire ? La seule partie intéressante, nécessaire militairement, la Crimée, est déjà redevenue russe. « Conquérir » militairement le reste, ou au moins la partie Est du pays, qui est de fait également russe, aurait un coût humain, un coût militaire, un coût diplomatique disproportionné pour au total devoir à gérer des régions économiquement défavorisées pour un fardeau budgétaire de long terme énorme et dans un contexte d’embargo international.

Les américains le savent parfaitement. Le risque fantasmatique d’une invasion de l’Ukraine n’est qu’un prétexte utilisé pour pouvoir engager des négociations sérieuses avec la Russie en vue d’une réorientation des priorités stratégiques des Etats-Unis vers la Chine. L’administration Trump n’aurait pas adopté un mouvement tactique différent, si tant est que l’opposition démocrate et la communauté journalistique ne l’aurait pas clouée au pilori pour collusion Poutinienne.

Les négociations américano-russes qui débuteront en janvier vont ainsi peut-être enfin, finalement, mettre fin à la guerre froide et à la division du continent, trente ans après l’effondrement de l’Union Soviétique. Le choix américain de se concentrer sur la Chine ouvrirait ainsi la porte à une réconciliation et un rapprochement des grandes nations européennes avec la Russie, perspective dont on peut reconnaître à Emmanuel Macron, inspiré et conseillé en cela par Jean-Pierre Chevènement, qu’il en a perçu l’enjeu, malgré l’obstruction atlantiste et anti-russe de son ministre Le Drian et du Quai d’Orsay. Son opposant à l’élection présidentielle Eric Zemmour est lui aussi, nous semble-t-il, sur cette ligne d’une reconstitution des alliances européennes avec la Russie et d’un affranchissement de la tutelle militaire américaine –enjeux qui échappent par ailleurs à la foule indiscriminée des autres candidats.

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