Traverser la rue pour trouver un emploi ? Voilà qui sont les chômeurs français. Et ce que sont les postes non pourvus <!-- --> | Atlantico.fr
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Aucun secteur économique n'échappe à la difficulté du recrutement.
Aucun secteur économique n'échappe à la difficulté du recrutement.
©LOIC VENANCE / AFP

Jeu des 7 différences

Alors qu'Emmanuel Macron vise l’objectif du plein emploi, la France reste confrontée à un taux de chômage élevé et à des difficultés de recrutement. Quel est l’état actuel du marché du travail en France ? Combien de postes sont non pourvus ? Existe-t-il une adéquation géographique entre les postes à pourvoir et les chômeurs ?

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Atlantico : Alors qu'Emmanuel Macron veut entamer une réforme du travail et a utilisé l’expression « traverser la rue pour trouver un emploi », on peut se poser la question de l’état actuel du secteur de l'emploi en France. Savons-nous aujourd'hui combien de postes sont non pourvus en France ?

Bertrand Martinot : Chaque année, il y a 150 000 annonces déposées à Pôle Emploi ne trouvant pas preneur. Pôle Emploi, et ses sites partenaires, occupe la moitié du marché du recrutement alors on peut estimer le nombre de postes non pourvus en France à environ 300 000. Cela étant, de nombreuses entreprises ne passent pas par « jobs boards » et la réalité des offres non satisfaites est certainement supérieure.  

Un autre point important à signaler est que les entreprises estiment qu’il y a près de 50 % des offres qui demeurent difficiles à pourvoir. Il est très rare qu’une entreprise ait un emploi vacant très longtemps, mais dans certains secteurs cela peut être long.  

Dans quels secteurs, et avec quel besoin de qualification, observons-nous ces emplois non pourvus ?

Il y a des métiers administratifs, de gestion, de back-office où il est encore assez facile de recruter. C’est également le cas des emplois qui risquent d’être automatisés comme hôtesse de caisse ou hôtesse d’accueil et qui continuent à être en diminution. Dans le secteur automobile, il y a à la fois beaucoup d’emplois en tension, mais il y a aussi des techniciens ouvriers dont la conversion aux métiers du développement des batteries reste difficile. Il y aura à la fois des tensions dans ces nouveaux métiers et peu de tension sur les métiers traditionnels.  

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Il n’y a aujourd’hui aucun secteur économique qui échappe à la difficulté du recrutement et tout cela à aucun niveau de qualification précis. Aujourd’hui, il est presque aussi compliqué de recruter un chauffeur poids lourd qu’un data scientist. Et un ingénieur électricien ne sera pas plus facile à recruter qu’une aide-soignante.  

Grâce à Pôle Emploi, on connaît les métiers les plus en tension, il s’agit des métiers de la santé (aide-soignant, infirmière), celui du soutien à la personne (aide à domicile, aide-ménagère), transport logistique, hôtellerie-café-restauration, les métiers de la construction (chef de chantier, ouvrier) et les métiers du numérique.  

Le marché de l’emploi a-t-il besoin de plus de personnes qualifiées ?

Certainement, mais il y a un problème avec le nombre de personnes formées en formation initiale comme avec les aides-soignants. Dans ce cas, soit l’on forme des personnes déjà salariées à un niveau inférieur pour devenir aide-soignant, soit on en forme de nouvelles dans les instituts de formation en formation initiale. Il s’agit de la même situation avec les ingénieurs, il faut qu’ils soient formés en continu vers le numérique et l’industrie et pas simplement en formation initiale.  

Néanmoins, on a aussi besoin de personnes moins qualifiées comme dans l’hôtellerie restauration. Mais dans ces professions, on peut se demander si le salaire est un problème ou si les allocations chômage sont trop généreuses. Il y a un problème de différentiel entre les deux. Dans l’hôtellerie-restauration, la branche a fait une remise à niveau des bas salaires, mais ce n’est pas forcément suffisant pour rendre ces métiers suffisamment attractifs. On voit cela dans d’autres métiers qualifiés où l’on arrive plus facilement à recruter en intérim qu’en CDI. Des personnes préfèrent profiter de l’indemnisation chômage entre les missions plutôt que de prendre un contrat en CDI. Et compte tenu de la situation du marché du travail, c’est tout à fait rationnel. C’est une réalité qu’il faut regarder en face. 

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Comment a évolué le marché du recrutement depuis 2017 ?

Les difficultés de recrutement ont progressé depuis plusieurs années, avec naturellement un « trou » en 2020 du fait de la pandémie. Au fur et à mesure que le marché du travail s'améliore, les tensions se sont accrues et se sont diffusées dans tous les secteurs de l’économie. En 2017, la construction était en tension ainsi que l’industrie. Depuis 2020, avec la reprise les tensions se sont généralisées. On trouve maintenant le secteur de la Santé, de l’hôtellerie-café-restauration. Dans la fonction publique, la situation est la même avec les difficultés de recrutement de professeurs dans l’Éducation Nationale.  

Il faudrait augmenter les salaires, mais la situation économique ne le permet pas dans tous les secteurs. Dans les zones frontalières, il est quasiment impossible de trouver une aide-soignante. Elles privilégient la Suisse où elles sont payées 60% de plus. 

Si l'on regarde le nombre de chômeurs en France, quels sont les chiffres ? Où se trouvent-ils et quels sont les profils ?

C’est un peu plus de 7% de la population active, qui est de 30 millions, soit 2,2 millions de chômeurs. Selon les statistiques de Pôle emploi, il y a environ 800 000 chômeurs de plus. Mais les chiffres ne sont pas vraiment comparables. On peut être à Pôle emploi sans véritablement chercher du travail et inversement véritablement chercher sans être inscrit. C’est le cas de beaucoup de jeunes.

Quelle est la part du chômage naturel dans ces chiffres ? 

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Il est difficile de déterminer quelle est la part du chômage naturel au vu des chocs de ces dernières années dans un sens comme dans l’autre. Mais vu les tensions sur le marché de l’emploi, on peut penser qu’on n’est pas très loin du chômage naturel. Ça ne m’étonnerait pas qu’il se situe à 6 ou 7%. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas passer en dessous, mais que cela ne peut se faire qu’au prix de tensions importantes sur les salaires, donc un surcroît d’inflation.

A quel point les caractéristiques des emplois non pourvus et le profil des chômeurs coïncident-ils ou pas ? Y-a-t-il une adéquation géographique entre les postes à pourvoir et les chômeurs ?

Pour caricaturer, les chômeurs sont au nord et à l’est, alors que les emplois sont en Ile-de-France, dans les métropoles en général et dans l’ouest de la France. Mais l’essentiel du problème du chômage n’est pas géographique. Même si les chômeurs bougeaient, les compétences demandées ne sont pas les mêmes. On ne demande pas les mêmes compétences à Nantes qu’à Charleville-Mézières. Et s’il ne trouve pas de travail dans une ville, il est probable qu’il n’en trouve pas ailleurs. Il y a un problème de formation et de non-attractivité de certains jobs. Data scientist, c’est attirant, cela paye bien. Serveur de restaurant, ce sont des horaires fractionnés, une paie pas très bonne et une image peu valorisée. Mais pour être aide-soignant, il faut un an d’étude, pour être ouvrier qualifié, il faut un bac-pro ou un CAP, ça ne s’obtient pas en claquant des doigts. Beaucoup de métiers demandent des formations assez lourdes. Beaucoup de chômeurs n’ont, heureusement, pas besoin de formation. S’ils ne travaillent pas c’est qu’ils ont des difficultés personnelles, sociales, familiales, etc. 

Quelle part de désincitation à l'emploi y-a-t-il en raison de l’effet des mesures sociales ? Et des effets de seuils ?

Il y a des effets de seuils dus aux nombres de mois qu’il faut pour être indemnisé (l’équivalent de six mois au moins sur les 24 derniers mois). La rupture conventionnelle est aussi un sujet, elle a été conçue pour contourner le licenciement mais depuis le retournement dont j’ai parlé elle semble plutôt là pour contourner les démissions (plus de 50 % sont à l’initiative des salariés). Cela provoque des abus, notamment chez les cadres qui demandent des ruptures conventionnelles pour ensuite toucher l’assurance chômage. La combinaison d’un système d’assurance chômage généreux et la possibilité de quitter son emploi de son propre chef, dans un contexte très favorable au salarié, cela crée forcément des abus. 

Avec la Grande démission et l’argent magique du Covid, y a-t-il plus de gens qui profitent du système qu’avant ?

Ce qui est sûr, c’est qu’avant, démissionner sans avoir retrouvé un travail était risqué car il y avait peu de boulot disponible. Quand on sait qu’on retrouve facilement un emploi, on peut vouloir profiter de la générosité du système. Ce n’est pas de la fraude, c’est de l’optimisation. Il faut peut-être revoir à la baisse certains paramètres de l’assurance chômage, en tout cas lorsque le marché du travail se porte bien, quitte à le rendre plus généreux en cas de récession. Mais il faut aussi revoir certains mécanismes. La dimension insertion du RSA est globalement ratée. Il va bien falloir prendre ce sujet à bras le corps si l’on souhaite vraiment revenir au plein emploi. Quitte à dépenser des milliards, autant les utiliser pour mieux accompagner les chômeurs plutôt que pour accroître les allocations.

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