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Vus de Belgique, les journalistes français sont bien trop proches
des politiques qu'ils suivent
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La frite ou le fromage

Correspondante étrangère à Paris pour la RTBF, Charline Vanhoenacker a la dent dure contre ses confrères journalistes français.

Charline Vanhoenacker

Charline Vanhoenacker

Charline Vanhoenacker est journaliste belge.

Elle est correspondante pour la chaîne de télévision RTBF en France depuis dix ans.

Voir la bio »

Atlantico : Un billet récemment publié sur votre blog a créé le "buzz" sur le web français : vous y décriviez les attitudes de vos collègues français suivant le cortège de François Hollande. Qu’est-ce qui vous a particulièrement interpellé ?

Charline Vanhoenacker : Deux choses. La première, c’est l’emballement des journalistes qui suivent François Hollande. Ils m’ont donné le sentiment de déjà se voir à l’Elysée. Comme l’a souligné l’un de mes homologues au Figaro, le G8 se déroule au lendemain de l’élection. Je suis pourtant choquée par cette manière qu’ont certains professionnels de la presse français a déjà donner le candidat socialiste gagnant. Ils sont un certain nombre à se réjouir de pouvoir voyager à ses côtés dans l’avion présidentiel : en tant que journaliste, je trouve cela inquiétant.

Au meeting de Reims, la maire socialiste qui accueillait François Hollande avait exactement ce genre de discours. Elle espérait que le candidat reviendrait, une fois élu, fêter avec elle les 50 ans de la réconciliation franco-allemande. Il est inquiétant de voir des journalistes s’enthousiasmer, là aussi, de s’imaginer face à la cathédrale pour suivre François Hollande en train de serrer la main d’Angela Merkel.

Cet emballement n’est pas inquiétant en lui-même. Il est parfaitement humain. Ces gens passent tout leur temps ensemble, à suivre le candidat. Ce qui est inquiétant, c’est de spéculer sur cette victoire socialiste sans plus prendre de recul sur la campagne.

Suite à mon billet, j’ai eu plusieurs retours de journalistes du noyau dur du « Hollande Tour » qui n’étaient pas très contents. Mais l’écrasante majorité, 95% des gens qui m’ont répondu, témoignent de constats similaires. Ces journalistes politiques ou ces correspondants m’ont témoigné leur sympathie sur une situation qu’ils ont constaté eux-mêmes et face à laquelle ils ont ressenti la même gêne.

Pour résumer en une phrase : j’ai éprouvé sur le terrain, ce qui se dit à l’échelle des grands noms. Le phénomène semble se répéter à tous les étages. En 2007 déjà, on s’était ainsi étonné de voir que Françoise Degois, la journaliste de France Inter qui suivait Ségolène Royal, s’est retrouvée plus tard conseillère de l’ancienne candidate socialiste.

Faites-vous les mêmes constats dans les coulisses de campagne de Nicolas Sarkozy ?

Villepinte était un meeting tellement gigantesque, que je n’ai presque pas pu voir mes collègues. Le retour, par la presse française, a été plutôt pertinent. Le recul sur le traitement est présent. Un meeting est différent, en cela, d’un suivi de candidat.

Miguel Mora, un confrère espagnol du quotidien El Pais, a fait le même constat que moi, en suivant le candidat UMP lors d’un déplacement. Le convoi présidentiel est suivi par deux cars de presse : un premier avec les journalistes privilégiés et un second, plus grand, rempli du reste de la presse. Il explique que dans le bus, les journalistes estiment que cette campagne ne prend pas.

« L’ambiance dans l’autobus où sont les journalistes qui suivent Nicolas Sarkozy en campagne est très détendue, raconte-t-il. Tous se connaissent, beaucoup ont passé de nombreux mois ensemble autour du président et, ces dernières semaines à suivre le candidat. L’humour est omniprésent mais, si vous leurs posez la question, presque tous admettent avoir la sensation que cette campagne est désastreuse, improvisée et chaotique ». En lisant cela sur le blog de mon confrère, je ne peux que m’interroger : je n’ai pas lu ça dans la presse !

Le constat, envers les journalistes français, est sévère. N’y a-t-il pas de telles collusions dans votre pays ?

Bien entendu, nous ne sommes pas tout blanc non plus et nous avons nos travers. En Belgique, l’effet est malgré tout moins amplifié car nous avons moins de médias. C’est un tout petit milieu. Ce qu’on pourrait nous reprocher, c’est que les politiques et les journalistes finissent par se connaître presque trop bien. Nous avons eu une polémique dans ce style : un journaliste belge s’est ainsi retrouvé porte-parole d’un ministère avant de retourner de nouveau dans son média d’origine. Encore que là, à son retour, il n’est pas revenu au service politique.

En France, entre TF1, France Télévision, BFM, I-Télé, les grands quotidiens nationaux, les radios … le nombre de médias majeurs est extrêmement important. Chez nous, les médias nationaux qui ont du poids se comptent sur les doigts de la main : la RTBF, RTL, en radio et en télévision ainsi que les journaux le Soir et la Libre Belgique. De fait, la meute lors des déplacements politiques est infiniment moins grande. Les jeux de Cours ne sont pas comparables.

Les correspondants étrangers sont-ils considérés par les candidats à la présidentielle de la même manière que les autres journalistes ?

En période de campagne et même un peu avant, le journaliste étranger compte pour du beurre. Il n’y a aucun intérêt à lui parler : il ne touche pas l’électorat visé. Il est déjà arrivé, lors de questions européennes majeures comme un référendum ou une question européenne majeure, qu’un pool de plusieurs journalistes européens soient déboutés par les personnalités politiques majeures.

Beaucoup de Français vivent en Belgique … et pas que des exilés fiscaux ! Bruxelles, grâce au Thalys, est presque une province française. Nous parlons aujourd’hui des députés des Français de l’étranger.  On s’inquiète de leurs votes et pourtant, on ne leur laisse pas réellement accéder à l’information. Les Français restent très ethno-centrés. En France, on s’intéresse peu à ce qui se passe en dehors des frontières et dans la campagne, l’écho à l’international reste minime.

Dans le documentaire Looking for Sarkozy, de William Keller, les correspondants étrangers expliquent que, pour eux, l’accès au politique est extrêmement difficile. Pour anecdote, il y a un peu plus de dix ans, lorsque j’étais encore étudiante à Bruxelles, j’ai fait mon mémoire sur le RPR. J’ai pu rencontrer Alain Juppé pendant une heure. Même chose pour Jean-Louis Debré. Aujourd’hui, alors que je suis correspondante pour un média national de mon pays, c’est impossible.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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