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Tragédie oubliée : comment les Français d'Indochine sont tombés dans une "trappe mémorielle" lors de la décolonisation
©JENTILE / INTERCONTINENTALE/FILES / AFP

Bonnes feuilles

Guillaume Zeller vient de publier "Les Cages de la Kempeitaï : Les Français sous la terreur japonaise, Indochine, mars-août 1945" aux éditions Tallandier. Les Japonais s'emparent de l'Indochine française en 1945. Des milliers de Français sont déportés dans des camps. Ces Français du bout du monde demeurent pourtant oubliés. Extrait 2/2.

Guillaume Zeller

Guillaume Zeller

Guillaume Zeller est journaliste. Directeur de projet chez Canal+, il a été directeur de la rédaction d'i-Télé, rédacteur en chef de DirectMatin et directeur de la rédaction de Direct 8. Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et titulaire d'un DEA d'Histoire contemporaine, il a été chargé d'études au Service historique de l'armée de terre. Chez Tallandier, il a déjà publié Oran, 5 juillet 1962 – Un massacre oublié (2012, "Texto" 2016) et La Baraque des prêtres – Dachau : 1938-1945 (2015).

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L’histoire des Français d’Indochine, du 9 mars 1945 à l’arrivée progressive des libérateurs après les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, est celle d’une tragédie oubliée. Ces hommes et ces femmes sont tombés dans une trappe mémorielle pour des raisons chronologiques, géographiques et idéologiques. Le coup de force, qui survient alors que l’ensemble du territoire métropolitain a été libéré – à l’exception de plusieurs poches allemandes situées sur les côtes –, ne suscite sur le moment aucune prise de conscience dans un pays pris par l’effervescence de la Libération et les urgences de la reconstruction. À 10 000 kilomètres de distance, la « perle de l’Empire » se retrouve d’autant plus éloignée de la France que le trafic maritime est rompu et les communications des plus complexes. Même depuis Calcutta, Kandy, Tchongking ou Kunming, « l’Indochine ne répond plus ». L’absence de considération dont ils sont l’objet s’explique enfin par la sympathie dont ils auraient témoigné à l’égard d’un régime autoritaire d’obédience pétainiste, celui de l’amiral Decoux, sans guère se soucier du sort de la Patrie occupée. Vision toujours vivace, qui ne s’embarrasse guère de nuances et de précisions, alors que d’importants travaux historiques sur la période ont mis en lumière des comportements intermédiaires que les adeptes du manichéisme prennent peu en compte. Que l’on songe en particulier à l’étude des vichysto-résistants par Bénédicte Vergez-Chaignon qui offre une grille de lecture intéressante pour comprendre bon nombre d’itinéraires de ces Français d’Indochine. Sept décennies plus tard, sans basculer dans une hagiographie qui serait aussi inexacte, il est temps de jeter un éclairage nouveau sur le destin et la tragédie de cette population isolée au bout du monde. 

Mais au-delà des souffrances individuelles et collectives dont on a voulu se faire l’écho ici, on ne tarde pas à réaliser – en s’appuyant sur les travaux récents d’une nouvelle génération d’historiens qui a enfin travaillé sur des sources étrangères, japonaises ou américaines en particulier – que cette séquence d’un semestre dans sa lecture la plus ramassée, ou d’une année si on adopte un regard extensif, est le cadre d’un basculement capital dont l’onde de choc n’a pas encore fini de s’estomper. Considérer que c’est à Hanoï, le 11 mars 1945, que commence la grande vague de décolonisation, avec la proclamation de l’indépendance du Vietnam par les Japonais, n’est pas une vue de l’esprit. L’incapacité des Français à faire face à l’agresseur nippon, les lourdes erreurs du CFLN puis du GPRF, la neutralisation presque instantanée du dispositif militaire, l’humiliation des « Blancs » habilement exploitée, ouvrent en effet la voie à un processus de décolonisation qui culmine dans les années 1960 et bouleverse l’organisation des nations. Certes, l’anti-impérialisme cheminait ailleurs dans le monde, comme en témoignent les émeutes de Sétif et de Guelma en Algérie le 8 mai 1945, ou la proclamation de l’indépendance indonésienne par Soekarno, qui bénéficie aussi du soutien des Japonais, le 17 août 1945. Il n’en reste pas moins que l’indépendance indochinoise du 11 mars, qu’Hô Chi Minh n’a plus qu’à cueillir le 2 septembre suivant, inaugure un cycle historique fondamental, marqué par les conflits asymétriques et la fin du rayonnement mondial de l’Europe. 

Les soldats français d’août 1945, parqués dans des casernes sous la garde de soldats japonais vaincus, pendant que des militants du Viet Minh, hâves et démunis, pavoisent Hanoï de drapeaux rouge et or, en sont les saisissants symboles.

Extrait de "Les Cages de la Kempeitaï : Les Français sous la terreur japonaise, Indochine, mars-août 1945" de Guillaume Zeller, publié aux éditions Tallandier

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