Tragédie à Moscou : quelle onde de choc pour la Russie… et pour le reste du monde ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des agents des forces de l'ordre sont déployés à l'extérieur de la salle de concert en feu du Crocus City Hall à la suite de la fusillade à Krasnogorsk, près de Moscou, le 22 mars 2024.
Des agents des forces de l'ordre sont déployés à l'extérieur de la salle de concert en feu du Crocus City Hall à la suite de la fusillade à Krasnogorsk, près de Moscou, le 22 mars 2024.
©STRINGER / AFP

Etat islamique

L’attaque terroriste dans une salle de concert près de Moscou a été revendiquée par l’État islamique. 11 suspects ont arrêtés par le FSB, dont quatre assaillants présumés. Le bilan provisoire de la fusillade s'élève à 133 morts, selon le Comité d'enquête russe.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico :  Au moins 133 personnes sont mortes et une centaine d’autres blessées dans une fusillade suivie d'un incendie vendredi soir dans une salle de concert en banlieue de Moscou. L'État islamique a revendiqué l'attaque, sur leur groupe Telegram. Quelles peuvent être les conséquences politiques et géopolitques du traumatisme au sein de la société russe après cet attentat ?

Viatcheslav Avioutskii : L’attaque a été revendiquée par l’Etat islamique. Les terroristes ont mené cette attaque à visage découvert. Le calendrier de cet attentat est très particulier. Cette attaque se déroule juste après les élections présidentielles en Russie et au début d’un nouveau cycle politique après les résultats du scrutin.

Même sans cet attentat, les Russes s’attendaient à des nouvelles plutôt désagréables après les élections, notamment une deuxième vague de mobilisation. Le pouvoir russe peut utiliser cet attentat comme un prétexte pour lancer et pour justifier une nouvelle vague de mobilisation sur le plan militaire et à ce que toujours plus de Russes rejoignent le front.

Cela s’inscrit dans un contexte également où le porte-parole de Vladimir Poutine a utilisé pour la première fois le mot de « guerre » par rapport à la situation en Ukraine. En ne parlant plus d’« opération spéciale », un état de guerre peut être introduit et qui aura pour conséquence de suspendre les libertés personnelles, de mobiliser l'industrie civile, d’entrer dans un état de mobilisation permanente. Cet attentat peut être utilisé et instrumentalisé pour justifier cette décision.

Quelles pourraient être les conséquences de l’instrumentalisation de cet attentat de l’Etat islamique par Vladimir Poutine ? Le chef du Kremlin va-t-il réagir à cette attaque et en profiter pour lancer un appel à une nouvelle mobilisation des Russes pour aller combattre sur le front ?

La dernière vague de mobilisation massive remonte au mois de septembre 2022. L'armée russe a utilisé l'afflux des contractuels, qui ont signé un contrat, pour entrer dans l'armée. Cet afflux n'était pas suffisant pour maintenir un effort de guerre qui se traduit par des pertes humaines importantes concernant les blessés et les tués. Après deux années de la guerre, il est primordial d’effectuer une rotation des effectifs qui sont présents sur le front en Ukraine. Il n’y a pas assez de contractuels qui rejoignent l’armée pour couvrir les pertes et effectuer une rotation.

Cette mobilisation générale aurait dû être généralisée il y a quelques mois, au mois d'octobre 2023. Ce projet n’était pas très populaire auprès d’une partie de la société russe, notamment chez les jeunes.

Les autorités russes ont toujours cherché à repousser la mise en place de cette étape cruciale dans le cadre de la mobilisation générale.

Recourir à une mobilisation générale dans le contexte de cet attentat pourrait susciter moins de réactions qu’en temps normal.

Quelles sont les conséquences potentielles de cette attaque pour le pouvoir russe et pour les services de renseignement comme le FSB ?

Cet attentat aura des répercussions sur le déroulement de la guerre en Ukraine. D'après différentes sources russes, Moscou est placée en état d'urgence. Les événements publics sont annulés. La même situation concerne Saint-Pétersbourg et d'autres grandes villes russes. Les ambulanciers ont tous été convoqués d'urgence dans plusieurs hôpitaux du centre-ville de Moscou pour répondre à l’arrivée massive des blessés graves suite à l’attaque terroriste. Des lits d'hôpital ont dû être libérés pour faire face à l’arrivée des blessés. Cela s’apparente à une situation de guerre.  

Dans le cadre de la traque des assaillants, la ville de Moscou devrait être placée sous contrôle militaire. Le gouvernement russe va essayer de prévenir et d’éviter des répliques et d’autres attaques terroristes.

Plus de 6.000 billets avaient été vendus pour le concert qui a été visé par l’attaque terroriste.

Quelles pourraient être les conséquences pour la société civile russe d'une telle tragédie ? Après la campagne électorale qui vient de s’achever, ne va-t-il pas y avoir un sentiment de peur renforcé ?

Ces genres d’événements et d’attentats ont démontré que la société russe avait une très forte résilience face à ce type d'événement. La solidarité va revenir au premier plan. Les Russes vont être soudés.

Il ne devrait pas y avoir de mouvement de panique ou de pression de la population envers le gouvernement russe. Dans le cadre de la militarisation de la société russe qui va s’opérer à la suite de cette attaque terroriste, le FSB va prendre le contrôle sur tout, procéder au verrouillage de la société et suspendre les libertés.

Les élections les plus importantes pour le cycle politique russe ont eu lieu il y a seulement quelques jours. Après cet attentat, si l’état de guerre est introduit, le gouvernement russe va tenter de résoudre plusieurs problèmes : militariser davantage l'économie, mobiliser les soldats et les officiers pour la guerre mais également étouffer encore un peu plus les libertés qui étaient encore tolérées.

Les services secrets américains étaient au courant de la menace qui planait sur la Russie. Au début du mois de mars, l’ambassade américaine en Russie a publié une « alerte de sécurité » destinée à ses citoyens.

Les autorités américaines ont mis en garde leurs ressortissants et ont conseillé d'éviter les lieux de rassemblement très fréquentés.

Le gouvernement russe a qualifié ce type d'avertissement comme étant une sorte de provocation et comme une tentative de s'immiscer dans la politique russe et de saboter les élections.

Les services spéciaux américains ont donc réussi à anticiper et à identifier une attaque qui s'est préparée sans pouvoir donner trop de détails.

Quelles pourraient être les conséquences de cette attaque par rapport à l'Ukraine ? La Russie va-t-elle intensifier ses frappes et déployer de nouvelles armes sur le front ukrainien ?

L’ancien président russe Dmitry Medvedev a précisé vendredi que la Russie “détruira” les dirigeants ukrainiens s’il s’avère qu’ils sont responsables de l’attaque dans cette salle de concert. La piste ukrainienne aurait pu servir à mobiliser davantage et à participer à l'effort militaire, tout en fédérant l'attitude de l'opinion publique russe contre l'Ukraine. Dans les premières heures de l’attaque, avant la revendication de l’Etat islamique, il y avait une volonté d'une partie de l'élite russe de rendre l'Ukraine responsable. Les Ukrainiens et les Américains ont tout de suite dénoncé ce type de déclaration et démenti les accusations. 

L'Ukraine a été frappée cette semaine par une très importante salve de missiles tirés par la Russie qu'il faut intégrer dans le contexte géopolitique général, l'escalade verbale entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine. Tout se télescope. La société est en train de vivre une tension très forte et qui rappelle énormément les années 1930.

Dans les premières heures après l’attaque, Kiev a tenté de se protéger des accusations dans le cadre de la guerre de l’information en mettant en cause l’action des services spéciaux russes. Est-ce qu'il y a une vraie volonté d'accroître l’intensité de la guerre de la part de la Russie ?

Deux régions russes frontalières de l'Ukraine qui ont été récemment attaquées par des unités de volontaires russes qui se battent aux côtés des Ukrainiens. Il y a eu une escalade au niveau régional. Cela a beaucoup gêné le Kremlin. Vladimir Poutine a demandé une nouvelle mobilisation contre cette menace. 

L’Ukraine redoutait, après l’attentat de vendredi, que la Russie manipule la situation et accuse Kiev d’être directement à l’origine de cette attaque à Moscou. 

Dans le cadre de cette guerre de l'information entre la Russie et l’Ukraine, il y a des exagérations, des mensonges, la manipulation de faits. 

L’attentat à Moscou a été mené par un commando qui est entré d'abord dans le hall du centre commercial, du centre de loisirs. Ils ont visé des civils. Ce commando était bien préparé et bien organisé. Cela s’apparente vraiment au modèle des commandos djihadistes. 

L'Ukraine se serait discréditée aux yeux de ses alliés occidentaux si elle était à l’origine d’une telle attaque. 

Quelles pourraient être les conséquences d'une telle attaque pour Vladimir Poutine lui-même et pour le reste du monde ?

 En 1999, des attentats similaires ont eu lieu. La conséquence directe a été le lancement par Vladimir Poutine d’une guerre contre la Tchétchénie. La société russe était soudée derrière lui. Et deuxième conséquence, Vladimir Poutine s'est fait élire au premier tour en 2000. Vladimir Poutine va être conforté et obtenir l’aval de la société russe après cet attentat.

Un nouveau verrouillage du système et de la société va intervenir après le traumatisme de l’attaque. 

Cet attentat n’est-il pas un point de bascule gravissime avec des conséquences terribles pour la guerre, pour la Russie et pour le monde entier ?

Lorsqu’une société est agressée et frappée par le terrorisme, un sursaut de solidarité intervient. Vladimir Poutine ne devrait pas être affaibli. Il va recevoir des messages de solidarité de la part des leaders occidentaux. La solidarité face aux attentats terroristes dépasse les divisions idéologiques. 

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